DRAMEDrame bourgeois
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Consolidation et critique au XIXe siècle
Augier et Dumas fils
Au xixe siècle, le substrat social du genre ne cessant de se consolider, maintes œuvres, sous d'autres étiquettes, continuent à répondre à la définition du drame bourgeois. De Hugo à Montherlant le théâtre à sujets historiques exprime une volonté de poésie. Parallèlement se perpétue une tradition de pièces à idées, sur des problèmes familiaux, professionnels, sociaux... Le Gendre de Monsieur Poirier, d'Émile Augier (1854), répète l'inévitable confrontation du roturier enrichi par son travail (dans le commerce, selon l'habitude) avec le gentilhomme oisif. Maître Guérin (1864), du même auteur, montre dans l'exercice de ses fonctions un notaire, mais un notaire véreux.
Dumas fils surtout obtint un long succès pour avoir porté à la scène les « problèmes » de son public. Il revient sur la question de la mésalliance, combinée avec le thème romantique de la courtisane rachetée par l'amour (La Dame aux camélias, 1852). Il traite La Question d'argent (1857) : puissance ou faiblesse de l'argent ? Ses personnages plaident les deux thèses. Pendant que Baudelaire proclame la séparation de l'art et de la morale, il affiche hautement ses intentions moralisantes : « Toute littérature qui n'a pas en vue la perfectibilité, la moralisation, l'idéal, l'utile en un mot, est une littérature rachitique et malsaine, née morte » ; cela dans la préface d'une pièce qui reprend un titre de Diderot, Le Fils naturel (1858). On discutait avec passion les argumentations de ses tirades bien enlevées, les paradoxes de ses mots à effet (« Les affaires, c'est l'argent des autres »). Seule échappe à l'oubli sa Dame aux camélias, transposée en mélodrame par le cinéma.
Curel
À la fin du xixe siècle, le genre se ressent des critiques contre la société bourgeoise. Ce sont moins des valeurs que des intérêts que défend Le Repas du lion de François de Curel (1897). L'auteur, propriétaire d'un vaste domaine lorrain, apparenté à des maîtres de forges, ne simplifie pas un sujet qu'il connaît bien. Jean, rejeton d'une famille aristocratique qui désormais sur ses terres exploite une mine, veut réconcilier patrons et ouvriers grâce à la doctrine de l'Église. Situation fausse : Jean touche un fabuleux dividende (700 000 francs-or...). Et sa prédication inquiète son beau-frère, chef de l'entreprise. Invité par le syndicat à exposer ses idées, il développe non la doctrine d'Albert de Mun, mais un apologue : le repas du lion. Les ouvriers sont les chacals qui se nourrissent des restes du festin royal. Leur intérêt est de ne pas troubler le repas du fauve. Le chef syndicaliste réplique que les salariés ne ressemblent pas à des parasites ; ils sont ceux qui, par leur travail, créent la richesse du patron. Puis, le beau-frère ayant été assassiné, d'apôtre, Jean devient chef d'industrie. Il se trouve bientôt d'accord avec le ministre du Travail : la prospérité de la métallurgie permet d'octroyer de hauts salaires et de prévoir une participation aux bénéfices. Cette réflexion sur les rapports du capital et du travail intéresse encore, mais seulement dans la mesure où elle date. Les audaces de Curel paraissent timides.
Le drame antibourgeois
Bien avant la fin du siècle, un retournement s'était opéré, du drame bourgeois en drame antibourgeois. Après les pièces à thèse, volontiers non conformistes, de Dumas fils, le naturalisme accentue les tendances critiques du théâtre. La Parisienne d'Henry Becque (1885) est aussi cruelle qu'un conte de Maupassant. On préférera cependant Les Corbeaux (1882), œuvre de plus d'envergure. Becque y traite un drame socio-économique de son temps. Un industriel, à la tête d'une entreprise familiale, était peu à peu acculé à la faillite par la concentration capitaliste, lorsque subitement il meurt. Sa veuve, ses trois filles se débattent contre les hommes d'affaires qui profitent de leur ignorance. L'une d'elle se sacrifie ; elle épouse un « corbeau », vieil harpagon qui au moins protègera ces femmes. Pièce quelque peu désuète : le sujet suppose un état de la société où des femmes de la classe moyenne ne disposaient d'aucun moyen de gagner leur vie. Mais cette œuvre, d'un maître dramaturge, n' [...]
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Écrit par :
- René POMEAU : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne, président de la Société d'histoire littéraire de la France et de la Société internationale d'étude du XVIIIe siècle
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Pour citer l’article
René POMEAU, « DRAME - Drame bourgeois », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 04 février 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/drame-drame-bourgeois/