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CATÉGORIES

Sens et non-sens

C'est parce qu'une catégoricité générique se fait jour dans le langage que l'analyse catégoriale constitue un instrument privilégié dans la détection de l'ambiguïté et du non-sens. Déjà, dans les Catégories, « les choses qu'il y a » (1 a 20), à savoir les universels et les particuliers ou les substances et accidents, se donnent dans le contexte des « choses qui sont dites » (1 a 16) et à l'intérieur d'une recherche qui vise à débusquer les causes de l'équivocité. En thèse générale, la transgression d'une différence catégoriale entraîne la production du non-sens. Comme Wittgenstein l'a écrit, on ne place pas un événement dans un trou. Mais il faut préciser. Les frontières entre les catégories peuvent être incertaines et il peut y avoir des superpositions (par exemple, entre qualités et relatifs – Catég., 11 a 20-34 – ou entre contraires – Métaph., I, 4-5) sans que pour autant les propositions perdent leur sens. Inversement, le non-sens n'est pas l'apanage exclusif des erreurs catégoriales. D'un point de vue empirique, une interrogation sur les plumes d'un poisson ou même sur la calvitie du roi de France n'a aucun sens ; et, pourtant, on ne commet pas par là une transgression catégoriale.

Or il est frappant que les intersections catégoriales n'aient pas préoccupé Aristote outre mesure. Ce n'est pas une classification rigide de concepts qu'il a cherchée, mais la mise en ordre de l'expérience ; et l'équivocité qu'il veut expulser, par l'intermédiaire des catégories, de l'analyse de l'expérience est relativement tolérée en ce qui concerne le choix des catégories elles-mêmes, pourvu qu'elles soient toutes bien déterminées, et des opérateurs appropriés à l'examen de la situation. Quant au second problème, on stipulera que les différences catégoriales se distinguent des autres dans la mesure où le plan catégorial suit immédiatement l'ontologie formelle : les erreurs catégoriales ne découlent que d'infractions commises sur ce plan (dans ce sens, voir M. Thompson, On Category Differences, 1957).

Quoi qu'il en soit, les catégories déterminent les conditions de la signification, en définissant des variables de prédicat que seules certaines classes d'individus sont à même de satisfaire. Sous peine de non-sens, il existera, pour chaque entité, des parcours catégoriaux bien délimités. Cet aspect de la pensée catégoriale fut privilégié par la philosophie analytique, depuis l'introduction, due à Rudolf Carnap, des notions d'isogénie et de sphère d'un objet. La première fixe l'amplitude de la « substituabilité », salva veritate, des objets dans une fonction propositionnelle ; et la seconde représente la classe de tous les objets isogènes d'un objet donné. Il y aura « confusion de sphères » toutes les fois que l'isogénie n'est pas respectée (R. Carnap, Der logische Aufbau der Welt, 1928, § 30 ; il s'agit d'une généralisation du concept russellien de type logique). G. Ryle a proposé la notion de category mistake avec une intention analogue (The Concept of Mind, 1949).

À cette approche, on a objecté qu'elle sous-entendrait des connaissances empiriques. En effet, pour repérer des infractions aux catégories linguistiques, il faut connaître non seulement les conditions de la « grammaticalité » (la syntaxe) d'une langue, mais aussi les termes de l'acceptabilité sémantique des expressions de cette langue. Les catégories (les classes d'expressions qui sont substituables sans absurdité) sont sémantiques, c'est-à-dire qu'« elles ne résultent pas de l'accouplement impropre des expressions, mais de ce que les expressions signifient » (G. Ryle, Catégories, 1971, p.[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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