STRUCTURALISME
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Structuralisme et philosophie
On connaît des noms (Claude Lévi-Strauss, Michel Foucault, Jacques Derrida, Jacques Lacan, Michel Serres...) ; on croit connaître le terrain intellectuel sur lequel ils se rencontrent : celui d'une modernité philosophique assimilée au structuralisme. Celui-ci a connu son heure de gloire dans les années 1960 et 1970 en France ; il s'est diffusé largement par la suite, en particulier aux États-Unis où l'on parle volontiers aujourd'hui de « poststructuralisme ». On n'en finirait pas, pourtant, d'énumérer tous les paradoxes qui s'attachent à la définition d'un structuralisme philosophique.
Une école « hors les murs » : philosophie et sciences humaines
Il faudrait d'abord s'entendre, avant la définition même de ce dont il est question, sur une appellation : philosophie structuraliste, structuralisme philosophique, ou philosophie du structuralisme ? Nous prendrons le parti de la coordination (structuralisme et philosophie), qui présente certes l'inconvénient de présupposer l'existence du structuralisme, mais qui a aussi l'avantage de neutraliser la charge polémique des autres dénominations et de respecter trois caractéristiques complexes de cette mouvance ou de ce moment philosophique, qu'aucun des « acteurs » principaux n'a vraiment repris à son compte, à l'exception de Lévi-Strauss, qui manifeste significativement de fortes réticences vis-à-vis d'un structuralisme « proprement » philosophique.
Un rationalisme élargi
D'abord, il y a l'exercice systématique du soupçon vis-à-vis de la prétention philosophique à jouer le rôle d'élucidation des principes premiers, ontologiques ou transcendantaux, de toute connaissance et de toute pratique. Cette prétention est assimilée globalement à un « avant » de la « coupure structurale » en philosophie. Cette caractéristique ne suffit pourtant pas pour répondre à la question posée par Gilles Deleuze en 1973 – « À quoi reconnaît-on le structuralisme ? ». Elle appartient depuis toujours, par exemple, à l'empirisme, attitude philosophique peu illustrée en France où sa version modernisée – l'empirisme logique – ne sera véritablement diffusée que tardivement, au début des années 1980, et précisément en réaction au structuralisme.
C'est plutôt dans le cadre d'un rationalisme élargi, c'est-à-dire désacralisé et historicisé, tendu vers ce qui est inassimilable par les conceptions antérieures de la raison – celles de Descartes, de Kant, de Hegel pour l'essentiel – que le structuralisme va contester la posture philosophique d'un discours fondateur qui n'est pas lui-même fondé. Cet élargissement de la raison ne se réduit pourtant pas à un retour simple sur sa genèse. Il se veut plutôt une remise en cause des limites assignées à la raison par le sujet cartésien assimilé au cogito, par le sujet transcendantal kantien dans ses rapports à la connaissance et aux pratiques, par le savoir absolu hégélien dans ses conditions dialectiques d'émergence et de réalisation, son origine et sa téléologie. C'est pourquoi les formes les plus radicales du structuralisme en philosophie remettent toujours en cause les partitions les mieux établies de la tradition : le sujet et l'objet, si le sujet peut devenir à son tour objet dans la version lacanienne de la psychanalyse, par exemple ; l'a priori et l'a posteriori kantien, si le symbole ou le signe, parce qu'ils relèvent de systèmes « toujours déjà » institués sans sujet originaire qu'il soit individuel ou collectif, ouvrent un abîme qui marque un espace de jeu entre le sujet et l'expérience ; le système et la conception de l'histoire hérités de Hegel enfin, si les différences qui régissent le système ne sont pas de l'ordre de la contradiction dialectique et n'orientent vers aucune fin, aucun telos, les figures de la raison réconciliée avec elle-même.
Une tradition repensée
Si toujours la philosophie s'est nourrie « de ce qui n'est pas elle » (Georges Canguilhem), les philosophes réputés structuralistes, ou impliqués dans le développement du structuralisme sur un mode plus ou moins critique (Gilles Deleuze, Paul Ricœur, par exemple) se sont efforcés de formuler de manière explicite, problématiqu [...]
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l’article se compose de 36 pages
Écrit par :
- Jean-Louis CHISS : maître de conférences à l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud
- Michel IZARD : directeur de recherche émérite au C.N.R.S.
- Christian PUECH : docteur en sciences du langage, professeur des Universités
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Pour citer l’article
Jean-Louis CHISS, Michel IZARD, Christian PUECH, « STRUCTURALISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 21 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/structuralisme/