STRUCTURALISME
Carte mentale
Élargissez votre recherche dans Universalis
Le structuralisme en anthropologie
Près d'un demi-siècle après la publication des Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss (1949), traiter de l'anthropologie structuraliste appelle une remarque liminaire. Le terme « structuralisme » a fait en France l'objet d'emplois si divers qu'il convient en effet de préciser que les tenants du structuralisme en anthropologie, et d'abord Lévi-Strauss lui-même, n'ont jamais reconnu les positions scientifiques qu'ils partageaient comme relevant d'une application à un domaine de connaissance particulier d'un structuralisme en général. C'est que l'on chercherait en vain sur quels attendus méthodologiques et épistémologiques un structuralisme généralisé aurait pu appuyer sa prétention à traiter indifféremment de l'étude des faits sociaux, de celle de l'acquisition du savoir dans le domaine des sciences de l'esprit, des états de conscience, des appareils idéologiques d'État ou de la morphologie des textes littéraires. En clair, s'il y a bien eu en France, dans les années 1960, une mode du structuralisme, l'anthropologie structuraliste, ou mieux, « structurale », s'est résolument gardée de se sentir concernée par elle, ce qui explique peut-être qu'un regard quelque peu condescendant ait parfois été porté sur l'œuvre de Lévi-Strauss par les représentants des autres structuralismes. Face à cette singulière attitude, Lévi-Strauss devait réagir avec une rare vigueur dans une lettre adressée à Catherine Backès-Clément et publiée par elle : « ... vous avouerai-je que je trouve étrange qu'on prétende m'extraire du structuralisme en y laissant pour seuls occupants Lacan, Foucault et Althusser ? C'est mettre le monde à l'envers. Il y a en France trois structuralistes authentiques : Benveniste, Dumézil et moi ; et ceux que vous citez ne sont compris dans le nombre que par l'effet d'une aberration ». On comprend que lorsque Lévi-Strauss constate en 1983 que le structuralisme a « passé de mode », c'est pour s'en réjouir et non pour le déplorer ; par la même occasion, constat est dressé que faire du structuralisme une idéologie a relevé pour l'essentiel de déterminations étrangères à la forme d'activité scientifique dans laquelle se reconnaît l'anthropologie sociale. Par « structuralisme », on entendra donc ici le seul structuralisme en anthropologie, dont le développement s'inscrit intégralement dans une histoire de la discipline qui assigne à l'anthropologie néerlandaise des années 1930 un rôle précurseur en matière de mise en œuvre de l'analyse structurale : ce n'est pas par hasard que nous sommes redevables à J. P. B. de Josselin de Jong du tout premier (1952) et peut-être du plus pertinent commentaire sur les Structures élémentaires de la parenté.
L'anthropologue français Claude Lévi-Strauss (à droite), le 2 janvier 1975, lendemain de son élection à l'Académie française. À gauche, Jean Guéhenno.
Crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images
Naissance
Lointain dépositaire des grandes leçons de l'école sociologique française, lecteur admiratif de Marcel Granet, dont l'ouvrage Catégories matrimoniales et relations de proximité dans la Chine ancienne a paru en 1939, Lévi-Strauss donne forme à son projet intellectuel pendant la drôle de guerre et plus fondamentalement durant l'exil des années 1940, marquées notamment par la rencontre, en 1942, de Roman Jakobson qui, au terme d'un tracé qui a pris naissance avec Ferdinand de Saussure (1857-1913 ; le Cours de linguistique générale est publié en 1916), fait figure de principal représentant du courant structural en linguistique.
On s'accorde à dater de 1945 la naissance du structuralisme anthropologique, avec la publication, dans la revue Word, organe du Cercle linguistique de New York, de l'article « L'analyse structurale en linguistique et en anthropologie » repris dans Anthropologie structurale en 1958. À propos notamment des faits de parenté, Lévi-Strauss y esquisse le projet de constitution d'une anthropologie structurale à partir de la considération des acquis de la phonologie structurale. « Comme les phonèmes, écrit Lévi-Strauss, les termes de parenté sont des éléments de signification ; comme eux, il n'acquièrent cette signification qu'à la condition de s'intégrer en systèmes ; les „systèmes de parenté“, comme les „systèmes phonologiques“, sont élaborés par l'esprit à l'étape de la pensée inconsciente. » Philosophe de formation, professeur de sociologie à São Paulo, ethnologue de terrain dont témoignent notamment des travaux sur les Indiens Bororo et Nambikwara, Lévi-Strauss, pour l'essentiel, entr [...]
1
2
3
4
5
…
pour nos abonnés,
l’article se compose de 36 pages
Écrit par :
- Jean-Louis CHISS : maître de conférences à l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud
- Michel IZARD : directeur de recherche émérite au C.N.R.S.
- Christian PUECH : docteur en sciences du langage, professeur des Universités
Classification
Autres références
« STRUCTURALISME » est également traité dans :
ANALYSE & SÉMIOLOGIE MUSICALES
Dans le chapitre « Les modèles linguistiques dans l'analyse musicale » : […] À l'époque du structuralisme triomphant, la sémiologie musicale rencontre les modèles d'analyse linguistique pour des raisons à la fois épistémologiques et esthétiques. Le structuralisme conçoit le signe moins comme l'union d'un signifiant et d'un signifié que comme un élément intégré à un système, entretenant avec ses voisins des rapports « oppositifs et négatifs ». Paul Ricœur l'énonce très cla […] Lire la suite
ARCHÉOLOGIE (Traitement et interprétation) - Les modèles interprétatifs
Dans le chapitre « Les modèles de représentation de la société » : […] On ne peut étudier une société que si l'on en a une certaine représentation. Ainsi, tant que l'archéologie s'identifiait à l'histoire de l'art, elle produisait en même temps une certaine représentation sociale, car, finalement, on ne s'intéressait qu'aux élites pour lesquelles ces objets d'art avaient été produits. L'intérêt, dorénavant, pour l'ensemble des productions matérielles d'une société, p […] Lire la suite
CONTINU & DISCRET
Dans le chapitre « Investissement philosophique de l'opposition » : […] Il existe une tradition philosophique rattachant le continu à l'Identité, au Même, à la Permanence : le structuralisme, qui pensait mener un combat contre ces figures, et tout particulièrement contre l'historicisme, nous a incité à considérer de préférence cette tradition, pour mieux la rejeter. Peut-être tire-t-elle sa force de la pensée de Leibniz, si l'on veut à tout prix déterminer une origin […] Lire la suite
CRITIQUE, revue
Moins disparate que Documents , moins offensive que Les Cahiers de Contre-Attaque , moins turbulente qu' Acéphale , et partant plus durable qu'aucune d'entre elles, Critique est la dernière des revues fondées par Georges Bataille . Elle a la particularité d'être une revue de bibliographie. L'éditorial du n o 1, publié en juin 1946 aux Éditions du Chêne, annonce que « Critique publiera des étud […] Lire la suite
CRITIQUE LITTÉRAIRE
Dans le chapitre « La linguistique saussurienne, le formalisme russe, le New Criticism » : […] Pour le nouveau textualisme français, il y a deux ou trois références plus proches que l'aristotélisme : la linguistique saussurienne, le formalisme russe et le New Criticism anglo-américain, tardivement découverts par une culture littéraire et philosophique parisienne relativement isolée du reste du monde. Quelques principes, extraits du Cours de linguistique générale de Saussure, sont devenus […] Lire la suite
ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (E.H.E.S.S.)
Parmi les principales institutions françaises d'enseignement supérieur et de recherche, l'École des hautes études en sciences sociales est relativement jeune. Sous cette appellation, elle n'existe que depuis 1975, date à laquelle elle s'est substituée à l'ancienne VI e section de l'École pratique des hautes études, section elle-même créée en 1947. Il faut cependant remonter bien plus loin dans l […] Lire la suite
ESTHÉTIQUE - Histoire
Dans le chapitre « Jeux de langage et formes de vie » : […] Il reste que l'art récent ne se laisse plus caractériser comme une entité unique. Et pour peu que l'art soit « les » arts, il n'existe plus rien de tel que « l' » expérience esthétique ou « l' » attitude esthétique. La conséquence d'une telle pluralisation a été tirée par Wittgenstein : l'esthétique n'est pas une science « qui nous dit ce qui est beau », pas plus qu'elle ne nous suggère ce qui es […] Lire la suite
EXISTENCE PHILOSOPHIES DE L'
Dans le chapitre « L'existentialisme en procès » : […] La dernière pensée de Maurice Merleau-Ponty, notamment dans Le Visible et l'Invisible (1904) et les Résumés de cours (1968), voudrait faire sentir quelque chose qui est situé au-delà de la philosophie, même si cette dernière se présente sous forme d'une phénoménologie. Merleau-Ponty cherche à s'évader de la représentation. C'est à la peinture qu'il recourt de préférence pour nous donner le senti […] Lire la suite
FORMALISME RUSSE
« Si on laisse de côté les faibles échos des systèmes idéologiques antérieurs à la Révolution, la seule théorie qui se soit opposée au marxisme en Russie soviétique, dans les dernières années, est la théorie formaliste de l'art. Ce qui est paradoxal ici, c'est que le formalisme russe était étroitement lié au futurisme russe et que, lorsque celui-ci, du point de vue politique, capitula plus ou moin […] Lire la suite
FORME
Dans le chapitre « Le vitalisme structuraliste et sémiotique » : […] Avant d'exposer brièvement divers aspects de ces entreprises de subjectivation, il est bon de dire quelques mots sur le vitalisme du xix e siècle. Après Kant, et en particulier en rapport avec la Naturphilosophie schellingienne, un certain nombre de penseurs en sont revenus à une position aristotélicienne-leibnizienne en tentant d'élargir le concept objectif de Nature. Un cas exemplaire est celu […] Lire la suite
Voir aussi
Pour citer l’article
Jean-Louis CHISS, Michel IZARD, Christian PUECH, « STRUCTURALISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 29 juin 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/structuralisme/