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CONTINU & DISCRET

Le mot continu désigne en général ce qui est d'un seul tenant, ce qui se module avec tous les degrés intermédiaires souhaitables (ainsi les flux liquides nous semblent continus, l'espace et le temps nous paraissent devoir l'être) ; de l'autre côté, relève du discret ce qui éclate, se résout en individus isolés, ce qui est séparé d'avec soi-même, comme l'indique l'étymologie latine (ainsi les bornes kilométriques le long des routes, les mots successifs dans les phrases, ou les lettres dans les mots sont les unités d'ensembles ou de séries discrètes). L'opposition de l'un avec l'autre fut pensée depuis l'origine grecque, comme en témoignent notamment les raisonnements d'allure paradoxale attribués à Zénon d'Élée. Si les deux maîtres mots furent de la sorte sollicités de maintes façons par le discours philosophique, le discours formel et le discours scientifique au moins, la confrontation du continu avec le discret est plus directement suscitée, d'après ce que nous estimons, par le langage théorique contemporain ; ce langage, inspiré par la pensée logico-mathématique plus ou moins récente, permet une approche plus claire de chacun des termes considérés, ainsi que de la nature de leur opposition.

Nous nous proposons donc de présenter les problèmes du continu et du discret à partir de l'évaluation logico-mathématique « moderne » de ceux-ci. Nous évoquerons ensuite une démarche philosophique célèbre qui fait jouer un rôle fondamental à l'opposition du continu et du discret : celle du criticisme kantien, prolongée au xxe siècle par la phénoménologie et le structuralisme. Nous donnerons finalement une idée des dispositifs multiples qui dans les théories scientifiques de ce siècle tirent parti de la tension entre le continu et le discret, confirmant ou contestant les conceptions épistémologiques ou ontologiques induites par le kantisme à son sujet.

La première étape de ce programme, celle qui concerne le domaine logico-mathématique, se divise elle-même en trois moments : on commencera par thématiser l'opposition dans le vocabulaire des mathématiques élémentaires, c'est-à-dire par signaler les aspects minimaux de l'opposition, ceux qui sont discernés dans une culture mathématique aujourd'hui très répandue ; puis on signalera les problèmes associés à ladite opposition du côté de la théorie des fondements, simultanément ce que disent les discours de type fondationnels à propos du continu et du discret, et le sens en lequel par leurs décisions méthodologiques ils illustrent la profondeur de l'opposition, sa radicalité ; finalement on racontera un peu la « dynamique » du continu et du discret dans les mathématiques classiques et contemporaines.

Signification logico-mathématique de l'opposition

Point de vue élémentaire

Il faut distinguer un emploi adjectival du mot continu, principalement dans la locution application continue, de son emploi substantif, lorsqu'on parle du continu. Dans le premier emploi, continu désigne un caractère de régularité : les applications continues ne prennent jamais une valeur en un point qui contraste topologiquement avec les valeurs prises au voisinage de ce point. Continu s'oppose ici à discontinu, en un sens qui recoupe celui de la langue naturelle : on parle bien de discontinuité lorsqu'un objet se laisse attribuer des contenus qualitatifs ou quantitatifs disparates dans un champ de variabilité faible. Cet emploi est important, ne serait-ce que parce que les applications continues sont les êtres fonctionnels fondamentaux de la topologie (les morphismes de la catégorie associée), mais ce n'est pas lui qui fait comparaître l'opposition du continu et du discret.

Lorsqu'on parle du continu substantivement donc, on se réfère le plus souvent, de manière informelle, à la[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie des sciences, logique et épistémologie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Jean-Michel SALANSKIS. CONTINU & DISCRET [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANALYSE NON STANDARD

    • Écrit par Jean-Michel SALANSKIS
    • 1 411 mots
    D'un tout autre point de vue, l'analyse non standard a apporté un élément de philosophie des mathématiques essentiel, une nouvelle vision ducontinu mathématique. Avec les moyens non standards – quelle que soit la formalisation particulière que l'on utilise – il apparaît que l'on peut « identifier...
  • ANAXAGORE (env. 500-428 av. J.-C.)

    • Écrit par Fernando GIL, Pierre-Maxime SCHUHL
    • 1 859 mots
    • 1 média
    La position d'Anaxagore est originale. L'univers se trouve ordonné par des principes de continuité et de structuration, dont la portée est universelle : « Il y a beaucoup de choses de toute sorte dans tout ce qui est assemblé : les semences de toutes les choses, avec toutes sortes de figures et de couleurs...
  • NUMÉRIQUE ANALYSE

    • Écrit par Jean-Louis OVAERT, Jean-Luc VERLEY
    • 6 378 mots
    Le discret et le continu. Fondamentalement, l'analyse numérique établit un rapport organique entre le continu et le discret. Le plus souvent, on approche un problème continu par un problème discret portant sur une suite finie de nombres : parmi les nombreux exemples, citons les valeurs d'une fonction,...
  • RÉELS NOMBRES

    • Écrit par Jean DHOMBRES
    • 14 916 mots
    ...l'aspect lié au mouvement de ces paradoxes, alors qu'il s'agit de mettre en cause toute procédure liée à l'infini, aussi bien dans le continu que dans le discret. Zénon consacre une double contradiction avec l'emploi, dans un sens ou dans le sens opposé, d'hypothèses finitistes ou infinitistes...

Voir aussi