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PICASSO PABLO (1881-1973)

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L’invention du cubisme

La rencontre avec le collectionneur américain Leo Stein et sa sœur l’écrivaine Gertrude Stein, en novembre 1905, joue un rôle décisif dans la carrière de Picasso. Elle le conduit à un renouvellement avant-gardiste dont témoigne un Autoportrait (musée Picasso, Paris) peint l’été 1906 dans le village de Gósol (Pyrénées catalanes, Espagne). Là, il élabore un style primitiviste plus dépouillé et schématique, sous l’influence de l’art ibérique et de l’art espagnol préroman. À son retour à Paris, il achève dans un esprit protocubiste le Portrait de Gertrude Stein, (The Metropolitan Museum of Art, New York), commencé pendant l’hiver 1905. Avec les peintres Matisse et Derain et en compagnie du poète et critique d’art Apollinaire, Picasso découvre l’art nègre et les arts de l’Afrique et de l’Océanie. Il s’oriente vers une forme de primitivisme dont il ne s’éloignera jamais complètement au fil de sa carrière. Après la monumentalité de la toile Deux Femmes nues (1906, The Museum of Modern Art, New York), Picasso se lance dans l’ambitieuse composition des Demoiselles d’Avignon (1907, The Museum of Modern Art, New York) qui inaugure l’art contemporain dans sa liberté radicale comme dans sa référence inédite et inventive au canon esthétique des arts extra-européens – éloigné de la quête idéale du beau et de la représentation idéalisée du corps formulées par la Renaissance. « C’est comme si tu voulais nous donner à boire du pétrole pour cracher du feu », aurait dit Georges Braque en 1907, stupéfié par la violence subversive du tableau, au demeurant très peu vu à l’époque et exposé au public pour la première fois en 1916, avant de gagner en 1924 la collection du couturier Jacques Doucet, sur le conseil d’André Breton.

Viennent ensuite à partir de 1908 les années d’élaboration du cubisme, inventé de concert par Braque et Picasso. Le mouvement se diffuse rapidement en Allemagne, en Suisse et jusque dans les Empires austro-hongrois et russe grâce au marchand Daniel-Henry Kahnweiler, qui a ouvert sa galerie rue Vignon à Paris, en 1907, à l’âge de vingt-trois ans, et devient un des galeristes fidèles de Picasso et un des plus efficaces promoteurs de cet art moderne. L’esthétique des toiles de Picasso et de Braque est âprement discutée à l’époque dans la critique d’art. Ce mode de figuration, dans lequel la couleur joue un rôle moins important que la composition et le dessin, se présente comme une tentative d’inventer un mode nouveau de représenter les objets et l’espace sous forme de solides géométriques (Paysage aux deux figures, 1908, musée Picasso, Paris), dans une veine inaugurée par Cézanne, qui voulait « traiter la nature par la sphère, le cylindre et le cône ». Un espace tactile se crée ainsi, ouvrant dans la toile une profondeur selon une construction différente de la perspective traditionnelle issue de la Renaissance italienne. Dans l’Usine à Horta de Ebro (1909, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg), l’ensemble du site est représenté par une composition de formes cubiques enchevêtrées les unes dans les autres. Dans la phase dite « analytique » du cubisme, le modèle réel est décomposé en facettes et en angles brisés (Femme assise, 1909-1910, Stedelijk van Abbemuseum, Eindhoven). Cette géométrisation du volume se marque aussi en sculpture (Tête de femme [Fernande], bronze, 1909, musée Picasso, Paris), puis aboutit en peinture à des tableaux comme le Portrait de Vollard (1910, musée Pouchkine, Moscou) ou l’Homme à la guitare (1911, musée Picasso, Paris), où la figure paraît se dissoudre dans l’espace de la toile. Malgré son succès au Salon des indépendants de 1911 et sa vogue auprès d’artistes tels que Juan Gris, Jean Metzinger et Fernand Léger, Picasso, une fois arrivé aux limites de l’abstraction avec cette phase dite « hermétique[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII

Classification

Pour citer cet article

Paul-Louis RINUY. PICASSO PABLO (1881-1973) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 21/03/2024

Médias

Pablo Picasso - crédits : Heritage Images/ Fine Art Images/ AKG-images

Pablo Picasso

Pablo Picasso - crédits : Javier Larrea/ Age Fotostock

Pablo Picasso

Autres références

  • LES DEMOISELLES D'AVIGNON (P. Picasso)

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    • 222 mots

    Au titre pudique Les Demoiselles d'Avignon Picasso préférait encore le sobriquet de « Bordel philosophique ». Au moins rendait-il compte de la réaction de ceux qui, voyant pour la première fois dans l'atelier du peintre ce tableau « grand comme un mur » (Max Jacob) en saisissaient bien la charge...

  • GÉNÉALOGIE DES DEMOISELLES D'AVIGNON - (repères chronologiques)

    • Écrit par
    • 749 mots

    1906 Discutant l'influence de l'art primitif sur l'esthétique de Picasso, et plus particulièrement sur la rupture que représente sur ce point Les Demoiselles d'Avignon, Henri Matisse souligna perfidement qu'il avait l'habitude d'acheter des sculptures africaines chez un marchand...

  • MATISSE ET PICASSO (Yve-Alain Bois)

    • Écrit par
    • 1 016 mots

    L'ouvrage d'Yve-Alain Bois (coll. Beaux Livres, Flammarion, Paris, 1999) sur les rapports entre Matisse et Picasso, essentiellement consacré à la période 1920-1954 (date de la mort de Matisse), frappe d'emblée par sa densité. La richesse et la précision documentaire, historique, biographique, analytique,...

  • NATURE MORTE À LA CHAISE CANNÉE (P. Picasso)

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    • 224 mots

    Réalisée à Paris en mai 1912, la Nature morte à la chaise cannée de Picasso marque, dans l'histoire de la peinture, la découverte du collage. Celle-ci est issue du désir commun à Picasso et à Braque de retourner à la réalité face au risque d'abstraction du cubisme analytique...

  • PICASSO MUSÉE, Paris

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    « Donnez-moi un musée et je le remplirai. » Le pari lancé un jour par l’artiste Pablo Picasso devait trouver douze ans après sa mort une magistrale illustration. Inauguré le 23 septembre 1985 dans les espaces rénovés de l’hôtel Salé, situé en plein cœur du Marais à Paris, le musée...

  • PICASSO. SCULPTURES (exposition)

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    Après le succès remporté par l’exposition Picasso Sculpture au Museum of Modern Art de New York de septembre 2015 à février 2016, son pendant parisien, sous le nom Picasso. Sculptures, du 8 mars au 28 août 2016, a constitué le premier événement majeur organisé au musée Picasso depuis...

  • PICASSO ET LE PORTRAIT (exposition)

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    Ni l'étendue ni la diversité de l'œuvre de Picasso ne constituent plus une surprise. L'Hommage à Picasso, la grande rétrospective du Grand Palais et du Petit Palais, avait, en 1966, largement révélé cette ampleur. L'ont confirmée les donations et les dations mettant parfois au jour...

  • PICASSO ÉROTIQUE (exposition)

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    Jusqu'en 1968, il était possible de tenir l'œuvre érotique de Picasso comme « une affirmation sans drame de l'Éros » (Pierre Dufour). Mais lors de l'exposition, cette année-là, à la galerie Leiris des 347 gravures faites à Mougins entre mars et octobre, il fallut présenter dans une salle privée, fermée...

  • PICASSO ET LES MAÎTRES (exposition)

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    Avec Picasso et les maîtres (Galeries nationales du Grand Palais, Paris, 8 octobre 2008-2 février 2009), c'est une exposition « blockbuster », comme on dit dans le jargon anglo-saxon du théâtre, du cinéma et des musées, c'est-à-dire une superproduction promise au plus grand succès (plus de 8 000 visiteurs...

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  • BACON FRANCIS (1909-1992)

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  • BRAQUE GEORGES (1882-1963)

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