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ROUSSEAU JEAN-JACQUES (1712-1778)

Jean-Jacques Rousseau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Jean-Jacques Rousseau

En plein siècle des Lumières, Jean-Jacques Rousseau élève une véhémente protestation contre le progrès des sciences et l'accumulation des richesses, contre une société oppressive et des institutions arbitraires. Il stigmatise la dénaturation croissante de l'homme et prévient ses contemporains que, faute de retourner à la simplicité naturelle, ils courront inévitablement à leur ruine. Il propose tour à tour de réformer l'éducation, les mœurs, les institutions politiques et sociales, le droit et même la religion. Si l'homme occupe aujourd'hui une place centrale dans notre conception du monde, c'est en grande partie à Rousseau qu'on le doit. Ainsi que l'a dit Kant : « Rousseau est le Newton du monde moral. »

« Une misérable question d'Académie »

Émile, J.-J. Rousseau - crédits : AKG-images

Émile, J.-J. Rousseau

En réponse à Mgr de Beaumont, archevêque de Paris qui avait condamné l'Émile, Rousseau écrit :

« J'étais né avec quelque talent, cependant j'ai passé ma jeunesse dans une heureuse obscurité, dont je ne cherchais point à sortir [...]. J'approchais de ma quarantième année, et j'avais, au lieu d'une fortune que j'ai toujours méprisée, et d'un nom qu'on m'a fait payer si cher, le repos et des amis, les deux seuls biens dont mon cœur soit avide. Une misérable question d'Académie m'agitant l'esprit malgré moi me jeta dans un métier pour lequel je n'étais point fait ; un succès inattendu m'y montra des attraits qui me séduisirent. Des foules d'adversaires m'attaquèrent sans m'entendre, avec une étourderie qui me donna de l'humeur, et avec un orgueil qui m'en inspira peut-être. Je me défendis, et de dispute en dispute je me sentis engagé dans la carrière, presque sans y avoir pensé. Je me trouvai devenu, pour ainsi dire, auteur à l'âge où l'on cesse de l'être, et homme de lettres par mon mépris même pour cet état. Dès-là je fus dans le public quelque chose : mais aussi le repos et les amis disparurent. Quels maux ne souffris-je point ? »

Rousseau a répété plusieurs fois que sa vocation littéraire était née sur la route de Vincennes, où, dans une sorte d'illumination, il avait découvert la voie à suivre pour réformer une société injuste et oppressive. Jusqu'alors il avait songé à faire une carrière de musicien, jouant du violon, de l'orgue et du clavecin, dirigeant de petits concerts et donnant des leçons de musique. À trente ans il imagina un nouveau système de notation musicale qu'il présenta à l'Académie des sciences de Paris avant de le publier (Dissertation sur la musique moderne), puis il se mit à composer un opéra, Les Muses galantes, qui ne remporta pas le succès attendu, et il écrivit plusieurs pièces de circonstances.

Un jour d'octobre 1749 – il était dans sa trente-huitième année – Rousseau prit la route de Vincennes pour rendre visite à Diderot qui était incarcéré au Donjon, pour avoir écrit la Lettre sur les aveugles. Tout en marchant, Rousseau parcourut Le Mercure de France qu'il avait emporté et tomba sur la question proposée par l'académie de Dijon pour le prix de l'année suivante : Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs.

« À l'instant de cette lecture, nous dit-il dans ses Confessions, je vis un autre univers et je devins un autre homme. » Il fut comme ébloui de mille lumières, des foules d'idées se pressèrent dans son esprit, il sentit « sa tête prise par un étourdissement semblable à l'ivresse ». Rousseau était si bouleversé qu'il dut se reposer sous un des chênes de l'avenue de Vincennes, et c'est là qu'il rédigea ce que l'on appelle la « prosopopée de Fabricius », où il engage les Romains – c'est-à-dire ses contemporains – « à renverser les amphithéâtres, à briser les marbres, à chasser les esclaves qui les[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Genève, Doyen honoraire de la faculté des lettres

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Pour citer cet article

Bernard GAGNEBIN. ROUSSEAU JEAN-JACQUES (1712-1778) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

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Jean-Jacques Rousseau

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Émile, J.-J. Rousseau

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