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ROUSSEAU JEAN-JACQUES (1712-1778)

L'épreuve de la connaissance de soi

Victime de l'incompréhension et de la persécution, Rousseau se mit à rédiger ses Confessions, à la fois pour justifier sa conduite et pour éclairer le monde sur sa personnalité. La « lapidation » de Môtiers, puis l'expulsion de l'île de Saint-Pierre interrompirent une première fois ce travail qui fut repris à Wootton, en Angleterre, où Rousseau s'était réfugié. Toutefois la solitude, la méconnaissance de la langue et les dispositions psychiques de Rousseau lui-même (certains incidents aggravant un délire de persécution déjà latent) persuadèrent l'auteur qu'il était la proie d'un immense complot, ourdi non seulement par les encyclopédistes et les théologiens, mais encore par les ministres et même par les simples citoyens pour étouffer sa voix, la voix de la vérité. Pris de panique, il quitta subitement l'Angleterre, en déclarant qu'il s'engageait à ne plus rien publier de son vivant « sur quelque sujet que ce puisse être » et qu'il renonçait même à écrire ses mémoires. Désormais Rousseau va vivre dans la société de la nature, se passionnant pour la botanique et s'enchantant au souvenir des moments heureux de sa jeunesse que ses promenades lui rappellent. Il collectionnera des plantes, formera des herbiers et rédigera pour une de ses amies des « lettres sur la botanique ». La nature n'a rien perdu, à ses yeux, de sa vertu apaisante, elle détourne l'homme de ses angoisses et de ses obsessions, elle est source de rêverie et même d'extase, car elle témoigne de l'art avec lequel Dieu a construit le monde.

Au retour de ses promenades, Rousseau poursuit la rédaction de ses Confessions qui, dans son esprit, ne doivent paraître que longtemps après sa mort. La première partie, qui mène le lecteur de la naissance de l'écrivain jusqu'à son départ pour Paris en 1742, a une tonalité enjouée. Rousseau veut montrer un homme dans toute la vérité de la nature, il veut brosser le portrait sincère d'un être – exceptionnel et unique, croit-il – pour que chaque lecteur puisse s'y référer. Et, pour y parvenir, il procède d'une manière tout à fait nouvelle et originale : il recherche dans son enfance ce qu'il nomme ses « chaînes d'affections secrètes », ce qu'en termes freudiens on appelle des « sensations déterminantes », et il construit son portrait à partir de telles observations. La seconde partie des Confessions (exception faite du livre VII qui appartient encore à la première par la gaieté de ton) a été écrite beaucoup plus rapidement, en quelques mois seulement, à une époque où Rousseau, brouillé avec presque tous ses amis, est méfiant, hypersensible. Aussi va-t-il interpréter les événements qu'il relate à la lumière des drames qu'ils ont provoqués et leur donner une signification rétrospective. Au paradis de l'enfance, décrit dans les sept premiers livres, succède le désarroi de la vieillesse.

Rousseau est-il revenu à Paris en 1770 pour déjouer ce « complot » dont il n'arrivait à connaître ni l'objet, ni la trame, ni même l'instigateur ? Le fait est qu'il entreprit de lire ses Confessions dans des cercles privés, avec l'espoir de retrouver l'amitié fraternelle qui lui faisait défaut. Mais ces lectures ne provoquèrent qu'un silence gêné. Alors il écrivit les Dialogues de Rousseau juge de Jean-Jacques, dans lesquels il se met en scène pour mieux répondre à ses accusateurs. Vivant dans un monde absurde, Rousseau va tenter, à nouveau, de défendre les droits de l'innocence et de rassembler son être pour en reconstituer l'unité. Une fois encore, il entrevoit le paradis terrestre et le propose à la nostalgie des hommes. Commencé sous le signe de la peur et du désespoir, l'ouvrage – véritable itinéraire[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Genève, Doyen honoraire de la faculté des lettres

Classification

Pour citer cet article

Bernard GAGNEBIN. ROUSSEAU JEAN-JACQUES (1712-1778) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Jean-Jacques Rousseau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Jean-Jacques Rousseau

Émile, J.-J. Rousseau - crédits : AKG-images

Émile, J.-J. Rousseau

Autres références

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