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ART (L'art et son objet) Création contemporaine

À la veille de la Première Guerre mondiale, Marcel Duchamp ouvrait avec le readymade un nouveau chapitre de l'art moderne. Un tabouret surmonté d'une roue de bicyclette (1913), puis un porte-bouteilles (1914), une pelle à neige (In advance of the broken arm, 1915), un urinoir (Fountain, 1917), le tout acheté dans le commerce, se voyaient érigés au rang d'œuvres d'art. L'artiste, simplement – mais aussi autoritairement, en s'arrogeant au passage le libre droit de disposer à sa guise de la notion d'« art » – en avait décidé ainsi.

L'épisode du readymade, s'il n'a pas empêché aux formes conventionnelles d'art de se perpétuer, pose néanmoins une question ontologique de taille. Qu'est-ce donc, à présent, qu'une « œuvre d'art », si sont balayées les notions de savoir-faire (la tekhnè), de beauté, de sublimation ? Formulé autrement, « quand y a-t-il art ? », pour reprendre la célèbre question de l'esthéticien américain Nelson Goodman, dès lors que l'œuvre d'art, pour advenir, se résume à un acte banal, au simple déplacement d'un objet usuel d'un lieu vers un autre. Subsidiairement, qu'est-ce à présent qu'un « artiste » (artista, ce terme italien apparaît au xve siècle, nous apprend l'étymologie, pour qualifier l'« homme d'un métier difficile »), si toute notion de compétence est rendue obsolète ?

Vers une « nature moderne »

Loin que le readymade sclérose la notion d'œuvre d'art, il la fait au contraire éclater. La meilleure preuve en est ce constat, que tout un chacun formera s'il est familier des expositions d' art contemporain : l'œuvre d'art, à présent, ce peut être tout, son contraire et bien d'autres choses. Cherche-t-on des tableaux ? On en trouvera, mais peu d'ordinaires, et rarement préoccupés de beauté ou d'imitation. Des sculptures ? Tout pareil, mais remplacées à l'occasion par des « installations » volontiers hétéroclites, par des « environnements ». À ce premier lot ajoutons ce qui fait le fonds commun de la création plasticienne depuis les années 1950, d'une multiplicité sans pareille de formes et de gestes : happenings (Le Bon Marché d'Allan Kaprow, 1963), performances (Appréhension du sol urbain du groupe d'artistes UNTEL constitué par Jean-Paul Albinet, Philippe Cazal et Alain Snyers, 1975), animations urbaines (Une journée dans la rue de G.R.A.V., Groupe de recherche d'art visuel, 1966), forums d'artistes (Index : Incidents au musée, d'Art and Language, 1985-1987), œuvres interactives (The File Room de Jeffrey Shaw, 1994), création d'entreprises (la société UR créée par Fabrice Hyber en 1994) et de clubs de troc, marches et expéditions, épreuve de marathon prolongée de trois cents mètres, tentative de suicide à la roulette russe en public..., dans le désordre. Dans tous les cas, des œuvres d'art.

Autour de 1960, moment où la modernité artistique s'épuise en manifestes et en éphémères renouvellements stylistiques, l'artiste Dick Higgins forge le terme intermedia, et le musicien John Cage celui d'inclusion. Ces deux vocables profilent l'œuvre future : une création faite de tout ce que compte la réalité, sans exclusive d'intention, de thème ou de forme. Ce positionnement naît d'une évidence : les avant-gardes ont épuisé leurs défis, elles se dessèchent. Le monochrome (Malevitch, années 1910), l'exposition du vide (Yves Klein, 1959), la sculpture minimale (années 1960), alors, sont déjà des souvenirs. La réponse à cet avenir aux airs d'impasse, c'est le rejet insouciant de la vocation transcendantale et l'intérêt des artistes, dans la lointaine foulée de Courbet (Manifeste du réalisme, 1855), pour la réalité. Pop[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à la faculté des arts d'Amiens, critique d'art, historien de l'art, écrivain

Classification

Pour citer cet article

Paul ARDENNE. ART (L'art et son objet) - Création contemporaine [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE DE L'ART

    • Écrit par Brigitte DERLON, Monique JEUDY-BALLINI
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    L’anthropologie de l’art désigne le domaine, au sein de l’anthropologie sociale et culturelle, qui se consacre principalement à l’étude des expressions plastiques et picturales. L’architecture, la danse, la musique, la littérature, le théâtre et le cinéma n’y sont abordés que marginalement,...

  • ART (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 282 mots

    Les liens qui ont longtemps uni l’art et la religion se sont-ils distendus au fil de l’histoire ? L’art s’est-il émancipé de la religion pour devenir une activité culturelle autonome ? Alain (1868-1951) se serait-il trompé en affirmant que « l’art et la religion ne sont pas deux choses,...

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  • ŒUVRE D'ART

    • Écrit par Mikel DUFRENNE
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  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par Jean-François POIRIER
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    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

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    • Écrit par Gerald M. ACKERMAN
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    Le terme « académisme » se rapporte aux attitudes et principes enseignés dans des écoles d'art dûment organisées, habituellement appelées académies de peinture, ainsi qu'aux œuvres d'art et jugements critiques, produits conformément à ces principes par des académiciens, c'est-à-dire...

  • ALCHIMIE

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    ...phénomènes perçus par nos sens et par leurs instruments. Cette hypothèse peut sembler aventureuse. Pourtant, le simple bon sens suffit à la justifier. Tout art, en effet, s'il est génial, nous montre que le « beau est la splendeur du vrai » et que les structures « imaginales » existent éminemment puisqu'elles...
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    ...le succès correspond peut-être à un besoin accru encore par les progrès de la pensée positive et pour ainsi dire en réaction contre elle. D'autre part, on peut trouver dans la vie artistique, sous toutes ses formes, la recherche d'une harmonie entre le subjectif et l'objectif, en même temps qu'un retour...
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