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PROVERBES

Mise à mort et résurrection

Autre caractère fondamental des proverbes : leur lien avec la paysannerie. Les soulèvements populaires du xviie siècle vont obliger les intellectuels, intermédiaires culturels, à prendre parti pour ou contre leur emploi. Cette option n'est pas évidente dans le Trésor de la langue française (1605), dictionnaire de Nicot qui s'ouvre sur une suite de cent vingt proverbes, ni dans La Comédie des proverbes de Monluc de Cramail (1623), mais elle est déjà très perceptible dans Les Curiosités françaises de César Oudin (1640) qui classe les proverbes ou expressions proverbiales en catégories : familières, vulgaires, basses, triviales. Les proverbes seront aussi, jusqu'à la fin du règne de Louis XIII, le support d'un jeu qui fait fureur dans les salons parisiens et les collèges : saynètes improvisées ou non, énigmes simples dont « le mot » est précisément un proverbe. Mais après la grande peur de la Fronde (1648) et la sanglante répression qui la suit, les proverbes, pourtant connus et utilisés dans toutes les couches sociales – comme en témoigne le succès des « proverbes illustrés » de Lagniet (1657) –, deviennent la cible favorite des écrivains « pensionnés » par Louis XIV. Ils sont raillés et assimilés aux quolibets. Le dictionnaire de Furetière (1690) adopte à leur égard la même attitude que celui de l'Académie (1694). Racine, dans Les Plaideurs, fait parler par proverbes les personnages bornés et ridicules. Perrault, dans L'Oublieux (1691), les pastiche méchamment en les réduisant à des truismes stupides. Attitude plus nuancée chez Molière qui a compris que le « détournement » entre dans la notion même de proverbe : Harpagon, après avoir loué la sagesse de « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger », s'embrouille et inverse l'énoncé. La Fontaine, à contre-courant, admire les proverbes, en fait la trame de ses fables et n'hésite pas à en citer quelques-uns en langues vernaculaires comme dans « Le loup, la mère et l'enfant » (Fables, IV, 16) qui s'achève par un savoureux proverbe picard.

Paradoxalement, même après la Fronde, le jeu des proverbes et les pièces intitulées « Proverbes » restent à la mode, non seulement dans les salons de province, mais aussi à la cour et jusqu'au xviiie siècle (avec Collé, Carmontelle et Berquin). Mme de Maintenon en fera représenter à Saint-Cyr, mais ces saynètes s'articulent sur des maximes savantes plutôt que sur des proverbes populaires.

Le puissant éveil des nationalités et le romantisme vont remettre à la mode les contes et, à leur suite, les proverbes. Dans le sillage des collectes à visée philologique et nationaliste des frères Grimm (1812-1823) s'effectuent, en France, les premiers recensements systématiques : entre beaucoup d'autres, celui de La Mésangère (1827) et, quasi exhaustif et devenu classique, le Livre des proverbes français, en deux volumes, d'Antoine Leroux de Lincy (1840, 2e éd. augmentée 1859). Cette vogue produit plusieurs œuvres originales où la culture populaire semble régénérer l'art salonnier : Quitte pour la peur (1833) d'Alfred de Vigny et surtout On ne badine pas avec l'amour (1834) et Comédies et proverbes (1840) d'Alfred de Musset. Ce genre sera redécouvert au xxe siècle par le cinéma ; entre autres par l'auteur-réalisateur Éric Rohmer qui, entre 1981 et 1988, regroupe un ensemble de six films sous le titre général de Comédies et proverbes.

La révolution industrielle et le progrès des communications, entre le second Empire et la guerre de 1914-1918, vont menacer et en même temps protéger la littérature orale. Les contes, les chansons populaires, les proverbes, érodés et contaminés par l'imprimé, trouvent des défenseurs obstinés et prestigieux : Gérard de Nerval, Duparc, Vincent d'Indy.[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur émérite à l'université de Paris-VII-Jussieu

Classification

Pour citer cet article

Marc SORIANO. PROVERBES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Littératures

    • Écrit par Jean DERIVE, Jean-Louis JOUBERT, Michel LABAN
    • 16 566 mots
    • 2 médias
    ...souvent très formulaires, ne serait-ce que pour en faciliter la mémorisation. On y retrouve donc pour les contes, les devinettes et parfois même pour les proverbes (chez les Kpèlè de Guinée par exemple) des formules spécifiques d'introduction, de conclusion, des formulettes intérieures qui tendent...
  • GNOMIQUE POÉSIE

    • Écrit par Véronique KLAUBER
    • 269 mots

    Mettre en vers des sentences, des maximes ou des préceptes moraux sert avant tout leur mémorisation, mais leur attrait esthétique ainsi augmenté doit contribuer à leur meilleure propagation. Aussi la poésie gnomique existe-t-elle depuis toujours. Elle est très présente dans la littérature...

  • MAXIME

    • Écrit par Jean MARMIER
    • 344 mots

    Le relief obtenu par la grande concision et l'emploi des figures dans un énoncé moral de portée générale a toujours été recherché, pour s'imposer à l'attention et à la mémoire, par le genre gnomique ; et ce genre s'insinue dans tous les autres. Au xvie siècle, les...

  • MÉTAPHORE

    • Écrit par Jean-Yves POUILLOUX
    • 6 370 mots
    ...pour ne pas s'en apercevoir. On en trouverait facilement d'autres exemples ; l'un des plus éclairants peut-être serait à voir dans L'Expérience du proverbe de Jean Paulhan, qui, devant les proverbes malgaches, découvre (peu à peu) qu'un même énoncé change totalement de sens selon qu'on l'entend comme...

Voir aussi