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MARQUE, marketing

Le nouveau management de la marque

De la marque au produit

Au début des années 1990, la chaîne de télévision française T.F.1 lança une émission à succès, « Ushuaïa ». Cette émission animée par Nicolas Hulot, jeune explorateur intrépide, menait le téléspectateur en U.L.M. au-dessus des chutes du Zambèze, ou en scooter des mers dans le delta du Mékong. D'abord mensuelle, l'émission devint le rendez-vous hebdomadaire de millions de téléspectateurs, jeunes et vieux. « Ushuaïa » était devenu le point de ralliement d'un public avide de nature, d'évasion, d'authenticité, de naturalité moderne. C'est pourquoi T.F.1 s'enquit activement d'éventuelles entreprises intéressées par la concession de ce nom, moyennant royalties. Or, au même moment, le groupe L'Oréal cherchait à pénétrer le marché des produits gel-douche, bains et déodorants. Dans ces marchés de grande distribution, chaque point de part de marché est très onéreux et le fait d'arriver tard est un réel handicap. L'Oréal vit dans ce nom d'« Ushuaïa », ultra-connu, chargé de valeurs positives et uniques, un potentiel de marque prête à l'emploi. L'Oréal se saisit donc de la licence du nom pour la catégorie hygiène-beauté. Il restait à trouver les produits. Munis du contrat implicite que la marque Ushuaïa porte en elle, le marketing de L'Oréal rédigea un cahier des charges pour les responsables du laboratoire : il fallait élaborer des formules en accord avec cette promesse, à un prix compatible avec le circuit de distribution (les grandes surfaces) et offrant malgré tout la rentabilité requise pour l'entreprise, ses actionnaires et ses distributeurs. Parallèlement, Ushuaïa est devenue une chaîne de télévision centrée sur l’évasion et la biodiversité.

Au cycle habituel dans lequel la marque naît d'un produit nouveau, succède un mode de management inversé, où la marque précède le produit. C'est devenu le mode dominant de gestion des marques en quête de croissance dans des marchés matures. Plutôt que de se livrer un combat de guerre de tranchées entre concurrents en oligopole sur des marchés qui ne croissent plus vraiment, les marques cherchent à exploiter un effet de levier : leur nom réputé ne leur offre-t-il pas de meilleures perspectives sur d'autres marchés, eux en croissance forte ? Le problème du produit est alors second, au sens non pas de secondaire, mais de subséquent. La marque prime et constitue l'avantage concurrentiel. Il conviendra après de créer l'offre pertinente en rapport avec ses valeurs.

C'est ainsi que fonctionne le système Virgin, ou encore celui de Nike. Qu'est-ce que Virgin ? Une marque de valeurs cherchant les meilleurs marchés pour tirer tout le profit de ses valeurs. Quelles sont-elles ? Jeunesse, impertinence, non-conformisme, liberté, toutes contenues dans les produits fondateurs de Virgin. Virgin cherche donc tous les marchés où ces valeurs ont du sens car, en tant que marque mondiale, elle dispose d'un avantage concurrentiel notoire. C'est pourquoi Virgin cherche et affectionne les marchés cartellisés, ou soumis à la fausse concurrence d'un duopole. Dans ces marchés, en effet, un trouble-fête peut occuper une place très rentable. C'est ainsi que Virgin a investi le marché du coca, dominé par Coca-Cola et Pepsi-Cola, celui du soft-drink à l'orange dominé par Fanta et Orangina, celui du crédit en Grande-Bretagne, où les banques traditionnelles discréditées auprès de l'opinion publique pratiquent des taux exorbitants, celui du trafic aérien sur l'Atlantique nord. La liste de tels marchés est longue.

Marques sans production

Dans sa version ultime, le management de la marque n'a plus besoin de production. Quel est le business de Nike ? Faire croître la valeur de la marque Nike. Pour cela, il faut[...]

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Classification

Pour citer cet article

Jean-Noël KAPFERER. MARQUE, marketing [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AGRICOLE RÉVOLUTION

    • Écrit par Abel POITRINEAU, Gabriel WACKERMANN
    • 8 076 mots

    « L'habitude s'est prise de désigner, sous le nom de révolution agricole, les grands bouleversements de la technique et des usages agraires qui, dans toute l'Europe, à des dates variables selon les pays, marquèrent l'avènement des pratiques de l'exploitation contemporaine » (Marc Bloch)....

  • ALIMENTATION (Économie et politique alimentaires) - Économie agroalimentaire

    • Écrit par Jean-Pierre HUIBAN, Egizio VALCESCHINI
    • 7 359 mots
    • 6 médias
    Lesenseignes de la distribution se sont d'abord appuyées sur le développement de leurs propres marques commerciales (marques de distribution ou M.D.D.), au détriment de celles des fabricants. Elles ont ensuite conçu de nouvelles marques de qualité qui se réfèrent à l'origine des produits ou aux méthodes...
  • AUTOMOBILE - Conception

    • Écrit par Jean-Paul MANCEAU, Alfred MOUSTACCHI, Jean-Pierre VÉROLLET
    • 10 562 mots
    • 7 médias
    – Les mutations de l'industrie automobile. Mondialisation oblige, les quelque cinquante marques, qui couvraient le marché automobile de la seconde moitié du xxe siècle, se trouvent aujourd'hui regroupées au sein d'une dizaine de groupes acharnés à défendre leurs positions et, si possible, à les...
  • ENFANCE (Situation contemporaine) - L'enfant dans la société de consommation

    • Écrit par Benoît HEILBRUNN
    • 5 003 mots
    • 1 média
    ...sensorielles et motrices qu'il développe avec lui. Même si l'enfant est capable, dès trois ans, de formuler des préférences, l'apprentissage des produits et des marques se fait essentiellement de façon sensorielle jusqu'à quatre ans. Les produits sont perçus par rapport à leurs formes (rondes, anguleuses), leurs...
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Voir aussi