ALIMENTATION (Économie et politique alimentaires) Économie agroalimentaire
Dans les pays développés, les industries agroalimentaires représentent un monde qui semble familier. Chacun, confronté à la nécessité de se nourrir, entretient, sinon des contacts quotidiens, du moins une relation suivie avec les producteurs et les distributeurs alimentaires. C'est un fait majeur qu'aujourd'hui, en France et d'une manière générale dans tous les pays industrialisés, les consommateurs recourent principalement aux produits transformés, fabriqués par les industries agroalimentaires, pour assurer leur alimentation. Il s'agit en outre d'une branche d'activités particulièrement médiatisée. La publicité ou encore un certain nombre de débats relatifs à l'alimentation, parfois nourris par des crises sanitaires plus ou moins graves, apportent eux aussi leur lot d'informations sur les produits ou sur les acteurs économiques.
Pourtant, les activités agroalimentaires constituent un ensemble complexe. Elles réunissent des industries de transformation diverses qui comprennent des entreprises très différentes, de la petite entreprise régionale au grand groupe multinational. Ces industries agroalimentaires, les « I.A.A. de la comptabilité nationale », échangent, en amont, avec des fournisseurs agricoles et, en aval, avec des distributeurs alimentaires. L'ensemble constitue la filière agroalimentaire (ou les filières agroalimentaires si l'on souhaite distinguer selon les produits). Comprendre le fonctionnement de ces activités et, surtout, leur évolution, nécessite de prendre en compte l'ensemble de ces dimensions.
Les études statistiques montrent l'importance économique considérable des I.A.A. dans un pays comme la France. Leur puissance n'est pas nouvelle et a pu être maintenue grâce à la capacité d'adaptation des filières. Quelle situation doivent-elles maintenant affronter ?
L'analyse des stratégies de concurrence indique que celle-ci s'est non seulement intensifiée mais qu'elle a également changé de forme. La compétition fait la part belle aux produits de marque, à l'information sur la qualité et à la sécurité des produits, mais la concurrence par les prix demeure acharnée.
La grande distribution est un acteur majeur de cette transformation des règles du jeu concurrentiel, dont elle constitue le premier bénéficiaire. Elle a su s'insérer dans le jeu traditionnel des filières, en particulier en profitant des ouvertures permises par les violentes crises sanitaires qui ont frappé le secteur dans les années 1990, pour acquérir une position dominante.
Des années 1980 au début des années 2000, la filière agroalimentaire a ainsi connu des évolutions rapides qui ont entraîné des changements économiques et organisationnels considérables. Il n'est pas exagéré d'écrire que certes les innovations technologiques, mais surtout les pratiques de concurrence sur les marchés et les évolutions réglementaires, ont tracé les orientations futures de l'économie agroalimentaire.
Les industries agroalimentaires
On définit généralement les industries agroalimentaires comme l'ensemble des activités qui transforment des productions et matières premières d'origine agricole en produits à usage alimentaire. Cela exclut beaucoup de secteurs, notamment l'agriculture en amont et la distribution en aval. D'autres activités importantes ne sont pas non plus concernées, telles les biotechnologies ou la production d'énergie à partir de produits agricoles. Mais, même limité ainsi, l'ensemble des I.A.A. comprend encore un grand nombre de secteurs qui sont parfois d'une nature très différente les unes des autres. Il n'y rien de commun entre des industries lourdes en équipement et en consommation d'énergie, comme la sucrerie, et des activités proches du commerce, comme la boulangerie artisanale. Pourtant l'une et l'autre font partie des I.A.A. telles qu'elles sont définies par les classifications.
Dans la pratique, les activités appartenant à cet ensemble (tabl. 1) regroupent l'industrie des viandes (qui représente en France 18 p. 100 des entreprises agroalimentaires, mais 27 p. 100 des emplois salariés), l'industrie laitière (1,7 p. 100 des entreprises et 10,6 p. 100 des emplois salariés), l'industrie des boissons (3,6 p. 100 des entreprises et 7,7 p. 100 des emplois), le travail du grain (1,9 p. 100 des entreprises et 5,5 p. 100 des emplois). À côté de ces activités clairement identifiables, on trouve un ensemble d'industries diverses qui vont de la sucrerie aux aliments pour bébé. Il représente, en France, 75 p. 100 des entreprises, mais seulement 49 p. 100 des emplois et 35 p. 100 du chiffre d'affaires.
Place dans l'économie française
En tant qu'ensemble agrégé, les I.A.A. tiennent une place importante dans l'économie nationale et, évidemment, au sein de l'industrie française. En 2003, elles représentaient 2,4 p. 100 de l'ensemble des entreprises françaises, mais 27,3 p. 100 des entreprises industrielles. Leur poids dans l'emploi est plus élevé encore : 4,2 p. 100 de l'emploi salarié total et 15,8 p. 100 de l'emploi industriel. Ensuite, ce sont 3,9 p. 100 de la valeur ajoutée de l'économie française dans son ensemble et 14,1 p. 100 de l'industrie française qui sont à mettre au compte des I.A.A. Si l'on termine par les investissements, 3,5 p. 100 du total de l'économie et 17,6 p. 100 du total de l'industrie sont réalisés dans l'agroalimentaire. Par ailleurs, les I.A.A. ont connu une évolution beaucoup plus favorable de l'emploi que le reste de l'industrie : alors que l'emploi a chuté lourdement dans l'industrie (passant du niveau 100 en 1978 au niveau 65 en 2003), il s'est maintenu dans les I.A.A. (passant du niveau 100 en 1978, au niveau 95 en 1993, pour remonter au niveau 100 en 2003).
Un paramètre important mais souvent négligé est la répartition spatiale des activités économiques sur le territoire. Le plus souvent, les productions agricoles sont localisées en zone rurale, certaines industries lourdes à la périphérie des agglomérations, tandis que les services aux entreprises sont majoritairement situés en leur centre. Or les I.A.A. sont significativement présentes quel que soit le type de zone. Cela est vrai en termes d'établissements, mais plus encore en termes d'emplois : certes la majorité de ceux-ci sont situés en ville (50,9 p. 100 du total en 2002), mais 18,5 p. 100 sont localisés dans la périphérie et 30,6 p. 100 en zone rurale. Dans ce dernier cas, les I.A.A. représentent une partie importante de l'activité et constituent souvent le premier employeur industriel. Ce constat se retrouve au niveau régional. L'exemple de la Bretagne, première région européenne pour l'agroalimentaire, montre bien l'importance économique des I.A.A., si, au-delà des chiffres globaux, on raisonne en termes de répartition des activités sur le territoire.
Quelques caractéristiques communes
Comparées à l'ensemble des activités (agriculture, industries et services), les I.A.A. présentent certaines caractéristiques communes (tabl. 2). Le taux de valeur ajoutée y demeure relativement bas. La part de cette valeur ajoutée consacrée aux frais de personnel est plus faible que dans la moyenne des activités, industrielles ou non. Cette faiblesse s'explique, non par le poids des équipements, puisque l'intensité capitalistique se situe à un niveau moyen, mais par le bas niveau des rémunérations lié à un taux de qualification souvent peu élevé. Enfin, dans les I.A.A., si l'on peut trouver un certain nombre de grandes unités, le tissu d'entreprises petites et moyennes (au-dessous de 500 salariés), voire très petites, demeure majoritaire.
Au sein des I.A.A. françaises, les groupes de sociétés représentent 4 p. 100 des entreprises, mais 59 p. 100 de leurs emplois. Ces deux chiffres sont d'ailleurs beaucoup plus faibles que ceux que l'on rencontre dans d'autres secteurs, comme l'automobile, où les groupes représentent 25 p. 100 des entreprises et 96 p. 100 des emplois. 1 370 groupes agroalimentaires étaient implantés dans le secteur en 2003, employant quelque 363 000 salariés. Le premier groupe agroalimentaire français, Danone, n'arrive qu'au treizième rang des groupes mondiaux des I.A.A., avec un chiffre d'affaires de 13,4 milliards d'euros en 2004 (à comparer aux 54,5 milliards d'euros du premier mondial, le groupe suisse Nestlé) .
Un ensemble hétérogène
Si les I.A.A. présentent certaines caractéristiques communes, elles ne peuvent pas être considérées comme un ensemble homogène. Leur diversité s'explique d'abord par la nature des activités : origine de la matière première (animale ou végétale), degré de transformation, type de technique de production utilisé, type de marché (autres industriels ou consommateur final). Ainsi, la taille des entreprises est très variable (tabl. 3). Les petites entreprises (moins de 10 salariés) représentent 37,8 p. 100 des entreprises classées dans « autres I.A.A. », mais rien de significatif dans l'industrie laitière où, par contre, les grands établissements représentent plus des deux tiers des effectifs
À l'intérieur même des I.A.A., une analyse plus fine montre que le paysage est finalement très varié (tabl. 4). L' industrie des viandes est une industrie de main-d'œuvre majoritairement peu qualifiée et rémunérée, à faible taux de valeur ajoutée (rapport entre valeur ajoutée et chiffre d'affaires), mobilisant un faible volume d'équipements par salarié. L'industrie laitière et, plus encore, celle du travail du grain s'éloignent de cette configuration et présentent de fortes ressemblances avec d'autres industries non alimentaires. Quant à l'industrie des boissons, elle constitue un bon exemple d'industrie lourde, avec une très forte intensité capitalistique et un fort taux de valeur ajoutée. Ce dernier indicateur est important ; il mesure le degré de transformation qui caractérise l'activité de chacun de ces secteurs. Certains demeurent proches de la première transformation des matières premières (fabrication de lait ou de fromage), tandis que d'autres s'en éloignent nettement (confiserie). On retrouve ainsi des distinctions souvent utilisées par les professionnels, prenant aussi en compte le marché auquel est destiné le produit : autres industries ou consommateur final.
Contribution des I.A.A. au commerce extérieur français
Le commerce extérieur agroalimentaire a connu une progression très rapide au cours des années 1990. L'excédent commercial dégagé par les I.A.A. françaises est très important. Il atteint, depuis le début des années 2000, 6 à 7 milliards d'euros par an, soit une part très importante de l'excédent commercial total en produits industriels. Ce résultat d'ensemble est obtenu grâce aux performances réalisées par quelques secteurs particuliers : les boissons, notamment alcoolisées (près de 8 milliards d'euros d'excédent par an de 2003 à 2005), les volailles, les fromages, le sucre. À l'inverse, les échanges sont déficitaires en poissons, soja, viande de boucherie. Ces données montrent la grande capacité concurrentielle des I.A.A. françaises, mais aussi une faiblesse : elle repose sur les performances de quelques « champions ».
Ces succès mais aussi l'âpreté de la concurrence ne sont guère étonnants lorsque l'on considère les autres industries agroalimentaires dans le monde. La France n'est bien évidemment pas la seule à posséder une industrie agroalimentaire puissamment développée. En Europe, ce secteur employait 4 490 000 personnes en 2003 (pour l'ensemble de l'Union européenne à 25), et créait une valeur ajoutée de 192 milliards d'euros. Ces chiffres en faisaient le premier secteur de l'industrie, avec 13 p. 100 de la valeur ajoutée et 14 p. 100 des emplois. En 2002, la France n'occupait que le troisième rang européen (avec 28,8 milliards d'euros de valeur ajoutée), derrière l'Allemagne (32,8 milliards) et le Royaume-Uni (30,8 milliards), loin devant l'Italie (18,8 milliards) et l'Espagne (15,4 milliards). Les I.A.A. allemandes employaient 823 000 personnes, contre 650 000 en France et 488 000 dans les I.A.A. britanniques, ces dernières étant beaucoup plus concentrées et mécanisées, et donc plus productives. Ces secteurs jouent un rôle vital pour l'économie dans des pays aussi différents que Chypre, la Pologne ou le Danemark.
Cette photographie statistique du secteur agroalimentaire montre que, dans les grands pays européens, les I.A.A. ont su maintenir un poids économique considérable. Indéniablement, la France, et plus encore l'Europe, est une puissance agroalimentaire mondiale. La concurrence internationale, les progrès technologiques et les crises sanitaires n'ont pas altéré cette puissance, même si certains secteurs, comme par exemple, celui du vin, sont périodiquement soumis à des crises de marché. D'où vient cette capacité d'adaptation ? À quelles évolutions et à quels défis doivent faire face les I.A.A. depuis le début de ce xxie siècle ?
Éclairer ces questions nécessite une analyse « en dynamique ». Il s'agit de comprendre les stratégies d'entreprises, la compétition qu'elles se livrent, les alliances ou les coopérations qu'elles établissent, aussi bien avec leurs concurrents qu'avec leurs fournisseurs ou encore avec leurs clients. Il faut pouvoir considérer les secteurs agroalimentaires dans leur situation au sein des filières.
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Écrit par
- Jean-Pierre HUIBAN : économiste, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (I.N.R.A.)
- Egizio VALCESCHINI : directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique
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