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EUROPE, préhistoire et protohistoire

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On emploie généralement les termes « préhistoire » et « protohistoire » – cette deuxième période étant parfois incluse dans la première –, pour désigner l'étude des sociétés humaines qui n'ont pas laissé de traces écrites. Elle se fonde donc essentiellement sur l'examen des vestiges de la présence humaine que les fouilles archéologiques mettent au jour.

Bien que la délimitation chronologique varie selon les régions du monde et soit susceptible de nouvelles datations, en fonction des découvertes, on peut dire que la préhistoire rassemble le Paléolithique, le Mésolithique et le Néolithique (cf. ces trois articles). La période la plus longue, le Paléolithique, ne commence pas avec l'apparition des premiers hominidés (il y a de 6 à 7 millions d'années), mais avec l'apparition des premiers objets de pierre travaillés par l'homme, soit aux alentours de 3 millions d'années, et finit aux environs de – 10 000 ans. Ses traits caractéristiques sont le développement de l'industrie de la pierre au début, puis de la pierre et de matières dures animales à la fin (des objets en matières végétales ont sûrement existé pendant ces périodes, mais ils ne sont que très rarement conservés), et une économie de prédation. Ces hommes préhistoriques sont des nomades chasseurs-cueilleurs. Le Mésolithique constitue, pour ce qui concerne l'Europe, une période spécifique : l'homme conserve un outillage varié, réalisé dans différentes matières, mais n'évolue plus dans un environnement glaciaire. Son outillage devient microlithique, car probablement mieux adapté aux conditions environnementales liées au changement climatique. Il vit uniquement de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Au Néolithique, qui se situe en Europe entre vers – 6500 - – 4000, les hommes se sédentarisent, pratiquent l'agriculture et l'élevage – à partir d'espèces qui semblent avoir été domestiquées d'abord au Moyen-Orient –, construisent les premiers villages : l'économie devient productrice, tandis qu'une nouvelle forme d'organisation sociale se fait jour.

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La protohistoire se présente comme la période postérieure au Néolithique, où se développent des sociétés sans écriture qui vont maîtriser les premiers métaux. Elle correspond au Chalcolithique ou Âge du cuivre, à l'Âge du bronze, puis l'Âge du fer. Les plus récentes de ces sociétés seront contemporaines d'autres civilisations qui maîtriseront l'écriture. Considérée parfois comme une époque de transition entre la préhistoire et l'histoire, la protohistoire n'en constitue pas moins une phase originale de l'évolution humaine, marquée par la découverte et le développement de la métallurgie. C'est aussi le moment où se renforce la dimension défensive de l'habitat, avec la création d'enceintes destinées à protéger des sites. Un nouveau type d'urbanisation apparaît alors, ainsi qu'une organisation sociale complexe qui vont permettre l'émergence des premiers États.

Du Paléolithique au Mésolithique

Les premiers peuplements

Jusqu'au début des années 1990, deux hypothèses s'opposaient sur la question du premier peuplement de l'Europe. Selon la première, il se situe aux alentours de 600 000 à 550 000 ans, subcontemporains de la présence sur ce continent de l'Acheuléen (période du Paléolithique inférieur caractérisée par la fabrication d'outils taillés sur les deux faces, appelés bifaces). Les traces plus anciennes étaient, selon les tenants de cette hypothèse, trop sporadiques et très discutables. Selon la seconde hypothèse, l'Europe aurait été peuplée il y a un million d'années ou plus. Les données archéologiques analysées étaient alors exclusivement des vestiges lithiques mis au jour sur des sites dont certains aspects (dynamique de formation des niveaux sédimentaires livrant les vestiges, incertitudes sur les datations chronologiques, discussions sur le caractère intentionnel de la taille) n'étaient pas ou peu pris en considération.

Depuis lors, de nouvelles découvertes ont confirmé la seconde hypothèse. Les données sont de type paléoanthropologique (fossiles d'homininés) et archéologique (objets lithiques et traces anthropiques sur des ossements de faune chassée ou « charognée »).

Aux portes de l'Europe

Il y a 1,8 million d'années, des homininés ont vécu aux marges de l'actuel continent européen, à Dmanisi, en Géorgie. Le gisement témoin se situe sur les flancs méridionaux des monts du Caucase et a livré une série de vestiges osseux (crâniens et infracrâniens) de plusieurs individus. Ces fossiles sont difficiles à rapporter à un taxon déjà défini en Afrique ou en Extrême-Orient. Ils montrent une grande variabilité morphologique et probablement un important dimorphisme sexuel. Le nom d'espèce Homo georgicusa été proposé. Mais cette idée n'est pas consensuelle, certains préférant les dénommer early Homo. Si des caractéristiques paraissent assez primitives et voisines de celles d'Homo ergaster, une des mandibules, avec son arcade dentaire complète, s'inscrit assez bien au sein de la variabilité de fossiles plus récents, tels l'Homo sapiensarchaïque.

Les plus vieux européens aux alentours du million d'années

Éclats en silex, Orce, Andalousie - crédits : A.Turq

Éclats en silex, Orce, Andalousie

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Les premières traces d'une présence humaine en Europe proviennent d'Espagne. En effet, dans la région andalouse, dès 1983, est annoncée la découverte de plusieurs fossiles humains : tout d'abord, un fragment d'occipital daté d'environ 1,6 million d'années, mis au jour dans le gisement de Venta Micena (province de Grenade). Puis, un peu plus tard, une phalange de la main et deux fragments d'humérus un peu plus récents (de 1,1 à 1,3 million d'années) provenant du site voisin de Cueva Victoria (province de Murcie). Par la suite, le fragment crânien sera plutôt rapporté à un équidé, tandis que d'autres restes correspondraient à des os longs de carnivores. Toutefois, dans la région d'Orce, la poursuite des recherches à l'extrémité orientale de la dépression de Guadix-Baza a permis la découverte, au bord d'un lac, de deux gisements datés de près de 1,2 million d'années : l'un, Barranco Leon, est situé au débouché d'un cours d'eau aujourd'hui intermittent ; l'autre, Fuentenueva 3, est localisé sur une plage et est mieux conservé. Ces deux sites ont livré aux chercheurs une riche faune de grands herbivores (équidés, bovinés, cervidés, éléphant, hippopotame) et un abondant matériel lithique indiscutablement d'origine humaine. Il s'agit essentiellement d'éclats obtenus au percuteur de pierre, de nucléus, de quelques rares pièces retouchées (façon particulière de ré-aviver les tranchants des outils) et de nombreux blocs ou galets collectés de l'environnement immédiat.

Le plus vieux fossile européen incontestable est une dent humaine découverte en 2006 dans l'un des karsts de la Sierra de Atapuerca, près de de Burgos (nord de l'Espagne), dans le gisement de la Sima del elefante. Il s'agit d'une prémolaire inférieure usée, appartenant à un adulte, qui proviendrait d'un niveau âgé de près de 1,2 million d'années.

D'autres gisements en Europe ont livré des objets lithiques rapportés à une activité humaine, même si la nature anthropique de beaucoup d'entre eux, et même leur position chronologique sont souvent contestées : Chilhac III, en Haute-Loire (autour de 1,5 million d'années) ; le Vallonnet dans les Alpes-Maritimes (entre 1,1 million et 900 000 ans) ; Monte Pogglio en Italie, près de Bologne (entre 1,3 million et 730 000 ans)...

Nouveaux fossiles, nouvelles espèces d'homininés

Toujours à Atapuerca, le gisement de la grande doline possède une véritable séquence stratigraphique avec plusieurs occupations humaines. De 1994 à 1996, le niveau TD6 (Aurora stratum), datant de 857 000 à 780 000 ans, a livré une centaine de restes humains, représentant six individus différents, qui étaient associés à 268 vestiges lithiques, dont des pièces retouchées, ainsi qu'à des ossements animaux. Parmi tous les fossiles humains, un fragment de massif facial supérieur d'un sujet immature et un morceau de mandibule appartenant à un autre individu, avec une morphologie primitive, ont permis de proposer la création d'une nouvelle lignée humaine, Homo antecessor. Selon ses inventeurs, elle serait antérieure à Homo heidelbergensiset aussi à Homo sapiens. Si cette hypothèse n'a pas été acceptée de façon consensuelle, la découverte, dans le même niveau en 1997, d'une hémi-mandibule gauche a démontré l'importante variabilité morphologique d'Homo antecessor. En 1994, dans le gisement de Ceprano (centre de l'Italie), a été trouvé un crâne incomplet, très fragmentaire et sans mandibule, d'un homininé supposé adulte. Le spécimen provient d'un niveau âgé de près de 700 000, voire 800 000 ans. L'appartenance à une nouvelle famille humaine, Homo cepranensis, d'abord proposée, a été ensuite invalidée. Le fossile présente des caractères qui le rapprocheraient de sujets généralement rapportés au groupe d' Homo erectusafricain. Sa capacité crânienne est de 1 057 cm3.

Entre 1,2 million d'années et 550 000 ans, l'Europe semble n'avoir été fréquentée que de façon sporadique. Dans tous les gisements, l'outillage lithique, que certains qualifient d'oldowayen (période antérieure à l'Acheuléen), est composé d'éclats bruts, de nucléus et de quelques rares pièces retouchées. De plus, les galets aménagés sont rares (sauf sur certains sites comme Monte Poggiolo en Italie et le Vallonnet en France). Cet équipement contraste avec celui que l'on trouve à la même période au sud de la Méditerranée, notamment au Maroc. Là, les bifaces dits acheuléens, qui n'apparaissent en Europe que bien plus tard, sont déjà présents. Comment expliquer cette différence ? Deux hypothèses s'opposent à nouveau. La première considère que les plus vieux Européens seraient les descendants d'homininés ayant quitté l'Afrique et colonisé l'Asie. Ils seraient arrivés en Europe en suivant les migrations d'espèces animales asiatiques mises en évidence durant cette période. Selon la seconde hypothèse, ces industries sont aussi acheuléennes. L'absence de son outil caractéristique, le biface, serait liée soit à la rareté des objets lithiques découverts, soit aux contraintes physiques des matières premières disponibles (dimensions, qualité).

L'Acheuléen et la mise en place d'un peuplement pérenne

Vers 550 000 ans commence l'occupation permanente de l'Europe. Elle est l'œuvre de groupes acheuléens qui occupent d'abord le sud de régions soumises, lors des phases glaciaires, aux phénomènes périglaciaires liés à l'extension de la banquise. La rareté des sites à bifaces à l'est de l'Europe et en Turquie semble indiquer qu'ils viendraient d'Afrique. Les voies de passage, que sont le détroit de Gibraltar ou ceux qui séparent la Tunisie de la Sicile, pourraient avoir été empruntées. Ces groupes amènent avec eux la panoplie complète de l'outillage qui les caractérise : bifaces de formes variées, parfois à section triangulaire, hachereaux sur éclats, production de grands supports, outillage retouché plus abondant et diversifié. Les plus anciennes occupations sont signalées dans le sud de l'Espagne, à Cortes de Baza, ou de l'Italie, à Isernia la Pineta dans le bassin de Venosa. En quelques dizaines de milliers d'années, les sites deviennent nombreux et diversifiés. Dans le sud de l'Europe, ils sont souvent localisés sur les terrasses anciennes des grands fleuves comme le Gadalquivir, le Tage et l'Ebre en Espagne, ou encore la Garonne en France, les plages (Terra Amata dans les Alpes-Maritimes) ou des grottes (Caune de l'Arago dans les Pyrénées-Orientales). Les hommes exploitent principalement les galets de roches métamorphiques (principalement la quartzite). Plus au nord, les installations se font toujours aux abords ou sur les gîtes de matières premières lithiques, le silex des terrasses ou des bancs de craie, comme en Charentes, dans la vallée de la Somme ou en Angleterre.

Pour cette période, les fossiles humains restent rares. Le site de Boxgrove, situé à l'ouest du comté du Sussex (Angleterre) et daté entre 524 000 et 478 000 ans, est connu pour sa richesse en vestiges lithiques (dont des bifaces) et de faune (grands herbivores exploités par les hommes). Il a livré (site Q1/B), en 1993, un tibia humain et, en 1996, deux incisives d'un même sujet. Les dents sont encore inédites et le tibia, assez grand, devait appartenir à un adulte de près de 1,80 m. C'est un ossement robuste et puissant qui est rapporté à un membre du genre Homo. Aucune autre précision taxinomique ne peut être avancée en raison de l'absence de trait distinctif sur ce fossile. Mais, en fonction de son âge, il est souvent rapporté à Homo heidelbergensis.

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La mandibule de Mauer, mise au jour en 1907 dans les sables de la base de la stratigraphie de la carrière de Grafenrain près de Heidelberg (Allemagne), est l'un des plus vieux fossiles d'Europe dont la découverte fut de grande importance. Il est supposé ancien car rapporté à la phase glaciaire cromérienne (au minimum 423 000 ans). On avance, pour ce fossile, généralement un âge de 500 000 ans. La morphologie de la mandibule se caractérise par un corps robuste et une arcade dentaire petite (en comparaison par exemple de celle de l'Homo erectus asiatique). Il n'y a pas de menton (trait primitif) ni aucun trait qui annoncerait les fossiles européens plus récents. Sa découverte a permis la création de l'ensemble Homo heidelbergensis, en 1908.

L'individualisation de la lignée néandertalienne

Vers 450 000 ans, s'individualisent les premiers représentants d'une lignée qui peuplera l'Europe pendant presque un demi-million d'années. En effet, sur les vestiges osseux de cette période, on peut observer des traits qui annoncent ceux que l'on définira à partir des spécimens plus récents et plus nombreux : les Néandertaliens. Les chercheurs discutent alors de la pertinence d'une lignée néandertalienne, et les fossiles les plus anciens sont considérés comme des pré-néandertaliens. C'est le cas par exemple des spécimens de la Caune de l'Arago à Tautavel, datés de près de 450 000 ans, ou de la Sima de los Huesos (Sierra de Atapuerca), subcontemporains ou un peu plus récents. Sur le premier site, c'est l'unité stratigraphique III qui livre les restes d'homininés : une centaine de vestiges représentant peut-être une vingtaine de sujets. Ce sont essentiellement des dents isolées, des ossements fragmentaires crâniens d'adultes et de spécimens immatures. Le dimorphisme sexuel est important. Sur le second site sont préservés tous les éléments (mélangés) des squelettes de 28 à 32 adultes ou sub-adultes. La concentration des vestiges humains au fond d'une galerie karstique pourrait traduire des préoccupations d'ordre funéraire ou, peut-être, prophylactique. Pour ces fossiles, on préfère le terme pré-néandertalien à celui d'anté-néandertalien car, avec le premier, nous sous-entendons un lien phylogénétique avec les populations néandertaliennes plus récentes. Avec le second n'est établie qu'une antériorité chronologique. Mais il n'y a toujours pas de consensus sur le statut taxinomique de ces « pré-néandertaliens » que divers chercheurs rapportent plutôt à l'ensemble Homo heidelbergensis, à partir duquel s'individualiseraient, en Europe de l'Ouest, les Néandertaliens.

L'Europe a donc été peuplée, avec certitude, il y a 1,2 million d'années. Mais de nombreuses questions restent sans réponse : ce peuplement s'est-il fait en une ou plusieurs vagues ? d'où venaient-celles-ci ? les hommes ont-ils suivi les mouvements des faunes ou sont-ils allés, d'eux-mêmes, à la « conquête » de territoires inhabités ? ce peuplement a-t-il été assez rapidement dense, ou d'abord dispersé et peu important ? quelles régions ont d'abord été concernées, et pour quelles raisons environnementales ou culturelles ? Autant de questions qui trouveront peut-être réponse avec les futures découvertes de sites livrant des vestiges humains, si ceux-ci sont bien datés.

— Bruno MAUREILLE

— Alain TURQ

L'habitat paléolithique

L'image de l'homme préhistorique survivant dans un milieu hostile et cherchant refuge dans les profondeurs des cavernes s'intègre au lot des idées reçues qui n'ont plus maintenant cours que dans les bandes dessinées ou les romans de fiction. Elle résulte du fait que la plupart des découvertes anciennes ont eu lieu dans les grottes, systématiquement explorées par les premiers préhistoriens. Le développement ultérieur des recherches a montré que non seulement l'homme s'était établi au-delà des rares régions susceptibles de lui fournir des abris naturels, mais aussi que, lorsqu'il avait pu profiter de celles-ci, il avait choisi de préférence l'entrée des grottes ou le pied des falaises qui, en fait, servaient seulement de « double toit » à sa véritable habitation. Compte tenu du mode de vie antérieur à la découverte de l'agriculture et de l'élevage, le choix des lieux d'habitat dépendait essentiellement des ressources offertes par l'environnement. L'idée de nomadisme est elle-même à revoir : dans les meilleures conditions, les ressources étaient suffisamment variées pour permettre une implantation permanente. Le plus souvent, les groupes humains se déplaçaient à l'intérieur d'un territoire donné et établissaient leur campement dans les régions susceptibles de leur assurer la subsistance durant une période précise du cycle annuel. Il arrivait en outre que des groupes plus restreints partent pendant quelques jours loin de leur camp de base, à la faveur d'une expédition de chasse. Établissements permanents, campements saisonniers et haltes de chasse, tels sont les types d'habitat que l'on distingue en fonction de la nature et de l'importance des dépôts archéologiques.

Il est probablement plus facile de reconstituer dans ses grandes lignes le mode de vie des hommes du Paléolithique que de connaître la forme de leurs habitations. En effet, dans la plupart des cas, il ne reste rien des superstructures qui devaient être en matériaux périssables (bois, peaux, écorces) et, si leur plan au sol a pu parfois se conserver, la nature de l'abri et a fortiori sa configuration au-dessus du sol ne peuvent être que supposées.

Arcy-sur-Cure (Yonne) : galerie et hutte de plein air - crédits : Encyclopædia Universalis France

Arcy-sur-Cure (Yonne) : galerie et hutte de plein air

Pour déceler les traces éventuelles de ces habitats, l'unique méthode de fouille consiste à dégager le niveau archéologique sur de larges surfaces afin de restituer la morphologie du sol ancien et de retrouver dans leur position exacte les éléments qui s'y sont conservés. Les premiers grands décapages furent effectués par les préhistoriens soviétiques vers 1930, mais l'étude de l'habitat préhistorique ne s'est véritablement développée qu'une trentaine d'années plus tard grâce en particulier aux travaux de Leroi-Gourhan à Arcy-sur-Cure et à Pincevent en France. On applique désormais un peu partout dans le monde ses méthodes d'analyse rigoureuse de la répartition des vestiges, et les récentes découvertes ont permis d'établir que l'édification d'abris artificiels était à peu près aussi ancienne que l'homme lui-même.

Pincevent - crédits : Encyclopædia Universalis France

Pincevent

Pincevent (structures unicellulaires) - crédits : Encyclopædia Universalis France

Pincevent (structures unicellulaires)

Le Paléolithique inférieur

Premier représentant connu du genre Homo, l'Homo habilis occupe entre — 3 et — 1,5 million d'années l'Afrique orientale puis australe. Il y chasse en petits groupes, et les restes de ses repas ont été découverts dans divers gisements, associés à un outillage sur galet.Les traces les plus anciennes d'un aménagement de l'espace remontent à 1,8 million d'années : à Olduvai (Tanzanie), on a pu repérer une concentration de cailloux de basalte, groupés en petits tas et formant un cercle presque entier à l'intérieur duquel la surface était légèrement déprimée. Ailleurs, des concentrations de vestiges délimitent des aires circulaires d'environ 4 mètres de diamètre, vestiges probables d'abris temporaires. À Melka Kunturé (Éthiopie), dans des niveaux oldowayens vieux de 1,7 à 1,2 million d'années, on a également mis au jour, à proximité d'accumulations de pierres, d'os et d'outils, diverses aires dénudées d'environ 2,5 m de diamètre, qui peuvent correspondre à des emplacements d'habitation. L'une d'elles formait une plate-forme circulaire légèrement surélevée par rapport au sol environnant et comportant quelques groupes de deux ou trois pierres ayant pu servir à caler les poteaux d'une paroi. L'importance et la richesse des dépôts archéologiques de ce gisement permettent de suivre l'évolution des formes d'habitat jusqu'à la fin de l' Acheuléen. Durant l'Acheuléen ancien, entre — 1,2 et 0,7 million d'années, en dépit de l'évolution de l'équipement lithique, l'organisation de l'habitat reste la même que précédemment. Mais à partir de l'Acheuléen moyen, vers — 700 000 ans, l'homme (déjà Homo erectus) quitte les larges plages de la rivière pour s'installer dans des chenaux plus encaissés. L'étude de la répartition et de la nature des vestiges révèle une spécialisation progressive des zones d'activités : le débitage de la pierre se fait à proximité des sources de matière première, le gros travail de boucherie, le dépeçage fin et le concassage des os pour en extraire la moelle ont lieu dans des zones distinctes de l'habitat. À l'Acheuléen récent, vers — 350 000 ans, le feu et l'ocre commencent à être utilisés ; la surface du sol est parfois creusée de petites cuvettes d'environ 50 centimètres de diamètre : « aménagements fixes » qui deviendront plus nombreux au cours de l'Acheuléen final, vers 200 000 ans avant notre ère.

En Europe, l'homme est aussi certainement présent depuis plus d'un million d'années. Des restes d'occupation remontant à — 950 000 ans ont été retrouvés dans une petite salle de la grotte du Vallonnet (Alpes-Maritimes). L'organisation de l'espace y est des plus frustes : galets et éclats jonchent le sol, les plus gros os sont rejetés le long des parois. Il en est de même dans les sites de plein air, tel Isernia La Pileta (Italie), où l'outillage lithique est associé à des accumulations d'os de bison mais aussi de rhinocéros, d'éléphant ou d'ours.

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Bien que certains auteurs fassent remonter l'origine du feu à plus d'1 million d'années en Afrique, et que l'on cite souvent les charbons de bois de la grotte de l'Escale (Bouches-du-Rhône), datés de la glaciation de Mindel (vers — 700 000 ans), les niveaux cendreux attribués à l'interglaciaire Mindel-Riss du gisement de Zhoukoudian (Chine), on considère désormais que la plupart de ces traces sont d'origine naturelle. Le caractère intentionnel et répétitif des combustions, dans des cuvettes aménagées sur des sols d'habitat, ne devient évident qu'à partir d'environ — 350 000-400 000 ans, en particulier en Europe : Vertesszöllös (Hongrie), Achenheim III (Alsace), Lunel-Viel (Hérault), Terra Amata (Alpes-Maritimes). Toutefois, certains sites contemporains et même plus tardifs n'en présentent encore aucun témoignage : c'est le cas, par exemple, à La Caune de l'Arago (Pyrénées-Orientales) ou en Italie à Castel di Guido ou à La Polledrara.

Dans la plupart des occupations de plein air ou de grotte de cette époque, les sols d'habitat ne montrent guère d'organisation structurée et la présence humaine n'est décelable, en dehors des foyers lorsqu'ils existent, que par l'association d'outils lithiques à des restes animaux plus ou moins épars.

Certains paraissent toutefois un peu plus organisés : à Bilzingsleben (Allemagne), un habitat de bord de lac a livré des structures plus ou moins circulaires composées de pierres et de gros ossements et associées à de beaux foyers ; à Terra Amata (Alpes-Maritimes), des constructions légères ont été implantées à plusieurs reprises sur le cordon littoral d'une plage vers — 380 000 ans. Des trous de piquet délimitent des espaces elliptiques dans lesquels ont été trouvés des petits foyers installés soit à même le sol, soit sur un dallage ou dans une cuvette.

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Également située sur les rives d'une plage ancienne de la Méditerranée, la grotte du Lazaret a abrité pour un hiver des chasseurs de l'Acheuléen supérieur, il y a 150 000 ans. La répartition des vestiges au sol permet de délimiter une habitation de 11 mètres de long sur 3,5 m de large, au pied d'une des parois et à proximité du porche. Des cercles de pierres retrouvés à la périphérie paraissent avoir servi au blocage de perches verticales, probablement maintenues par des traverses horizontales qui prenaient appui sur la paroi rocheuse. Un cordon de pierres devait fixer au sol la couverture de peaux et la tente possédait deux accès. Les foyers de petite taille placés au pied du rocher ne semblent pas avoir été utilisés pour la cuisson des aliments, mais plutôt pour le chauffage et la lumière. L'absence, dans l'habitation, d'accumulations d'ossements et de déchets de débitage de la pierre s'explique peut-être par le fait que les principales activités avaient lieu à l'extérieur, devant le porche. La tente aurait alors été réservée exclusivement au repos.

Certains spécialistes estiment toutefois que les descriptions détaillées d'un habitat structuré dans lequel les sols auraient été régulièrement nettoyés, où les diverses aires d'activités intérieures et extérieures auraient été bien différenciées sont trop influencées par ce que l'on sait de l'agencement des habitats du Paléolithique supérieur. Ils considèrent que Homo erectus n'avait pas les mêmes comportements que Sapiens sapiens et expliquent la présence de bourrelets de pierre ou d'ossements par des causes naturelles ou par l'action des animaux. Les remplissages des grottes montrent, en effet, souvent une interstratification d'occupations humaines et animales. En dépit de ces réserves, la présence de foyers aménagés est la marque la plus tangible d'une conception nouvelle de l'organisation de l'espace à la fin du Paléolithique inférieur : le feu devient un pôle autour duquel vont se structurer peu à peu les activités, et sans doute aussi certains comportements (collecte du combustible, commensalisme, transmission du savoir).

Le Paléolithique moyen

Issus d'un long processus évolutif, l'Homo sapiens neandertalensis (qui s'éteindra sans descendance directe) et l'Homo sapiens fossile (ancêtre des hommes actuels) s'individualisent entre — 350 000 et — 100 000 ans. Le Paléolithique moyen est caractérisé par le développement de diverses cultures moustériennes au cours des phases I et II de la glaciation du Würm (de — 75 000 à — 35 000 ans). Dans le sud de la France, la rigueur croissante du climat semble avoir incité l'homme de Neandertal à préférer les grottes dès le début du Würm II. Est-ce également le froid qui a poussé les Moustériens d' Arcy-sur-Cure (Yonne) à s'installer dans une galerie profonde de la grotte du Renne où la lumière ne pénètre pas ? Toujours est-il que cette galerie, qui avait été scellée par un bloc effondré au temps de l'occupation, a été retrouvée dans l'état même où elle avait été laissée il y a quelque 50 000 ans. Dans ce boyau étroit, la hauteur sous plafond ne dépasse pas 1,50 m, et les vestiges sont accumulés sur une dizaine de mètres carrés. Les plus gros d'entre eux étaient entassés le long des parois afin de ménager un espace central où des galets et des outils usagés furent abandonnés. D'autres petites cavités s'ouvrant sur la rivière ont également été occupées à cette époque et l'organisation y est tout aussi sommaire. Une seule d'entre elles contenait un petit foyer. Les structures construites reconnues sont rares en Europe occidentale : alignement de pierrailles fermant l'entrée de la cueva Morín (Espagne), murette abritant un arc de foyers au Pech-de-l'Azé (Dordogne). Mais deux types nouveaux d'habitation ont été mis en évidence dans des gisements de plein air situés plus à l'est. Une fosse d'habitation, légèrement creusée dans les lœss, a été étudiée à Rheindalen (Allemagne) : quelques trous de poteaux cernaient la fosse à laquelle les occupants accédaient par un petit couloir. À Molodova (Ukraine), un épais bourrelet d'os de mammouth délimitait une aire ovale de 8 mètres sur 10 mètres, contenant de nombreux débris culinaires et une quinzaine de zones cendreuses réparties irrégulièrement sur le sol. Ce bourrelet correspond peut-être au soubassement d'une vaste hutte dont le toit avait une armature plus légère. Ces formes nouvelles d'abris connaîtront une large diffusion au Paléolithique supérieur en Europe orientale. À côté de ces habitats correspondant à des camps de base, les recherches récentes ont mis en évidence des sites d'abattage dans lesquels on retrouve, associés à un outillage lithique varié, d'abondants restes dépecés d'herbivores (aurochs, bison ou cheval), dont la viande et la moelle ont été consommées sur place à Mauran (Ariège), à La Borde (Lot).

Le Paléolithique supérieur

Outillage domestique néolithique - crédits : Encyclopædia Universalis France

Outillage domestique néolithique

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Vers — 35 000 ans, l'homme de Neandertal est définitivement remplacé par l'Homo sapiens dans toutes les régions du monde. Le Paléolithique supérieur se développe en Europe durant les deux dernières phases du Würm et se termine avec la fin de cette glaciation, aux environs de 10 000 ans avant notre ère. Si cette période est caractérisée par le développement d'un art extrêmement complexe et la diversification de l'outillage lithique et osseux, le mode de vie et la nature des habitats ne changent pas de façon fondamentale. Ce sont les établissements de plein air qui sont les mieux connus pour cette époque, avec en particulier les très riches gisements d'Europe orientale. D'après les plans au sol, il apparaît que l'unité d'habitation est souvent circulaire ou légèrement allongée et plus rarement quadrangulaire. Elle comporte souvent un foyer à l'intérieur, quelquefois deux ou trois, et l'ocre rouge, qui colore les sols, témoigne de pratiques esthétiques ou techniques intenses. Selon la nature des aménagements conservés, on distingue les habitations semi-souterraines, dont il reste les fosses creusées dans le sol, et les habitations édifiées au niveau du sol, qui sont de type varié.

Tel'manskaya : habitation semi-souterraine et hutte - crédits : Encyclopædia Universalis France

Tel'manskaya : habitation semi-souterraine et hutte

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Les habitations semi-souterraines se rencontrent surtout en ex-U.R.S.S. (Avdeevo, Gagarino, Kostienki, Malta...) et en ex-Tchécoslovaquie (Barca, Dolni Vestonice, Pavlov, Tibava...). La taille moyenne de leurs fosses varie entre 3 et 6 mètres de diamètre, et leur profondeur entre 0,40 et 1 mètre. Les parois en sont souvent légèrement évasées et, dans certains cas, doublées ou étayées par des empilements de pierres ou de grands os de mammouth. Les trous de poteaux retrouvés au fond de ces fosses, sur les bords ou au centre, indiquent qu'elles étaient couvertes d'un toit supporté par des éléments verticaux. Quelquefois, ce sont des défenses de mammouth qui ont servi à cet usage. Les fouilles n'ont pas toujours réussi à mettre en évidence les accès à ces fosses, et il n'est pas impossible que l'on y ait pénétré par le toit. Ce type d'installation offrait certainement une meilleure isolation thermique et avait l'avantage d'employer moins de bois pour construire la charpente du toit dans des zones où les arbres étaient rares. Cependant, l'excavation de plusieurs mètres cubes de terre devait nécessiter un effort important, compte tenu de l'équipement disponible à cette époque, et tout porte à croire que ces habitations étaient occupées au moins de façon semi-permanente.

Mezhiritch : hutte en os et défenses de mammouth - crédits : Encyclopædia Universalis France

Mezhiritch : hutte en os et défenses de mammouth

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La relative rareté du bois en milieu steppique semble également avoir été compensée par l'utilisation des grands os de mammouth chez les chasseurs d'Europe orientale, tout comme certains Eskimos utilisent aujourd'hui encore les os de baleine. Ces habitations à armature « lourde », édifiées au niveau du sol, sont connues plus particulièrement en Ukraine, à Mézine et à Mézhiritch. Il s'agit de huttes circulaires, d'environ 6 mètres de diamètre, dont le soubassement est constitué par un empilement de mandibules et de crânes de mammouths renforcé par des os longs plantés verticalement. Un remblai de terre en comblait les interstices. D'après les éléments retrouvés effondrés au centre des huttes, il semble que le toit était soutenu par une armature de bois et un entrelacement de bois de renne et de défenses de mammouth. Des peaux, elles-mêmes maintenues par d'autres grands os, recouvraient le tout. Deux plus grandes défenses, emboîtées au sommet dans un manchon d'ivoire, constituaient l'arceau de l'entrée. Des constructions aussi impressionnantes nécessitaient au moins une vingtaine de squelettes de mammouths, et il devait, ici encore, s'agir d'habitations semi-permanentes dans une région où les abris naturels faisaient défaut.

Dans d'autres cas, les huttes comportent un soubassement en dalles : banquettes circulaires et armatures en défenses de mammouth dans les niveaux chatelperroniens d' Arcy-sur-Cure (Yonne), cercle de dalles et superstructures en bois de renne à Malta (Sibérie) ; à Étiolles (Essonne), où l'os est mal conservé, le grand cercle de pierres entourant un foyer central témoigne peut-être de la même technique de construction.

Les autres formes d'habitation édifiées au niveau du sol correspondent à des structures plus légères : huttes faites de matériaux végétaux collectés sur place ou tentes de peaux cousues, aisément transportables lors des déplacements. Par leur nature même, le plan au sol de ces abris n'est pas toujours facile à déceler. Dans les meilleurs cas, on retrouve des implantations de poteaux ou les restes d'aménagements destinés à maintenir la couverture (bourrelets de pierres ou de terre) ; quelquefois, le plan se déduit de l'agencement interne de l'habitation lorsque des revêtements de galets délimitent l'aire couverte. Le plus souvent, c'est l'organisation des vestiges abandonnés sur le sol qui permet de retrouver l'emplacement de la tente. Ces structures légères, rapidement édifiées, sont connues un peu partout en Europe et elles semblent avoir été adaptées à un mode de vie nécessitant des déplacements fréquents.

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À côté de ces habitations unicellulaires, on trouve parfois des dispositifs plus grands comportant plusieurs foyers. Les exemples les plus connus et aussi les plus contestés ont été découverts en Russie et en Ukraine : à Kostienki I, on a mis au jour une aire d'habitat de 35 mètres sur 15 mètres au centre de laquelle neuf foyers étaient alignés ; seize fosses de 1 à 6 mètres carrés bordaient sa périphérie. Le remarquable alignement des foyers impliquant une seule période d'occupation, on voulut y voir les restes d'une seule « maison longue » appartenant à une communauté de chasseurs de mammouths. L'ensemble aurait été protégé par une couverture de peaux soutenue par des poteaux de bois. La réalisation pratique d'un tel édifice est impossible à imaginer, d'autant qu'un seul trou de poteau a pu être mis en évidence sur la totalité de la surface. D'autres aires de ce type ont été retrouvées à Kostienki même et à Avdeevo, mais jusqu'ici leur véritable organisation n'a pas encore été comprise. Les habitations à trois foyers de Pushkari (Ukraine) et de Pincevent (Seine-et-Marne), de dimensions plus modestes, sont plus directement compréhensibles. Il a pu être démontré à Pincevent que la structure était constituée par la réunion de trois installations unicellulaires de part et d'autre des trois foyers. Les remontages entre les fragments d'outils cassés prouvent une circulation entre ces trois unités, avec une spécialisation des aires d'activité à l'intérieur de l'espace commun. La réalisation technique de ce genre d'habitation commune ne pose pas de véritable problème et il est probable qu'à Pushkari l'organisation était la même.

Kostienki - crédits : Encyclopædia Universalis France

Kostienki

Pushkari (Ukraine) - crédits : Encyclopædia Universalis France

Pushkari (Ukraine)

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Dans ces habitations unicellulaires ou pluricellulaires, on trouve, outre les foyers de type varié, de petites fosses creusées dans le sol. Lorsqu'elles sont placées près des foyers, on leur attribue une fonction culinaire ; les autres semblent avoir servi à conserver des aliments, de la matière première (ivoire, combustible...) ou des objets plus précieux, telles les petites statuettes féminines de Gönnersdorf (Allemagne). Ce type d'aménagement est particulièrement fréquent en Europe orientale.

Pincevent : dynamique de l'habitat - crédits : Encyclopædia Universalis France

Pincevent : dynamique de l'habitat

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La répartition des activités à l'intérieur de l'habitat n'est pas claire dans tous les cas, car les fouilles n'ont pas toujours été conduites avec le degré de précision souhaitable. À Malta (Sibérie), on a pu constater à deux reprises que les aiguilles, les alènes et les colliers ne se rencontraient pas dans les mêmes zones que les armes de chasse. L'interprétation d'un espace féminin opposé à un espace masculin n'est pas probante, car les exemples abondent dans le monde où la couture et la parure ne sont pas spécifiquement réservées aux femmes. L'analyse topographique effectuée à Pincevent aboutit à des conclusions peut-être plus modestes mais solidement étayées. Les décapages ont mis au jour dans les niveaux supérieurs une vingtaine d'unités d'habitation, dont le « territoire domestique » a pu être délimité grâce aux raccordements entre les pièces fragmentées (silex, os, pierres chauffées). L'organisation de l'espace paraît la même dans tous les cas : un foyer est placé à l'entrée d'une tente à plan légèrement elliptique dont le fond est libre de vestiges (couchette probable). L'activité domestique se concentre autour du foyer : c'est là que l'on préparait la nourriture et que l'on mangeait, c'est également à cet endroit que l'on travaillait le silex et le bois de renne. On trouve à l'extérieur un éventail de déchets qui se développe à partir du foyer : on évacuait dans cette zone les cendres froides et les fragments éclatés des pierres du foyer, les os fracturés et les résidus du débitage du silex. D'autres opérations avaient lieu à l'air libre (travail des peaux ?) et de petits foyers étaient allumés à proximité. Les plans de liaison entre les objets montrent les aires de circulation et quelquefois des relations entre les unités d'habitation, ce qui permet de savoir si elles étaient contemporaines ou décalées dans le temps.

La détermination de la simultanéité d'occupation est en effet fondamentale pour dépasser l'analyse individuelle des seules structures ; elle permet d'aborder la question des sociétés paléolithiques. C'est au Paléolithique supérieur qu'apparaissent, semble-t-il, les premiers témoignages d'une nouvelle forme d'organisation sociale. On trouve, en effet, à cette époque, dans les gisements de plein air, des groupements d'habitations qui suggèrent que plusieurs groupes familiaux ont établi leur campement au même endroit pendant un certain temps. La simultanéité d'occupation peut être déduite de l'organisation topographique des habitations, comme en Sibérie, à Malta, où celles-ci sont toutes orientées vers la rivière, et à Buret, où elles sont en ligne ; mais l'existence d'un campement est beaucoup mieux prouvée lorsque sont mis en évidence des raccords entre les vestiges des diverses habitations (outils de silex et nucléus, dalles fracturées, éléments de carcasse d'un même animal, etc.). Souvent réalisés entre deux ou trois unités, comme en France, à Étiolles ou Marsangy ces raccords ont permis de prouver, à Pincevent, la simultanéité d'occupation d'une douzaine de structures d'habitat réparties sur plus de 4 000 mètres carrés. Au-delà du campement, ces relations révèlent des aspects du comportement social : chasse collective et partage du gibier, réalisation en commun de certaines activités techniques.

Si la fin des temps glaciaires en Europe n'entraîne pas de notables transformations dans la nature des habitats des hommes du Mésolithique, on assiste au Moyen-Orient à une évolution plus rapide. Dès 10 000 ans avant notre ère, les maisons-fosses du Natoufien (dont l'agencement n'est pas sans rappeler celui de certaines habitations du Paléolithique récent d'Europe orientale) s'organisent déjà en véritables villages permanents, dans lesquels la cueillette des céréales sauvages prend une importance croissante : premiers indices d'un changement total des rapports entre l'homme et le milieu.

— Michèle JULIEN

La chasse à l'arc dans la forêt d'Europe

C'est pendant la période qui a succédé aux grands froids de la dernière glaciation et qui a précédé les défrichements de l'époque néolithique que s'est formée l'Europe telle que nous la connaissons. Cette image se précise entre 10000 et 5000 avant J.-C. : submersion du plateau continental et isolement progressif de l'Irlande et de l'Angleterre, disparition des glaciers de basse altitude, extension de la mer du Nord et formation de la Baltique, naissance d'une multitude de lacs et de marais. La toundra du Nord fait alors place aux conifères et au bouleau, à l'orme et au noisetier ; les feuillus de la chênaie mixte couvrent l'Europe moyenne, et les espèces méditerranéennes s'échappent de leurs refuges pour coloniser les arrière-pays. C'est alors que cesse la coexistence paradoxale du renne et du cerf, du renard polaire et de l'antilope saïga, du bison et du chamois ; chacun trouve la niche écologique qui nous est familière. Les chasseurs de rennes du Paléolithique supérieur changent donc nécessairement de gibier ; à l'ouest et au nord de l'Europe, ils perdent les territoires submergés, mais ils gagnent les terres libérées par les glaces et profitent de l'accroissement considérable de la longueur des rivages et de milieux dont les ressources alimentaires sont riches et variées (fjords, marais et lacs).

Situé entre le Paléolithique des chasseurs et le Néolithique des agriculteurs, ce lent changement de paysage correspond à l'époque mésolithique selon le terme employé dans les classifications ternaires. Indépendamment des changements climatiques, une innovation dans la technique de chasse se manifeste à la fin du Paléolithique supérieur, par l'apparition de petites pointes en silex, parfois de formes géométriques (microlithes), destinées à armer des flèches sans doute tirées par un arc ; la discrétion du lancer du projectile, la précision du tir et la force de pénétration du trait confèrent à l'arc une supériorité évidente sur le propulseur (ce dernier exigeait en outre un geste plus brutal qui risquait d'effrayer le gibier) ; l'installation de la forêt dense a pu favoriser l'arc qui nécessite moins d'espace libre autour du chasseur que le propulseur. Quoi qu'il en soit, cette innovation, apparue vers 10000 avant J.-C., est diversement accueillie, même dans des cultures géographiquement proches ; mais après un ultime et sévère coup de froid, entre 9000 et 8000 avant J.-C., elle est adoptée sans réticence. Partout en Europe les outillages de silex sont caractérisés par des armatures de flèches de types variés qui tendent à devenir de plus en plus microlithiques et géométriques (triangles, segments de cercle, rhombes, trapèzes) ; de façon très générale (sauf en Angleterre), les trapèzes dominent à la fin du Mésolithique ; toutes ces pointes sont obtenues en fractionnant des lamelles, souvent selon la technique du microburin. La diversité de leurs formes permet d'individualiser une multitude de cultures régionales, dont l'extension est beaucoup plus limitée que celle des cultures des millénaires précédents. De la Lituanie à l'Angleterre, ces petites armatures sont associées à de gros outils en pierre destinés au travail du bois : lames d'herminettes taillées ou piquetées et tranchets ; dans le sud-ouest de l'Europe, les outils lourds sont confectionnés dans des bois de cerf, du grès et des galets parfois aménagés en forme de pics. L'équipement des archers mésolithiques est mieux connu que celui des chasseurs de rennes grâce aux découvertes effectuées dans les sites des tourbières de l'Europe septentrionale : arcs et flèches de types divers, pirogue, pagaies, ski, patin de traîneau, nasse, filet, récipient en écorce.

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L'opposition qui a été longtemps faite entre l'artiste paléolithique, chasseur de rennes et de mammouths, et l'archer « décadent », terreur des escargots, ne correspond pas à la réalité des faits ; ce dernier, peut-être aidé de ses chiens, traque l'aurochs, le cheval, l'élan, le cerf, le sanglier, le chevreuil, le mouton, le castor et bien d'autres petits mammifères. L'utilisation de l'arc permet un prélèvement plus important qu'au Paléolithique dans la faune d'oiseaux et particulièrement dans celle des bords de l'eau ; à côté de ces ressources, qui diffèrent peu de celles du Paléolithique, se développent la récolte massive de mollusques et la pêche. Les coquilles de mollusques terrestres ou marins ont formé des accumulations qui atteignent parfois plusieurs mètres d'épaisseur dans les abris-sous-roche et des centaines de mètres de longueur près des rivages maritimes. Les populations mésolithiques améliorent la pêche par l'emploi d'hameçons en os ; elles sont les premières à s'aventurer loin des côtes, où le dauphin et l'orque sont chassés et où sont pêchés les petits requins, l'ange de mer, le maquereau et divers gadiformes (morue, aiglefin, colin). La navigation hauturière permet alors à l'homme de s'installer en Corse. Les végétaux laissent peu de traces, et leur part dans l'alimentation mésolithique reste conjecturale ; il est certain que les forêts tempérées sont plus riches en espèces comestibles que les flores froides ; en Europe de l'Ouest et du Nord, des graines de lis, des châtaignes d'eau et des coquilles de noisettes sont présentes, souvent en grande quantité, dans de nombreux sites d'habitat. Dans les pays méditerranéens, en dehors de la cueillette des céréales sauvages (orge, avoine) dont la répartition ne s'étend pas à l'ouest de la Grèce, la récolte des lentilles, des vesces, des pistaches et des amandes est attestée depuis le Paléolithique final ; au Mésolithique s'y ajoutent les pois et les poires, les noix et le raisin.

Les habitations mésolithiques, en plein air ou sous abri rocheux, sont connues par des données provenant d'une cinquantaine de sites ; leurs traces au sol sont très variées : plates-formes de bois ou de pierre, trous de poteaux organisés ou non, alignements de pierres plus ou moins fermés ; ces structures présentent une forme courbe ou rectangulaire, et leur surface, qui peut couvrir de 5 à 110 mètres carrés, est le plus souvent comprise entre 5 et 20 mètres carrés ; les foyers, au centre ou à l'extérieur de l'habitation, sont parfois entourés de dalles ou garnis de pierres ; la cuisson sur des pierres chaudes ou à l'étouffée (comme dans les « fours polynésiens ») est pratiquée. Le mode de vie mésolithique, réglé par des déplacements saisonniers à l'intérieur d'un territoire limité, ne marque pas de rupture avec celui du Paléolithique supérieur ; par contre, l'art et les sépultures reflètent une conception du monde et de l'au-delà qui s'éloigne progressivement de celle des chasseurs de rennes. L'art rupestre du Levant espagnol, figuratif et très animé, met en scène l'acteur humain au détriment de l'inlassable répétition des diades animales qui ornent les grottes à l'Âge glaciaire. En Europe moyenne, les œuvres d'art sont relativement rares ; des œuvres figuratives coexistent quelque temps avec des tracés abstraits de barres et de points peints ou gravés sur des galets, des os ou les parois d'abris gréseux ; cet art schématique s'était affirmé depuis longtemps dans les cultures méditerranéennes. Dans le nord de l'Europe, les œuvres d'art se comptent au contraire par centaines : figurines et pendeloques en ambre, mais surtout décoration géométrique, losanges, triangles, chevrons, damiers, organisée en compositions savantes sur les objets en bois de cerf, le cortex des silex, les objets en bois. Les représentations humaines et animales, traitées schématiquement, sont rares ; parmi ces dernières, l'élan constitue un thème commun aux cultures mésolithiques depuis la Suède jusqu'à l'Oural. Les sépultures sont beaucoup plus nombreuses qu'au Paléolithique supérieur ; fait nouveau, elles peuvent être groupées en nécropoles de plusieurs dizaines de tombes. Les tombes contiennent un ou plusieurs individus ensevelis simultanément ou successivement, en position allongée ou fléchie ; les plus élaborées, délimitées par un coffrage de pierre, se signalent par un petit tumulus ; un entrelacs de bois de cerf couronne parfois les crânes. Les inhumations sont souvent associées à de l'ocre rouge et accompagnées d'offrandes de venaison, de parures (coquillages, dents d'animaux) et d'un dépôt d'outils ou d'armes (flèches, poinçons, outils en silex). Une estimation de l'importance du peuplement mésolithique, établie à partir du nombre de sites connus, montre un accroissement régulier de la population et une augmentation importante de celle-ci par rapport au Paléolithique supérieur. Les archers ne semblent pas avoir souffert de malnutrition ni de guerres tribales ; ils étaient dans des conditions favorables pour accueillir et assimiler les destructeurs de forêts de la révolution néolithique, ou tout au moins pour accepter la cohabitation pacifique.

— Michel ORLIAC

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Écrit par

  • : maître de recherche au C.N.R.S.
  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, professeur au Collège de France
  • : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du laboratoire d'ethnologie préhistorique du C.N.R.S., U.R.A. 275
  • : directeur de recherche au CNRS, directeur du département de sciences archéologiques de l'université de Bordeaux
  • : chercheur au C.N.R.S.
  • : conservateur en chef du Patrimoine
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Médias

Éclats en silex, Orce, Andalousie - crédits : A.Turq

Éclats en silex, Orce, Andalousie

Arcy-sur-Cure (Yonne) : galerie et hutte de plein air - crédits : Encyclopædia Universalis France

Arcy-sur-Cure (Yonne) : galerie et hutte de plein air

Pincevent - crédits : Encyclopædia Universalis France

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