Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CONTREFAÇON

Assimilée, dans le langage courant, aux notions d'imitation ou de copie, la contrefaçon est, dans le langage juridique, un concept de droit pénal qui doit toute sa fortune au développement, en Europe occidentale, de la notion de propriété. Tout comme le vol, la contrefaçon constitue une atteinte à la propriété. Il s'agit dans les deux cas de sanctionner l'appropriation indue d'un bien appartenant à autrui. La répression du vol vise spécifiquement à la protection d'un droit de propriété sur une chose toujours entendue comme un bien corporel, concrètement identifiable. La répression de la contrefaçon cherche, quant à elle, à protéger un droit de propriété qui peut paraître bien moins évident : un droit portant sur un bien incorporel, un droit attaché aux œuvres de l'esprit.

De ce point de vue, en tant qu'atteinte portée au droit privatif de monopole qui résulte de la possession d'un brevet d'invention, d'un dessin ou d'un modèle déposé, d'une marque déposée, la contrefaçon peut être sanctionnée par une action en justice. Cette action en contrefaçon est le plus souvent entendue dans le sens étroit de violation du droit sur lequel existe un monopole par la reproduction exacte du produit ou de l'appellation protégée. Elle peut être également entendue dans le sens plus large de toute atteinte portée au droit résultant du monopole : atteinte économique par les délits de vente ou de mise en vente des objets contrefaisants, usage des objets contrefaisants, etc.

Émergence d'un cadre juridique

Le droit de propriété sur lequel repose ce régime juridique a été progressivement établi et formulé au cours de l'époque moderne, à partir du xvie siècle.

La patrimonialisation d'un droit intellectuel

L'idée que les biens incorporels puissent constituer une propriété est en effet restée étrangère aux mondes romain et médiéval ; son essor est intimement liée aux progrès des techniques et de l'individualisme. Sous les figures de l'artiste et de l'inventeur, l'individu s'est vu reconnaître par l'État, protecteur du commerce, des arts et des lettres, un droit de propriété « intellectuelle » sur ses œuvres. Dans tous les domaines, le souverain est ainsi intervenu pour susciter, encourager, récompenser les talents et favoriser leur émulation en consacrant ce droit nouveau. Son titulaire jouit, pour une durée déterminée, de l'exclusivité des produits financiers tirés de la divulgation et de l'exploitation de sa création. Avant de prendre la forme d'un droit institué par la loi, ce monopole temporaire accordé au profit d'un particulier se traduisait, sous l'Ancien Régime, par l'octroi d'un privilège.

Tout comme ces autres droits subjectifs que sont les libertés politiques, ce droit de propriété d'un genre nouveau est une des révolutions juridiques qui scellent l'entrée dans la modernité. En subordonnant la circulation de biens réputés traditionnellement sans maîtres (l'œuvre d'art anonyme ou le savoir technique des médiévaux) à une logique patrimoniale, il a rendu possible leur commercialisation et permis une extension sans précédent des « lois du marché ». Il joue en effet un rôle clé dans les mécanismes de formation de la valeur économique, puisqu'il assure aux créations intellectuelles cette rareté relative indispensable pour leur donner un prix. Sans cela, ces dernières pourraient être immédiatement reprises par quiconque en acquerrait la simple connaissance, et par la même aussitôt dépréciées. En qualifiant ce fait de contrefaçon, pour le réprimer, la loi a sauvegardé l'intérêt économique qui conditionnait le développement d'un monde fondé sur le progrès par l'innovation.

Le droit français a toujours distingué la propriété littéraire[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : premier substitut, chef de la section économique, chargé d'enseignement de droit pénal à l'université de Paris-II
  • : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Lyon
  • : directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle

Classification

Pour citer cet article

Alain BLANCHOT, Albert CHAVANNE et Daniel HANGARD. CONTREFAÇON [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ART (L'art et son objet) - Le faux en art

    • Écrit par Germain BAZIN
    • 6 715 mots
    ...distinguer l'œuvre ancienne (parfois contemporaine de celle dont elle prend le masque, et que l'ignorance ou la supercherie font passer pour authentique) de la contrefaçon proprement dite. C'est cette dernière qui étonne toujours le public ; celui-ci se réjouit de voir dupé le riche amateur, se gausse de la confusion...
  • BREVET D'INVENTION

    • Écrit par Jacques AZÉMA, Bernard EDELMAN, Michel VIVANT
    • 10 776 mots
    Les atteintes portées au monopole conféré par le brevet s'analysent comme des faits de contrefaçon permettant d'agir contre leurs auteurs par l'action en contrefaçon.
  • FRAUDES ALIMENTAIRES

    • Écrit par Egizio VALCESCHINI
    • 5 257 mots
    • 4 médias
    ...interdits ou en masquant les défauts du produit. La fraude peut aussi viser un gain en prestige qui se traduira par un gain financier : on peut citer la contrefaçon et l’usurpation d’image dans le cas des marques et labels alimentaires (par exemple, étiqueter « Champagne » un vin produit hors de la région...
  • INTERNET - Aspects juridiques

    • Écrit par Loïc PANHALEUX
    • 5 392 mots
    ...question de mesure, ce qui n'est pas sans générer une relative insécurité juridique. En effet, un internaute peut passer facilement de la copie privée à la contrefaçon. La loi du 1er août 2006 prévoyait des peines particulières en cas de reproduction non autorisée ou de communication au public d'œuvres...
  • Afficher les 14 références

Voir aussi