PROPRIÉTÉ
Si l'on veut bien entendre la leçon de multiples exemples, le sentiment d'appropriation serait général – il est attesté depuis l'époque paléolithique par les gravures effectuées sur les armes d'os – et toujours vivace. Pourtant, les données de la psychologie sont ambiguës : certains peuples (archaïques) ne distinguent pas le mien du tien, exprimant les deux notions par le même terme, et d'autres (modernes) ont voulu instaurer un type de société dans lequel les hommes, ayant libre usage et libre disposition des biens, se déprendraient de la propriété, qui dépérirait en même temps que le droit. Issue peut-être de l'appropriation, la propriété s'en distingue en tant qu'elle constitue une institution juridique. Ce n'est pas une maîtrise matérielle ou de fait : celle-ci est dénommée possession ; ce n'est pas non plus une maîtrise protégée par le droit : la possession engendre juridiquement une série de servitudes ; c'est un pouvoir de droit, une situation fondée en droit, le lien de droit par lequel une chose appartient à une personne, lui est réservée. D'un point de vue idéologique, la propriété comme droit a suscité la question de sa légitimité, et les réponses n'ont pas été sans incidence sur la réglementation positive. Le Coran, par exemple, souligne l'origine divine de la propriété (vii, 125 : « La terre est à Allah et Il en fait hériter qui Il veut parmi ses serviteurs »), et les tentatives de collectivisation en pays d'islam furent entravées par cette proclamation scripturaire. Dans un contexte différent, la Déclaration des droits de l'homme de 1789 a érigé la propriété en droit « inviolable et sacré », et certains ont vu dans le Code civil français le code de la bourgeoisie propriétaire. Furent aussi longtemps répandus (mais guère mieux compris) le trait de Proudhon (« La propriété c'est le vol ») et les thèses du Capital, devenues législation dans les pays de l'Est. Le moindre vice des formules tranchées est d'apporter une réponse unique à des problèmes divers. D'un point de vue juridique, on peut en effet douter s'il est une propriété ou des propriétés. L'ethnologie, l'histoire et le droit comparé montrent que l'humanité a pratiqué des modalités extrêmement variées d'utilisation des choses. Lesquelles de ces modalités qualifier de propriété ? Il est frappant de constater que la langue anglaise est la seule qui comporte un verbe (to own) exprimant la notion « être propriétaire » et que les juristes anglais parlent rarement d'ownership et jamais à propos d'une terre ; et même s'ils étudient le Law of Property Act, ce n'est pas normalement de façon unitaire. Quelles matières alors du droit anglais examiner sous la rubrique « propriété » ? À l'intérieur d'un même système juridique, la propriété est cloisonnée : la propriété d'un fonds de commerce n'est pas celle d'une maison ni d'une pièce d'or, et la propriété de l'État n'est ni celle d'une société commerciale ni celle d'un particulier. Est-il licite, dès lors, de présenter une théorie générale de la propriété ? Sans doute, si par « général » on entend « abstrait » et non « commun ». L'épure de la propriété s'analyse comme une relation d'appartenance entre un objet et un sujet ; mais il est clair qu'aussi bien le sujet ou l'objet que la relation peuvent recouvrir des réalités fort diverses.
Les choses
Dans les pays de tradition romaniste, la propriété, dans un arrangement systématique des matières juridiques, relève du droit des biens, par opposition au droit des personnes ; plus généralement, la conception occidentale du droit de propriété implique, entre les deux termes du rapport, la hiérarchie[...]
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Écrit par
- Georges ROUHETTE : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de l'université de Madagascar
Classification
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