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CAPITALISME Histoire

Concurrence et économie de marché

Si l'on définit l'économie de marché comme une économie de concurrence pure et parfaite où aucun agent n'a le pouvoir d'influer sur les prix, cette économie n'a jamais existé. Mais la théorie de la concurrence monopolistique ou imparfaite, développée dans l'entre-deux-guerres par Joan Robinson et Edward Hastings Chamberlin, introduit dans le fonctionnement du marché ces situations plus proches de la réalité. Ces développements théoriques ne sont pas sans rapport avec une évolution de la stratégie des entrepreneurs face au marché, d'une stratégie défensive à une stratégie de maîtrise.

<it>Le Bourgeois</it>, caricature de R. Langa - crédits : AKG-images

Le Bourgeois, caricature de R. Langa

Si les entrepreneurs ont, depuis le xviiie siècle, toujours cherché à segmenter les marchés de produits par qualités différentes, par marques, par niches, afin d'augmenter leurs parts de marché, la logique de la concentration resta dominée jusqu'à la fin du xixe siècle par le souci de diminuer les risques du marché, la vulnérabilité devant la fluctuation conjoncturelle. L'expérience leur a appris que dans les secteurs où la prévision de la demande était la plus difficile – les biens de consommation comme le textile, soumis aux effets de mode et sensibles aux fluctuations des revenus –, les grosses entreprises intégrées manquaient de souplesse et s'adaptaient mal. En revanche, la structure la plus souple et la plus résistante lors des crises qui revenaient avec régularité était un réseau d'entreprises dirigées par les différents membres d'une famille, capables de s'entraider, comme dans l'industrie textile du nord de la France ou de l'Alsace. La concentration à l'œuvre dès le milieu du xixe siècle dans les secteurs comme l'extraction minière et la sidérurgie était davantage due aux difficultés de financer et d'amortir de lourds investissements qu'au désir d'acquérir un pouvoir sur le marché.

Les grandes entreprises à structure multidivisionnaire qui préfiguraient le xxe siècle, dans lesquelles à côté des départements de production les départements de gestion et de commercialisation gagnaient en importance, apparurent à la fin du xixe siècle aux États-Unis non seulement dans les secteurs lourds pour améliorer les capacités de financement en période de dépression mais aussi dans les secteurs de biens de large consommation, comme la conserverie ou la fabrication des cigarettes. L'hypothèse d'Alfred Chandler est que cette nouvelle structure visait à remplacer la « main invisible du marché » par la « main visible des managers ». De même que les compagnies ferroviaires, les premières grandes entreprises avaient eu à résoudre principalement des problèmes de coordination. Elles essayaient d'organiser le marché en coordonnant les flux de marchandises, par exemple en ne laissant pas les dépôts régionaux fixer par tâtonnement leurs offres par rapport aux demandes locales mais en centralisant toutes les informations afin de répartir au mieux l'offre globale de produits parfois périssables, comme les produits alimentaires. Capables d'étendre leurs ventes en stimulant la demande, ces grandes entreprises n'ont sans doute pas été capables de remplacer les mécanismes du marché en les intériorisant. Au contraire, elles n'ont pas restreint le jeu des mécanismes du marché ; leur objectif était plutôt d'en rendre le fonctionnement plus lisible afin d'en tirer profit.

Devant le caractère ambigu de la relation entre concentration et économie de marché, les deux pays où la concentration était la plus rapide à la fin du xixe siècle ont pu adopter des législations divergentes. Aux États-Unis, la réaction contre des entreprises cherchant à monopoliser le marché à l'abri de législation de certains États qui leur étaient très favorables conduisit à l'adoption de plusieurs[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, maître de conférences à l'université de Paris-I

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Pour citer cet article

Patrick VERLEY. CAPITALISME - Histoire [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Le Bourgeois</it>, caricature de R. Langa - crédits : AKG-images

Le Bourgeois, caricature de R. Langa

Autres références

  • CAPITALISME (NOTION DE)

    • Écrit par Dominique PLIHON
    • 1 414 mots

    Le capitalisme est le système économique de la plupart des pays de la planète depuis l’effondrement des économies socialistes planifiées en Europe orientale et centrale, symbolisé par la chute du Mur de Berlin, en 1989. Le capitalisme peut être défini par ses deux caractéristiques principales : d’une...

  • ACTIONNAIRES

    • Écrit par Pierre BALLEY
    • 8 189 mots
    • 2 médias

    La mise en commun, entre personnes qui se connaissent et se font confiance, des ressources nécessaires à une entreprise et le partage du profit éventuel sont un usage invétéré qui a joué un rôle essentiel dans le développement des premières formes du capitalisme, notamment dans le financement du commerce...

  • AGLIETTA MICHEL (1938- )

    • Écrit par Yamina TADJEDDINE
    • 1 086 mots
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    Penseur du capitalisme et de la monnaie, Michel Aglietta est un chercheur, un pédagogue et un expert reconnu des économistes, des historiens et des anthropologues, mais aussi des politiciens et des syndicalistes de toute tendance.

    Né dans une famille modeste d’immigrés italiens en 1938 à Chambéry,...

  • AGRICOLE RÉVOLUTION

    • Écrit par Abel POITRINEAU, Gabriel WACKERMANN
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    C'est à travers uneimprégnation « capitaliste » que les transformations se font jour : pour les partisans de l'« agriculture nouvelle », il est nécessaire, afin d'accroître les rendements et de supprimer les jachères, d'engager dans l'agriculture de très gros capitaux ; cette attitude est véritablement...
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