Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CHANDLER ALFRED (1918-2007)

L'historien de l'économie Alfred Du Pont Chandler est né le 15 septembre 1918 dans une vieille famille du Delaware, une famille patricienne américaine typiquement W.A.S.P. (White Anglo-Saxon Protestant).

Très jeune, il se passionne pour l'histoire et entreprend de l'étudier à Harvard. Il interrompt momentanément ses études pour faire la guerre du Pacifique dans l'U.S. Navy. Revenu à la vie civile, il obtient son doctorat (Ph.D) en 1952. Il commence alors sa carrière de professeur au M.I.T. pour l'achever, à Harvard, où il arrive en 1971. C'est là qu'il prendra sa retraite en 1989, tout en continuant à publier des articles dans des revues savantes et à animer des séminaires. Helléniste de bon niveau, il s'est intéressé très rapidement à l'histoire de l'entreprise, et a construit son œuvre sur la comparaison entre les théories économiques et la réalité de terrain.

Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

Son livre le plus célèbre La Main visible des managers paraît en 1977. Derrière le clin d'œil à l'équilibre de marché spontané et désincarné d'Adam Smith, il y a la volonté d'affirmer que le monde moderne repose plus sur l'organisation des entreprises que sur la multiplication des échanges de marché. Au travers d'une description érudite et souvent alerte du monde des affaires, Chandler se pose en effet une des questions qui a suscité le plus de débats parmi les économistes. Pour quelle raison les entreprises apparaissent-elles, et donc pour quelle raison le travail devient-il salarié, s'organisant alors de façon administrative et cessant d'être vendu sur un marché ? Autrement dit, Chandler se demande pourquoi le salariat a remplacé l'artisanat, et l'entreprise, une longue chaîne d'échanges entre fournisseurs isolés ? Chandler ne théorise pas a priori, il part d'un constat. Ce constat est que la firme moderne s'est substituée aux mécanismes du marché dans la tâche de coordonner les activités économiques et de répartir les ressources. La « main visible » des managers a remplacé la « main invisible » des forces du marché. La raison pratique est que le rapport hiérarchique fondé sur l'autorité qui caractérise l'entreprise est moins coûteux dans les productions complexes que la procédure de recherche du prix d'équilibre sur le marché. Le capitalisme est avant tout pragmatique. Lorsque l'information est trop difficile à rassembler, lorsque la valeur du travail est trop longue à déterminer, l'entreprise la forfaitise dans le salariat.

Une des conséquences de cette évolution est la prise du pouvoir économique par les cadres professionnels au détriment des entrepreneurs et des propriétaires. Cela peut avoir des aspects négatifs dans la mesure où leur intérêt au succès de l'entreprise est moins immédiat que pour celui qui en est propriétaire. Cela peut avoir aussi des conséquences bénéfiques dans la mesure où ce détachement relatif permet au manager professionnel de prendre des décisions d'investissement à long terme.

Chandler s'appuie sur une histoire comparée de la croissance économique aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Allemagne qu'il expose en 1990 dans « Organisation et performance », et dans laquelle il analyse l'avènement du capitalisme managérial. Depuis l'apparition des chemins de fer, première activité ayant conduit à la création d'entreprises géantes, le capitalisme n'a cessé de s'éloigner de la vision de la concurrence smithienne entre petites entreprises plus ou moins familiales. Même si l'Angleterre, dont l'observation a fourni à Adam Smith les fondements de ses théories, est probablement le pays où la dimension familiale du capitalisme a le plus longtemps subsisté, celle-ci a disparu et les propriétaires ont laissé la place aux professionnels de la gestion.

Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

Pour Chandler, l'histoire n'a guère confirmé l'orthodoxie libérale anglaise, mais plutôt l'hétérodoxie schumpétérienne, décrivant un monde d'oligopoles en permanente mutation. Le capitalisme de Smith et de Ricardo a existé de la fin du xviiie au milieu du xixe siècle. Depuis lors, les mines, les entreprises ferroviaires, les banques ont pris des dimensions considérables et se sont mises à gérer hommes, informations, matières premières dans de telles quantités qu'elles ne pouvaient se contenter de tout attendre de l'harmonie fatalisée du marché.

À la fin de sa vie, Chandler s'est interrogé sans vraiment donner de réponse sur ce que signifiait l'apparition de la « nouvelle économie ». Toujours curieux, il regardait son époque avec un détachement très aristocratique. Avec l'âge, ce qui l'ennuyait le plus, c'était de ne plus pouvoir faire de voile. Il avait pris l'habitude de montrer à ses visiteurs une photo datant de l'époque où il était étudiant à Harvard, commentant avec fierté le fait qu'il était alors dans l'équipe première de voile et passant sous silence que son voisin sur la photo était John Kennedy... Modestie affectée et surtout conviction que le héros des temps présents est plus le grand patron, l'« entrepreneur schumpétérien » que l'homme politique.

— Jean-Marc DANIEL

Accédez à l'intégralité de nos articles

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • HISTOIRE (Domaines et champs) - Histoire économique

    • Écrit par
    • 4 543 mots
    • 1 média
    ... se développe, dans la décennie de 1960, une série d'histoires d'entreprises sous l'influence des travaux de l'historien et économiste américain Alfred D. Chandler Jr. relatifs à la grande entreprise moderne, contemporaine de la seconde industrialisation et perçue à travers ses mutations corrélées...

Voir aussi