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ANGLAIS (ART ET CULTURE) Littérature

L'époque victorienne

Installation de la bourgeoisie

Un groupe d'« excentriques » reflète le climat bourgeois (Biedermeier) de l'époque victorienne naissante. Charles Lamb (1775-1834), le créateur de l'essai romantique pénétré de lyrisme en sourdine (« Blakesmoor in H...shire », « Dream Children », « Old China », dans le volume Essays of Elia) et d'humour (« Mrs. Battle's Opinions on Whist », « Dissertation upon Roast Pig », dans le même volume), fut aussi des premiers à réapprécier et à commenter les dramaturges élisabéthains. Thomas De Quincey (1785-1859) chercha une évasion à ses obsessions morbides dans l'humour (De l'assassinat considéré comme un des beaux arts [Murder Considered as One of the Fine Arts, 1827]) et dans l'opium un stimulant à ses rêves autant qu'un remède à ses peines (Les Confessions d'un mangeur d'opium[Confessions of an English Opium-Eater, 1821], qui trouvèrent en France un grand écho). Il continua également la tradition de la prose d'art, dans Levana and Our Ladies of Sorrow ; Thomas Love Peacock (1785-1866) parodia certains aspects extérieurs du romantisme dans L'Abbaye de cauchemar (Nightmare Abbey) et inventa un nouveau genre de roman, le roman-conversation (novel of talk), apte à rendre le climat intellectuel d'une époque, un genre qu'Aldous Huxley renouvela au début du xxe siècle. William Hazlitt (1778-1830) n'a pas le pouvoir de suggestion propre aux romantiques ; sa lucidité n'éclaire souvent que des lieux communs : il est pourtant un critique de grand bon sens et un observateur plein de vigueur (The Fight, 1822). Cette période vit naître un grand nombre de magazines littéraires.

Le premier Reform Act de 1832, l'abrogation des Corn Laws en 1846, et l'Exposition de Londres en 1851 sont les dates principales de la prise de pouvoir de la bourgeoisie victorienne. L'intérêt économique est le ressort de l'époque, mais, quoique la compétition la plus acharnée et l'exploitation inhumaine du travail soient les bases de la prospérité industrielle, l'utilitarisme n'est pas franchement proclamé ; le succès de la théorie de l'évolution et du positivisme évite d'en tirer les conclusions extrêmes, et le mot d'ordre est l'optimisme.

Le compromis victorien

Le type le plus représentatif de ce « compromis victorien » est Thomas Babington Macaulay (1800-1859), mais il y eut plusieurs réactions d'un caractère idéaliste contre le rationalisme prédominant et l'illusion d'un équilibre enfin établi. Notamment Thomas Carlyle (1795-1881), qui, entre autres œuvres plus connues, critiqua l'organisation sociale moderne dans Past and Present (1843). Enthousiaste de la littérature allemande, Carlyle en continua la divulgation commencée par Coleridge ; John Ruskin (1819-1900) combattit la menace de laideur issue de la civilisation industrielle (Unto this Last, 1860) et les conventions révolues de l'art académique (Modern Painters, 1843-1860).

Charles Dickens - crédits : John & Charles Watkins/ Hulton Archive/ Getty Images

Charles Dickens

Le mouvement d'Oxford et son représentant majeur, John Henry Newman (1801-1890), réagirent contre la tentative de traiter la religion scientifiquement et se firent les promoteurs d'un retour à la tradition médiévale et au ritualisme. Matthew Arnold (1822-1888) attaqua le « philistinisme » de ses compatriotes et insista sur l'importance de la culture classique (Culture and Anarchy, 1869). Charles Dickens (1812-1870), tout en ne faisant partie d'aucun des courants radicaux de son temps, attira l'attention sur les problèmes de la misère ; c'est à lui que l'on doit les premières descriptions d'une grande et sinistre métropole moderne, mais il est aussi un délicieux peintre de genre à la façon hollandaise et un humoriste qui ne fatigue jamais ; il s'essaya même au roman à sensation (The Mystery of Edwin Drood, 1870) mis à la mode, en même temps que le roman policier, par Wilkie Collins (1824-1889), auteur de La Dame en blanc (The Woman in White, 1860) et de La Pierre de Lune (The Moonstone, 1868).

Oscar Wilde, 1882 - crédits : Napoleon Sarony/ Everett Historical/ Shutterstock

Oscar Wilde, 1882

William Malepeace Thackeray (1811-1863) doit être plutôt rangé parmi les représentants typiques du compromis victorien, car les traits amers de sa satire ne sont jamais une critique radicale de la société contemporaine. Romancier, il a su rendre comme peu d'autres l'inévitable influence des années sur le caractère et les passions, et le point de vue anti-héroïque à l'égard de l'histoire. D'une façon encore plus subtile et plus proche de la vie réelle, Anthony Trollope (1815-1888) a donné un panorama de la vie victorienne tant dans les milieux ecclésiastiques (The Warden, 1855 ; The Last Chronicle of Barset, 1867) que sociaux et politiques (The Prime Minister, 1876, et surtout The Way We Live Now, 1875). George Eliot, pseudonyme de Mary Ann Evans (1819-1880), a perçu l'intérêt dramatique et sentimental de l'existence des humbles et des ratés ; elle insiste sur l'importance des devoirs quotidiens et se rattache à la tradition qui remonte à l'Elegy de Thomas Gray et aux Lyrical Ballads de Wordsworth. Les réalistes anglais se documentent à la façon de Zola avec Charles Reade (1814-1884), ou bien continuent à décrire la province, à la suite de Jane Austen, comme Mrs. E. C. Gaskell (1810-1865). Le cas des sœurs Brontë (Charlotte, 1816-1855 ; Emily, 1818-1848, et Anne, 1820-1849), surtout d'Emily, est si unique dans la littérature victorienne qu'on pense à propos d'elles à l'Ayers Rock, cette montagne solitaire rouge qui surgit au milieu du désert australien. Les Hauts de Hurlevent(Wuthering Heights, 1847) est un tel sommet : la créature humaine s'y trouve aux prises avec les forces mystérieuses de l'univers. Un seul autre romancier anglais, Thomas Hardy (1840-1928), s'est efforcé, avec un succès inégal, d'exprimer cette relation métaphysique : pour David Herbert Lawrence (1885-1930), cependant, la force de Hardy ne réside pas dans les idées, mais dans son instinct et sa sensibilité qui sont autrement sûrs ; la remarque vaut pour les romans de D. H. Lawrence lui-même, duquel Aldous Huxley a dit : « Son don propre et caractéristique fut une sensibilité extraordinaire à ce que Wordsworth appela les manières inconnues de l'être. » Dans le cadre du xixe siècle, Emily Brontë et Thomas Hardy furent parmi les rares témoins du frisson religieux de l'homme sous la voûte nue du ciel. Trop souvent les victoriens n'eurent au-dessus de leurs têtes qu'un curieux plafond, ou quelque délicieuse charmille. Ce fait se vérifie chez les meilleurs poètes de l'époque : Alfred Tennyson (1809-1892) et A. C.  Swinburne (1837-1909). Quant à Robert Browning (1812-1889), son « Dieu est dans le ciel, tout va bien dans le monde » coïncide trop avec l'opinion courante de l'âge victorien pour qu'on puisse y trouver une profondeur goethéenne. Le ciel de Browning arrive tout au plus jusqu'aux voûtes de l'église de cour de Mannheim sous lesquelles son Abt Vogler faisait retentir ses orgues. Et si Tennyson indique un vague au-delà (« behind the veil, behind the veil ») dans le même poème de In Memoriam (1850), on trouve une allusion bien plus positive à la cruauté de la Nature, qui semble hurler contre la loi d'amour du Christ. Peut-être le son le plus religieux des poètes victoriens résonne-t-il dans l'imploration désespérée de l'Anactoria de Swinburne, qui exprime la sinistre religion inversée de l'abîme. Certes, le matérialisme de Sade semble avoir ouvert des horizons plus vastes à Swinburne qu'à D. G.  Rossetti (1828-1882) le Paradis de Dante, qu'on trouve réduit à un chiffre dans le décor préraphaélite de la Blessed Damozel (1847). Swinburne et W. H.  Pater (1839-1894) ouvrirent le chemin à la décadence et à Oscar Wilde (1854-1900) ; le décadentisme et le symbolisme influèrent sur la renaissance celtique qui fleurit en Irlande et dont la figure dominante, qui dépasse de loin la frontière d'un genre, fut William Butler Yeats (1865-1939).

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Écrit par

  • : agrégée, professeur de littérature anglaise (théâtre) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
  • : écrivain, professeur de littérature anglo-américaine
  • : ancien élève de l'École supérieure, professeur de littérature anglaise à l'université de Paris-VIII, directeur à la Direction du livre et de la lecture
  • : professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon
  • : écrivain, critique littéraire
  • : maître assistant d'anglais, agrégée, docteur d'État, professeur à l'université de Paris-Nord
  • : ancien professeur à l'université de Rome

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Chaucer à cheval - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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Milton, Le Paradis perdu - crédits : De Agostini/ Getty Images

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