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VICTORIENNE ÉPOQUE

Petite-fille de George III, Victoria succède, en 1837, à son oncle Guillaume IV. Elle est alors âgée de dix-huit ans et découvre un héritage des plus difficiles : une monarchie déconsidérée par le souvenir d'un George IV corrompu et d'un Guillaume qui, « dans sa vie privée, aurait fait un marin d'heureux caractère » ; une société bouleversée par la révolution industrielle, qui en est alors à sa deuxième phase du chemin de fer et de la métallurgie et qui grossit les villes de foules misérables et provoque l'émergence de « deux nations », la bourgeoisie conquérante et le prolétariat, dans un même État : trois ans plus tôt, en réformant la loi des pauvres d'Élisabeth, on a encore accentué l'humiliation des indigents, contraints désormais, en principe, à se laisser embastiller dans des « asiles de travail », les workhouses ; les dissensions sont telles que la première année du règne voit l'éclosion de la Ligue contre les lois protectionnistes qui réunit les intérêts industriels contre les fonciers, et la naissance du mouvement chartiste, unissant petits-bourgeois et prolétaires dans la revendication d'une démocratie ; dans un pays que la déchristianisation menace, malgré la renaissance théologique du mouvement d'Oxford, où les grandes écoles et universités connaissent une crise qui fait crier à la décadence culturelle, seules la richesse et la puissance navale paraissent émerger ; de sombres prédictions annoncent pourtant les ravages d'une révolution sociale.

En 1901, au terme d'un règne de près de soixante-quatre années, la reine lègue à son fils Édouard (VII) un pays transformé. Jamais la monarchie n'y a été aussi populaire et le républicanisme y fait figure d'excentricité. La puissance industrielle est sur le déclin, l'agriculture réduite à n'assurer que cinq mois de subsistance par an, mais le Royaume-Uni est le banquier du monde, ses flottes de commerce sont encore sans rivales, ses revenus extérieurs et l'importation à bon marché d'aliments et de matières premières consolident une monnaie forte, le pouvoir d'achat des masses s'est amélioré de 40 p. 100 dans les dernières décennies et le prolétariat socialisé n'a pas été gagné par les thèses d'un socialisme révolutionnaire. Une démocratie encore inachevée permet déjà de canaliser les mécontentements vers les urnes. L'Empire, le plus étendu et le plus riche de l'histoire, réunit sous un même sceptre le quart des terres et des hommes du monde, et il est la fierté commune de toutes les classes de la société. D'énormes efforts de rechristianisation n'ont pas fait regagner le terrain perdu, mais on s'en console en vérifiant l'emprise considérable de la morale chrétienne sur la masse des non-pratiquants.

L'époque victorienne se définit ainsi comme celle de la réconciliation des Anglais entre eux, de la Couronne et du peuple, de la grandeur internationale, de la paix. L'adjectif « victorien » s'applique aussi à tous les aspects de la morale et des mentalités, qualifie une littérature et des arts. L'époque se voit parfois artificiellement dotée d'une unité qu'elle n'a pas connue, mais reste auréolée de la légende d'un âge d'or britannique, le dernier avant les souffrances du siècle de la guerre totale.

— Roland MARX

La période victorienne est un des sommets de l'histoire d'Angleterre, le triomphe d'un compromis dont l'esprit de réforme est le moyen. L'Angleterre s'engage dans une période de prospérité sans précédent. La vapeur sur terre et sur les mers donne à la production un essor décuplé par l'avance qu'elle a prise sur les autres nations ; sauf l'expédition de Crimée (1854-1855), elle fera l'économie de la guerre. La rançon de la prospérité victorienne[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à la Faculté des lettres et sciences humaines de Paris
  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Louis BONNEROT et Roland MARX. VICTORIENNE ÉPOQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Victoria, reine du Royaume-Uni - crédits : Culture Club/ Getty Images

Victoria, reine du Royaume-Uni

Le terrain du choléra - crédits : Ann Ronan Pictures/ Print Collector/ Getty Images

Le terrain du choléra

Charles Darwin - crédits : Spencer Arnold/ Getty Images

Charles Darwin

Autres références

  • RÈGNE DE LA REINE VICTORIA, en bref

    • Écrit par Sylvain VENAYRE
    • 227 mots
    • 1 média

    Montée sur le trône en 1837, et disparue le 22 janvier 1901, la reine Victoria aura symbolisé le Royaume-Uni à l'apogée de sa puissance. L'« ère victorienne » résume ainsi le succès et les ambiguïtés de l'Angleterre de la seconde moitié du xixe siècle. Le pays...

  • VICTORIA (reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande)

    • Écrit par Philippe CHASSAIGNE
    • 3 293 mots
    • 4 médias

    La reine Victoria, née Alexandrina Victoria de Hanovre, devenue de Saxe-Cobourg - Gotha par son mariage avec le prince Albert en 1840, est née à Londres, le 24 mai 1819, au palais de Kensington, et décédée le 22 janvier 1901, à Osborne House, sur l’île de Wight. Son règne de soixante-trois...

  • BRIGHT JOHN (1811-1889)

    • Écrit par Roland MARX
    • 832 mots

    Homme politique britannique de premier plan et grande figure du libéralisme, John Bright est un industriel du Lancashire. Appartenant à une famille de quakers, il a reçu une bonne éducation, mais n'est pas passé par les universités ; autodidacte, il a marqué l'éloquence parlementaire par la qualité...

  • BURNS JOHN ELLIOT (1858-1943)

    • Écrit par Paul CLAUDEL
    • 532 mots
    • 1 média

    Alors qu'il n'est qu'un jeune ouvrier mécanicien, Burns adhère au socialisme. Il participe, avec Hyndmann notamment, à la fondation de la Democratic Federation, première organisation ouvrière anglaise se réclamant du marxisme. Dénonçant le « défensisme » des leaders syndicalistes, Burns et ses...

  • CAMERON JULIA MARGARET (1815-1879)

    • Écrit par Elvire PEREGO
    • 586 mots
    • 3 médias

    Une certaine tentation picturale, teintée d'esthétisme et d'artifice, caractérise l'œuvre photographique de Julia Margaret Cameron, exclusivement consacrée à la figure humaine.

    Personnalité excentrique, Julia Margaret, deuxième des sept sœurs Pattle, naquit le 11 juin 1815, à Calcutta...

  • CARLYLE THOMAS (1795-1881)

    • Écrit par Michel FUCHS
    • 1 713 mots

    Que Carlyle ait été tenu pour le prototype du « sage » à l'époque victorienne peut paraître paradoxal : nul n'a dénoncé avec plus de persévérance et de violence l'imposture universelle de son siècle. Pourtant, la vénération qui entoure, à la fin de sa vie, cet homme si peu conservateur qu'il rejette...

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Voir aussi