- 1. Chaucer et le Moyen Âge
- 2. Renaissance et floraison élisabéthaine
- 3. Des poètes métaphysiques à la satire
- 4. Des aventures de Gulliver au roman noir
- 5. Retour à la poésie
- 6. L'époque victorienne
- 7. Tournants du XXe siècle
- 8. Le roman contemporain
- 9. La poésie contemporaine
- 10. Le théâtre contemporain
- 11. Littérature pour enfants
- 12. Bibliographie
ANGLAIS (ART ET CULTURE) Littérature
Renaissance et floraison élisabéthaine
Caractère de la Renaissance anglaise
La Renaissance pénétra en Angleterre avec une grande lenteur ; et la Renaissance religieuse, c'est-à-dire la révolte contre le catholicisme intellectuel et scolastique, devança la renaissance littéraire ; d'où l'absence dans cette dernière de la sérénité païenne et, en revanche, sa participation aux tendances calvinistes de la Réformation. Cela explique aussi son attitude à l'égard de l'Italie, attitude partagée entre l'admiration et une méfiance qui frise l'indignation, et qu'on peut bien saisir dans Le Maître d'école (The Schoolmaster, 1570) de Roger Ascham (1515-1568) et dans Le Voyageur infortuné (The Unfortunate Traveller, 1594) de Thomas Nashe (1567-1601). Un autre fait capital permet de comprendre le caractère exubérant, maniériste et baroque de la littérature qui fleurit sous Élisabeth. L'exemple de sir Thomas Wyatt (1503-1542) et de Henry Howard, comte de Surrey (1517-1547), qui, dans la première moitié du xvie siècle, importèrent directement d'Italie le sonnet de Pétrarque déjà nuancé du concettismo de Serafino Aquilano, n'eut pas de suite, et lorsque Thomas Watson (1557 env.-1592 env.) et sir Philip Sidney (1554-1586) créèrent la vogue du sonnet élisabéthain à la fin du siècle, l'œuvre de la Pléiade était accomplie, et les noms de Ronsard, Du Bellay, Desportes étaient non moins célèbres que ceux des poètes italiens. Ainsi les Anglais ne recueillirent-ils de la Renaissance italienne que la phase finale, lorsque l'astre du Cavalier Marin avait déjà paru à l'horizon. L'introduction des coutumes et des modes d'Italie, soit directement, soit par l'intermédiaire de la France, modifia profondément la culture et la façon de vivre des classes supérieures anglaises. Déjà, à la cour d'Henri VIII, Le Courtisan de Baldassarre Castiglione et Le Prince de Machiavel avaient trouvé des disciples. À la fin du siècle, une foule de traductions acheva de mettre l'Angleterre au diapason de la Renaissance. Cette hâtive assimilation aboutit au phénomène de l' euphuisme, ainsi nommé d'après le titre d'un roman de John Lyly (1554 env.-1606), Euphues ou l'Anatomie de l'esprit (Euphues or the Anatomy of Wit, 1578) ; ce langage sophistiqué remontait en définitive au Filicolo (L'Amoureux de l'Amour) de Boccace.
L'Arcadia (publiée en 1590) de sir Philip Sidney est d'inspiration analogue. C'est un essai assez naïf d'analyse des sentiments au moyen d'un réseau de subtilités pétrarquistes et alexandrines. Les sonnets d'Astrophel and Stella offrent un curieux exemple du caractère attardé des sonnets de la littérature anglaise. D'un côté Sidney déclare écouter seulement la voix du cœur, selon l'invitation de Joachim Du Bellay (Contre les Pétrarquistes), de l'autre il écrit dans le style en vogue aux environs de 1580, quand Du Bellay et Ronsard avaient adapté leur manière à la dernière mode italienne. Cependant, les sonnets de Sidney ne sont pas d'un imitateur servile ; pénétration psychologique et mouvements passionnés lui méritent le titre de Pétrarque anglais.
De même que Chaucer, par rapport à Boccace, semblait représenter un retour au Moyen Âge, de même Edmund Spenser par rapport à l'Arioste, auquel La Reine des fées (The Faerie Queene, 1590-1596-1609) doit tant. Le poème de Spenser est tout pénétré d'allégories qui se superposent au poème de l'Arioste. Serait-ce donc la nouveauté de Spenser d'avoir présenté sous une forme allégorique le poème épique romanesque ? Mais il faut ajouter que l'allégorie ne constitue chez lui qu'une surface voyante, alléchante. Plus profondément, comme G. S. Lewis l'a remarqué dans The Allegory of Love, il y a l'inquiétude des antithèses du monde, la lumière et les ténèbres, la vie et la mort, une conception religieuse d'une lutte entre les principes, telle qu'on la trouve dans Calderón et ses autos sacramentales et dans Shelley. Et l'humilité, l'honnêteté avec lesquelles le poète fait face à ces suprêmes antinomies, son platonisme qui, malgré ses origines florentines, reste foncièrement protestant et austère, sont des éléments qui confèrent à son œuvre une physionomie bien anglaise, de même qu'anglaise est sa mélodieuse indétermination, son air d'ange qui bat les ailes dans le vide (si l'on peut appliquer à lui aussi le mot d'Arnold à propos de Shelley). Sans son exemple, Comus de Milton et l'Hymne à la Beauté intellectuelle de Shelley n'auraient pas été écrits. Ce Spenser, que l'épithète traditionnelle de « poète pour les poètes » ne définissait pas, et que la critique moderne a découvert, peut concilier les vols les plus éthérés de la fantaisie avec les humbles, presque banales réalités quotidiennes : c'est bien la conciliation qu'on retrouve chez maints écrivains anglais, et plus que tout dans Shakespeare.
Le drame élisabéthain
Le goût populaire avait conservé au théâtre anglais l'aspect moyenâgeux de successions de tableaux, comme dans les mystery plays, de sorte que les unités de temps, de lieu et d'action ne purent pas s'acclimater en Angleterre. Pour différents que soient les auteurs dramatiques qui élevèrent le théâtre anglais des imitations de Sénèque à la splendeur d'une floraison qui n'a pas d'égal en dehors de la Grèce antique, si diverses que soient les inspirations de Marlowe, Chapman, Messinger, Webster et Ford, on ne peut célébrer quelque vertu de l'un d'entre eux sans qu'elle ne se retrouve accrue et plus brillante chez Shakespeare.
Le monde à la fois fantastique et réel du théâtre élisabéthain (ces cris du cœur qui jaillissent d'un dialogue souvent décousu ou d'une déclaration retentissante) aboutit chez Shakespeare à la sérénité du chef-d'œuvre, particulièrement dans les drames majeurs. Car le drame shakespearien est inégal, et ses faiblesses sont plus irritantes, sans doute, à cause de son génie même, ainsi le sublime et absurde Cymbeline. Il est vrai que chaque âge voit les maîtres du passé selon ses intérêts et son goût propre, et le Shakespeare qui plut en son temps est l'auteur des comédies brillantes et aériennes. Aujourd'hui, même si l'on n'est pas, comme les romantiques, obsédé par Hamlet, on perçoit en lui d'autres dimensions.
Le théâtre avant Shakespeare, du drame grec à celui du Moyen Âge, consistait en un enchaînement logique de cause à effet, de crime à châtiment. On voit immédiatement en quoi se différencie le génie de Shakespeare et pourquoi il mérite le titre de premier dramaturge moderne. Il est le premier, en effet, à faire éprouver aux spectateurs combien la réalité est incontrôlable et pleine de surprises, comment les forces que déchaîne l'égoïsme de l'homme échappent à son pouvoir. Ainsi, dans les drames antérieurs à Shakespeare, la vengeance était le résultat d'un plan, dans Hamlet, elle a lieu de la façon la plus imprévisible ; dans Le Roi Lear, la farce de justice distributive actionnée par l'égoïsme aveugle du roi déclenche des passions et des appétits qui aboutissent à une forme de justice bien différente, et le seul réconfort accordé au condamné est le népenthès de l'ignorance et de l'illusion jusqu'au dernier moment. Shakespeare instaure une nouvelle relativité ; on pourrait dire qu'il a été l'Einstein du théâtre. Et s'il y a un enseignement moral dont ses drames sont féconds, il peut se résumer à ceci : se méfier de la volonté qui a ses racines dans l'égoïsme, lequel produit des désastres incalculables. C'est un enseignement conforme à celui du christianisme, et qui peut même paraître banal.
Pour réagir contre la tendance à leur appliquer la psychanalyse, un professeur américain, J. W. Draper, a essayé d'étudier les personnages de Shakespeare à la lumière des anciennes théories médicales sur les humeurs. N'y eut-il pas Ben Jonson (1572-1637), contemporain de Shakespeare, pour bâtir sur ce fondement la psychologie de ses personnages ? Mais il doit la réussite de Volpone(1606) et de The Alchimist (env. 1609) plus à sa verve satirique qu'à l'application de la théorie des humeurs, et aucun des héros de Shakespeare n'est tiré schématiquement de ce moule. La méthode du professeur américain s'avère bonne tant qu'il s'agit de personnages comme le docteur Caius des Joyeuses Commères de Windsor, dont le type correspond au cholérique tel qu'il est décrit dans un traité de C. Dariot, mais lady Macbeth est flegmatique, cholérique, mélancolique... et tout autre chose encore.
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Écrit par
- Elisabeth ANGEL-PEREZ : agrégée, professeur de littérature anglaise (théâtre) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Jacques DARRAS : écrivain, professeur de littérature anglo-américaine
- Jean GATTÉGNO : ancien élève de l'École supérieure, professeur de littérature anglaise à l'université de Paris-VIII, directeur à la Direction du livre et de la lecture
- Vanessa GUIGNERY : professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon
- Christine JORDIS : écrivain, critique littéraire
- Ann LECERCLE : maître assistant d'anglais, agrégée, docteur d'État, professeur à l'université de Paris-Nord
- Mario PRAZ : ancien professeur à l'université de Rome
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