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QUINCEY THOMAS DE (1785-1859)

Plus jeune d'une dizaine d'années que Wordsworth, Scott, Coleridge, Landor et Lamb, De Quincey paraît profondément lié au mouvement romantique anglais, mais il y occupe une place à part. Car sa figure est ambiguë et son talent parvient à faire voisiner les extrêmes et les contradictions : ses thèmes sont souvent « romantiques », mais une passion du détail, de la logique, de l'analyse en fait un écrivain d'une modernité surprenante. Il excelle à décrire l'horreur des défaillances physiologiques comme l'envoûtement des rêveries hallucinées, et à inspirer le frisson que dégage l'attente angoissée du crime. Une voluptueuse recherche du rêve et du morbide annonce Baudelaire, Wilde et Huysmans, tandis que son goût du fantastique et du gothique rappelle Scott et Ann Radcliffe. Mais De Quincey s'impose surtout comme maître du récit, de l'autobiographie, du fragment, poète et analyste des moments clefs en des textes d'une fulgurante beauté qui influencèrent nombre de romantiques et symbolistes français.

La hantise de la mort

L'enfance de Thomas De Quincey le destine à devenir un de ces artistes hantés par l'antérieur comme le furent Baudelaire et Proust. Il est né à Manchester d'un père tuberculeux obligé de plus en plus de s'éloigner des siens. Sa mère, autoritaire et remarquable, dut, seule, élever une famille de huit enfants. Thomas est le cinquième, chéri par trois sœurs aînées ; circonstance dont l'importance est tout de suite saisie par Baudelaire dans son commentaire aux Confessions : « Les chatteries des sœurs aînées, espèces de mères diminutives, transforment pour ainsi dire, en la pétrissant, la pâte masculine » ; circonstance tragique aussi, car l'enfant fait très tôt l'expérience du deuil, ou plutôt celle de la « mélancolie », pour reprendre le terme que Freud oppose à une perte raisonnée et acceptée. En effet, il n'a que deux ans quand il perd une petite sœur âgée de trois ans, puis, entre 1790 et 1795, les morts se multiplient autour de lui : sa grand-mère maternelle, son père en 1793, enfin sa sœur préférée qui a neuf ans, Elizabeth. Mort d'autant plus tragique que Thomas avait reporté sur elle toute l'affection et l'amour qu'il ne put jamais vivre avec sa mère, rigide et distante. La mort subite d'Elizabeth due à une encéphalite inspire à l'enfant une incurable nostalgie dont les échos ne cessent de résonner dans l'œuvre. La scène capitale de ce drame, l'auteur la raconte dans Suspiria de profundis (1845), suite aux Confessions d'un opiomane anglais (Confessions of an English Opium-Eater, 1822). Ouvrant une porte que l'on avait oublié de fermer à clef, De Quincey pénétra à l'insu de tous dans la chambre de sa sœur et contempla longuement le cadavre, tandis que soufflait un vent étrange et que les nuages passaient sur le ciel d'été. Le temps s'abolit. Jamais De Quincey ne saura la durée du moment où il est resté auprès de la morte au visage clos. Son esprit lui sembla voguer sur les flots à la poursuite de Dieu, mais Dieu le fuit : « Fuite et poursuite semblèrent durer éternellement. » Cette scène contient tous les thèmes obsessionnels qui ne cesseront de hanter l'œuvre, quel que soit le ton que De Quincey imprime à des textes où domine tantôt l'humour noir et féroce, tantôt un lyrisme mélancolique, tantôt un suspens dramatique et visionnaire annonciateur de Poe. Ainsi dans les admirables « rêveries fatidiques » de Suspiria de profundis, ou dans celles des Confessions, reviennent de façon lancinante l'antithèse de la mort et de l'été et la poursuite d'un visage qui défie toute quête, dont l'exemple le plus célèbre est la rencontre avec la petite prostituée londonienne, Ann. La recherche de ce visage sororal et maternel se confond[...]

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Pour citer cet article

Diane de MARGERIE. QUINCEY THOMAS DE (1785-1859) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONFESSIONS D'UN MANGEUR D'OPIUM ANGLAIS, Thomas De Quincey - Fiche de lecture

    • Écrit par Sylvère MONOD
    • 862 mots

    Les Confessions d'un mangeur d'opium anglais assurèrent à Thomas De Quincey (1785-1859) la célébrité de son vivant et un rang honorable dans l'histoire de la littérature anglaise de l'époque romantique. Non qu'il n'ait rien écrit d'autre. Au contraire : il publia quelque cent cinquante...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...on Whist », « Dissertation upon Roast Pig », dans le même volume), fut aussi des premiers à réapprécier et à commenter les dramaturges élisabéthains. Thomas De Quincey (1785-1859) chercha une évasion à ses obsessions morbides dans l'humour (De l'assassinat considéré comme un des beaux arts ...
  • HALLUCINOGÈNES, littérature

    • Écrit par Jacques JOUET
    • 1 054 mots
    • 1 média

    « Je comparerai », dit Baudelaire dans Du vin et du haschisch (1851), « ces deux moyens artificiels, par lesquels l'homme exaspérant sa personnalité crée, pour ainsi dire, en lui une sorte de divinité. » Pour Baudelaire, à ce moment, la différence entre les deux substances est assez radicale...

  • POLICIER ROMAN

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    ...développement d’Internet a facilité la transmission de textes plus anciens et divers critiques contestent le choix de Poe comme premier auteur de polar. Quelques-uns estiment que cette place revient à Thomas de Quincey. Ce Britannique signa, à partir de 1827, une œuvre en quatre parties, De l’assassinat...

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