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VIE

La vie comme information

Si l'on entend par cybernétique une théorie générale des opérations contrôlées, exécutées par des machines montées de façon telle que leurs effets ou leurs produits soient conformes à des normes fixées ou ajustés à des situations instables, on conviendra qu'il était normal que les régulations organiques, et avant tout celles qu'assure le système nerveux, deviennent un jour le modèle de ces machines dont beaucoup ont été données pour modèles de ces régulations. Entre les machines à servomécanismes ou à homéostats et les organismes, les relations d'analogie sont à double sens. Au concept d'action réciproque des parties les unes sur les autres s'est ajouté le concept de rétroaction (feed-back) ou de boucle de régulation. C'est pourquoi l'organisation cybernétique des machines artificielles et des machines naturelles s'énonce en termes de théorie des communications, c'est-à-dire d'information. Dans un système de liaisons où la grandeur d'un effet est contrôlée par un détecteur d'écarts à partir du taux ou de l'optimum fixés, et où la détection détermine par action rétrograde une modification de la quantité de la cause, l'agent du contrôle et de la commande intervient comme porteur d'une instruction communiquée par le détecteur à l'effecteur. Cette instruction opère par sa forme de signal plutôt que par sa force d'impact. L'information est un message d'ordre à tous les sens du terme : structure cohérente à fonction de clef, commandement sans équivoque.

Un organisme est alors compris comme système biologique, système dynamique ouvert qui défend son équilibre, en maintenant des constantes envers et contre les perturbations qui l'affectent, en ajustant, soit à un niveau d'entretien, soit à une performance à réaliser, les relations qu'il soutient avec le milieu d'où il tire son énergie.

Les travaux de C. E. Shannon (1948) sur la théorie des communications et de l'information, sur les rapports entre la théorie de l'information et la thermodynamique, ont paru apporter à la philosophie biologique les éléments d'une réponse positive à la question millénaire de la nature et de la fonction de la vie. Le second principe de la thermodynamique, qui explique l'irréversibilité des transformations dans un système isolé, par dégradation de l'énergie ou par croissance de l'entropie, concerne des objets indifférents à la qualité de leurs états, inertes, morts. L'organisme, qui se nourrit, s'accroît, régénère ses mutilations, réagit aux agressions, guérit spontanément de certaines maladies, n'est-il pas en lutte contre le destin de désorganisation universelle proclamé par le principe de Carnot ? L'organisation est-elle ordre au sein du désordre ? maintien d'une quantité d'information proportionnelle à la complexité de la structure ? Dans son langage algorithmique propre, la théorie de l'information n'en dirait-elle pas plus sur le compte du vivant que Bergson dans L'Évolution créatrice (1907, iii) ?

En fait, la distance est grande et la différence irréductible entre les théories actuelles de l'organisation par information et les idées que se faisaient, d'une part, Claude Bernard du développement de l'organisme individuel sous l'empire d'une « idée directrice » et, d'autre part, Bergson de l'évolution des espèces dans le sillage de l'« élan vital ». Claude Bernard ne fournissait aucune explication de l'évolution des espèces, Bergson ne fournissait aucune explication de la stabilité, de la fiabilité des structures vivantes. Le recoupement des leçons de la biologie moléculaire et de la génétique a déterminé la formation d'une théorie unitaire de la constitution chimique,[...]

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Classification

Pour citer cet article

Georges CANGUILHEM. VIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • VIVANT (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 2 934 mots

    Les philosophies du vivant peuvent être classées dans un champ circonscrit par deux positions extrêmes et antagonistes qui ne sont défendues que par un petit nombre d’entre elles : « tout est vivant » ; « rien n’est vivant ». À une extrémité se situent des conceptionsqu’on...

  • ANIMAUX MODES DE REPRODUCTION DES

    • Écrit par Catherine ZILLER
    • 4 447 mots
    • 4 médias

    Tout être vivant tend à se conserver en tant qu'individu et à se perpétuer en tant que membre d'une espèce. Ces deux tendances reposent l'une et l'autre sur une faculté fondamentale de la matière vivante, la faculté de se reproduire. La reproduction a pu être définie par Buffon (1748) comme...

  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    De la nature à la vie, de la vie à l'âme, la transition est, pour Aristote, continue. Nous avons vu que la nature était définie par lui comme principe interne de mouvement, autrement dit comme spontanéité (ainsi, la pierre tend d'elle-même vers le bas). Dès lors, la difficulté n'est pas tellement pour...
  • ASSIMILATION & ACCOMMODATION, psychologie

    • Écrit par Alain DELAUNAY
    • 579 mots

    La réunion de ces deux notions a été proposée par Jean Piaget pour éclaircir et conceptualiser deux aspects fonctionnels qui caractérisent tous les phénomènes d'adaptation au sens le plus général du terme.

    Les concepts d'assimilation et d'accommodation sont apparus dans des registres...

  • ATMOSPHÈRE - La couche atmosphérique terrestre

    • Écrit par Jean-Pierre CHALON
    • 7 816 mots
    • 7 médias
    ...agressions externes (bactéries, champignons, virus), endommager l’ADN de tous les êtres vivants et y induire des mutations. Ainsi, le développement de la vie sur notre planète a été conditionné par la présence de molécules d’ozone qui absorbent fortement le rayonnement solaire dans l’ultraviolet B (entre...
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