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VIE

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Les obstacles à la connaissance scientifique de la vie

C'est à l'œuvre de Gaston Bachelard que l'épistémologie française contemporaine doit l'intérêt qu'elle porte, en général, à l'origine et au fonctionnement des obstacles à la connaissance. En esquissant les principes d'une psychanalyse de la connaissance objective, Bachelard, s'il ne l'a pas proposé lui-même, a du moins suggéré l'idée qu'il n'y a pas pour la connaissance d'objets en soi complexes, mais des objets de complexes. La question des obstacles ne se pose ni pour l'empirisme ni pour le rationalisme classique. Pour l'empiriste, nos sens sont des récepteurs. Il méconnaît le fait que les sens sont aussi des producteurs de qualités. Pour le rationaliste, la connaissance déprécie la sensibilité, une fois pour toutes. Quand l'intellect est retrouvé dans sa pureté, on ne peut plus le perdre. Au contraire, pour l'anthropologie contemporaine, instruite par la psychanalyse et l'ethnographie, on ne peut considérer les obstacles à la science autrement que comme des contraintes obsessionnelles qu'un paléopsychisme impose d'avance et indistinctement aux entreprises de recherche d'une pensée à la fois curieuse et docile. C'est donc le sens de la présence obsédante de valeurs étrangères à la connaissance, dans l'acte initial de cette même connaissance, qui doit être dégagé dans le cas de la connaissance de la vie. On peut dire en un mot que, même si la connaissance objective, étant entreprise humaine, est en fin de compte un travail de vivant, son postulat, ou sa condition première de possibilité, consiste dans la négation systématique, en tout objet auquel elle s'applique, de la réalité des qualités que le vivant humain identifie avec la vie, d'après la conscience qu'il a de ce qu'est, pour lui, vivre. Vivre, c'est valoriser les objets et les circonstances de son expérience, c'est préférer et exclure des moyens, des situations, des mouvements. La vie, c'est le contraire d'une relation d'indifférence avec le milieu. Bichat l'a noté avec beaucoup de perspicacité : « Il y a deux choses dans les phénomènes de la vie : l'état de santé, celui de maladie ; de là deux sciences distinctes, la physiologie [...], la pathologie. L'histoire des phénomènes dans lesquels les forces vitales ont leur type naturel nous mène, comme conséquence, à celle des phénomènes où ces forces sont altérées. Or, dans les sciences physiques, il n'y a que la première histoire ; jamais la seconde ne se trouve » (Introduction à l'Anatomie générale appliquée à la physiologie et à la médecine, 1801). Quant à la connaissance, elle nie les inégalités axiologiques que la vie introduit dans les relations des objets entre eux, elle mesure, c'est-à-dire elle détermine, ses objets par relation des uns aux autres, sans privilège de référence et de référé. Son premier succès historique majeur a été la mécanique fondée sur le principe d'inertie, par soustraction du mouvement de la matière au pouvoir exécutif de la vie. Inertie, c'est inactivité et indifférence. On conçoit donc aisément que l'extension à la vie des méthodes de la connaissance de la matière ait rencontré jusqu'à nos jours des résistances renouvelées, qui n'exprimaient pas toujours uniquement une répugnance de nature affective, mais parfois le refus réfléchi d'un espoir paradoxal, celui d'expliquer un pouvoir au moyen de concepts et de lois initialement formés à partir d'hypothèses qui le nient.

Quand il a voulu faire une « psychanalyse de la vie », Bachelard a écrit Lautréamont (1939), où il montre que les premiers efforts de l'objectivité scientifique pour rectifier le réalisme naïf de l'animalité n'ont pas échappé[...]

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Pour citer cet article

Georges CANGUILHEM. VIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • VIVANT (notions de base)

    • Écrit par
    • 2 934 mots

    Les philosophies du vivant peuvent être classées dans un champ circonscrit par deux positions extrêmes et antagonistes qui ne sont défendues que par un petit nombre d’entre elles : « tout est vivant » ; « rien n’est vivant ». À une extrémité se situent des conceptionsqu’on...

  • ANIMAUX MODES DE REPRODUCTION DES

    • Écrit par
    • 4 447 mots
    • 4 médias

    Tout être vivant tend à se conserver en tant qu'individu et à se perpétuer en tant que membre d'une espèce. Ces deux tendances reposent l'une et l'autre sur une faculté fondamentale de la matière vivante, la faculté de se reproduire. La reproduction a pu être définie par Buffon (1748) comme...

  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    De la nature à la vie, de la vie à l'âme, la transition est, pour Aristote, continue. Nous avons vu que la nature était définie par lui comme principe interne de mouvement, autrement dit comme spontanéité (ainsi, la pierre tend d'elle-même vers le bas). Dès lors, la difficulté n'est pas tellement pour...
  • ASSIMILATION & ACCOMMODATION, psychologie

    • Écrit par
    • 579 mots

    La réunion de ces deux notions a été proposée par Jean Piaget pour éclaircir et conceptualiser deux aspects fonctionnels qui caractérisent tous les phénomènes d'adaptation au sens le plus général du terme.

    Les concepts d'assimilation et d'accommodation sont apparus dans des registres...

  • ATMOSPHÈRE - La couche atmosphérique terrestre

    • Écrit par
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    • 7 médias
    ...agressions externes (bactéries, champignons, virus), endommager l’ADN de tous les êtres vivants et y induire des mutations. Ainsi, le développement de la vie sur notre planète a été conditionné par la présence de molécules d’ozone qui absorbent fortement le rayonnement solaire dans l’ultraviolet B (entre...
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