THÉOSOPHIE
Au sens restreint, le mot « ésotérisme » désigne une gnose procurant l'illumination et le salut individuels grâce à la connaissance des rapports qui unissent l'homme aux esprits intermédiaires ou divins. La théosophie, elle, concerne d'abord la connaissance des mystères cachés de la divinité et, par extension, celle de l'univers dans ses rapports avec Dieu et avec les hommes. C'est pourquoi on peut parler d'ésotérisme au sens large lorsque celui-ci s'enrichit de la dimension théosophique.
Théosophie et ésotérisme : histoire d'un mot
Le mot theosophia, qui signifie étymologiquement « sagesse de Dieu », apparaît chez plusieurs Pères de l'Église, grecs et latins, comme synonyme de « théologie » ; et cela tout naturellement, puisque sophia signifie à la fois une connaissance, une doctrine et une sagesse. Le sophos est un « sage ». Les theosophoï sont, littéralement, « ceux qui connaissent les choses divines ». Mais si l'on relevait tous les emplois de ce mot chez les auteurs religieux depuis le début du christianisme jusqu'à la Renaissance, on verrait qu'il s'écarte parfois du sens de son synonyme theologia, de la théologie telle que nous l'entendons encore aujourd'hui. Il suggère plus ou moins, en effet, l'existence d'une connaissance de type gnostique (à la manière non du gnosticisme des premiers siècles, mais de l'attitude d'esprit spécifiquement ésotérique). C'est dans ce sens, par exemple, que tendent à l'employer le Pseudo-Denys, au vie siècle, et, d'une manière moins nette, au xiiie, l'auteur de l'étonnante Summa philosophiae, qui n'est sans doute pas Robert Grosseteste auquel on l'a jadis attribuée, mais qui provient du même milieu que le sien. Cet auteur distingue les « philosophes » (Platon, Aristote, Averroès, notamment), les « modernes » (Alexandre de Hales, Albert de Cologne), les « théosophes » (c'est-à-dire tous les auteurs inspirés par les livres saints) et les « théologiens », ceux qui ont pour tâche d'expliquer la théosophie (le Pseudo-Denys, Ambroise, Jérôme, Augustin, Origène, par exemple). Chez d'autres, les contours de ce concept sont aussi flottants. Il semble qu'il faille attendre la Renaissance pour rencontrer plus souvent ce mot, mais il est encore plus ou moins synonyme de « théologie » ou de philosophie. Johannes Reuchlin qui, au début du xvie siècle, contribue grandement à répandre la Kabbale chrétienne, parle des theosophistae pour désigner les scolastiques décadents, suivi en cela par Cornelius Agrippa. Du Cange nous renseigne sur cet emploi, à l'époque, de theosophia pour theologia (cf. son Glossarium ad scriptores mediae et infimae latinitatis, 1733-1736). De 1540 à 1553, Johannes Arboreus (Alabri) publie une Theosophia en plusieurs volumes, mais il ne s'agit guère d'ésotérisme.
Le sens du mot se précise nettement au début du xviie siècle, peut-être sous l'influence de l'Arbatel, livre de magie blanche paru vers 1550 ou 1560, et fort répandu, où ce terme a déjà son sens actuel. On le trouve dès lors chez des auteurs aussi importants que Heinrich Khunrath (De Igne), Oswald Croll (Basilica chymica) et surtout Jacob Boehme. À la fin du chapitre viii du De signatura rerum (§ 56), répondant à ceux qui lui reprochent de confondre la Nature avec Dieu, donc d'être « païen », Boehme précise qu'il ne parle pas de la nature régie par le spiritus mundi, mais d'une autre nature, qui est Verbe (ou Mercure) intérieur ; et il écrit à ce propos : « Ich schreibe nicht Heidnisch, sondern Theosophisch » (« Je n'écris pas comme un païen, mais comme un théosophe »). La théosophie de Boehme comporte une philosophie de la Nature, mais il conçoit cette nature comme essentiellement céleste[...]
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Écrit par
- Antoine FAIVRE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section), professeur à l'université de Bordeaux-III
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Pour citer cet article
Antoine FAIVRE, « THÉOSOPHIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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