Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RUSSIE (Arts et culture) La littérature

La littérature européenne en Russie (1730-1825)

L'introduction en Russie de la culture laïque et cosmopolite de l'Europe des Lumières est l'un des objectifs des réformes de Pierre le Grand. Le développement de l'imprimerie, freiné au xviie siècle par les autorités religieuses qui en détiennent le monopole, s'accélère sous la direction de l'État et contribue, par la désacralisation du livre, à la laïcisation de la culture. L'instruction s'émancipe elle aussi de la tutelle religieuse : dispensée par des établissements d'un type nouveau (Académie des sciences, fondée à Saint-Pétersbourg en 1725 ; École militaire de la noblesse, créée en 1732 ; Université de Moscou, 1755, puis de Saint-Pétersbourg et de Kazan ; et, en 1811, lycée de Tsarskoïe Selo), elle est désormais la marque distinctive d'une classe de serviteurs de l'État, qu'elle éloigne du peuple autant que les privilèges nobiliaires dont elle est la condition. La transformation des mœurs amène l'implantation progressive du théâtre, d'abord à la cour, où viennent jouer des troupes occidentales, puis chez certains grands seigneurs qui recrutent parmi leurs serfs des troupes privées, et aboutit en 1756 à la création d'un Théâtre impérial doté d'une troupe professionnelle stable.

L'acclimatation en Russie des genres et des formes littéraires du classicisme, qui commence vers 1730 avec les satires du prince Antioche Cantemir ( Kantemir, 1708-1744), premier émule russe de Boileau, suppose l'adoption d'une versification mieux adaptée à la prosodie naturelle de la langue que le système syllabique qu'il utilise. C'est l'œuvre de Vassili Trediakovski (Tred'jakovskij, 1703-1769) et de Michel Lomonosov (1711-1765), qui définissent en 1734 et en 1739 les principes du système syllabo-tonique, fondant la mesure du vers sur l'accent tonique. Plus généralement, la nouvelle littérature exige la mise au point des normes d'une langue écrite profane nettement distincte du slavon d'église. À cette mise au point, qui se poursuivra jusqu'à Pouchkine, Lomonosov aura apporté une contribution décisive en soulignant, dans son Avant-propos sur l'utilité des livres ecclésiastiques dans la langue russe (Predislovie o pol'zeknigcerkovnyh v rossijskomjazyke, 1757), le parti stylistique que la langue russe peut tirer de son héritage slavon. Homme de science et poète, Lomonosov assure une place prépondérante dans la littérature du xviiie siècle, au genre de l'ode solennelle, qui, à travers la personne des tsars et des tsarines, célèbre le principe civilisateur incarné par l'État de Pierre le Grand et de ses successeurs. La poésie légère et familière trouve plus tardivement le langage qui lui convient. C'est dans l'œuvre de Gabriel Derjavine (Deržavin, 1743-1816), que, pour la première fois, un puissant tempérament lyrique, servi par un sentiment inné des ressources expressives du russe, s'exprime sans entraves, mêlant l'ode à la satire, le solennel au familier, au mépris des hiérarchies et des cloisonnements qu'impose l'esthétique classique.

Le classicisme européen apporte l'esprit rationaliste et critique du siècle des Lumières. Celui-ci se manifeste dans les tragédies d'Alexandre Soumarokov (Sumarokov, 1718-1778) et de Yakov Kniajnine (Knjažnin, 1742-1791), qui, sous l'influence de Voltaire, sont plus « philosophiques » que psychologiques, opposant la loi au caprice et le bon souverain au tyran. L'esprit critique trouve son terrain d'élection dans les genres satiriques qui recoivent une impulsion considérable à l'avènement de Catherine II (1762). Élève des philosophes et modèle du despote éclairé, auteur de comédies ridiculisant la bigoterie et la franc-maçonnerie, l'impératrice[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure
  • : directrice de recherche au CNRS, directrice adjointe de l'UMR 8224 EUR'ORBEM (université de Paris--Sorbonne - CNRS)
  • : ancienne élève de l'École nationale supérieure de Sèvres, maître de conférences honoraire à l'université de Paris-Sorbonne
  • : maître de conférences en littérature et culture russes, Sorbonne université
  • : professeur honoraire à l'université de Genève, recteur de l'université internationale Lomonosov à Genève, président des Rencontres internationales de Genève

Classification

Pour citer cet article

Michel AUCOUTURIER, Marie-Christine AUTANT-MATHIEU, Hélène HENRY, Hélène MÉLAT et Georges NIVAT. RUSSIE (Arts et culture) - La littérature [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Tolstoï - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Tolstoï

A. N. Ostrovski - crédits : Look and Learn/ Elgar Collection/ Bridgeman Images

A. N. Ostrovski

Tchekhov - crédits : Bettmann/ Getty Images

Tchekhov

Voir aussi