SAINT-PÉTERSBOURG
Deuxième ville de la Fédération de Russie par la taille (plus de 4,5 millions d’habitants en 2010), Saint-Pétersbourg (en russe Sankt Petersburg, Petrograd de 1914 à 1924 et Leningrad de 1924 à 1991) a joué un rôle essentiel dans l'histoire nationale. Pendant deux siècles, elle a été la capitale de l'Empire russe. Après avoir été le théâtre des révolutions de Février et d'Octobre 1917, la ville a été assiégée et âprement défendue pendant la Seconde Guerre mondiale. Sur le plan architectural, elle fait partie des villes d'Europe les plus harmonieuses.
C'est par ailleurs un centre industriel et un port important, situé à 640 kilomètres au nord-ouest de Moscou et à moins de 10 kilomètres du cercle polaire arctique ; elle est également le centre administratif de l'oblast du même nom.
Histoire
La période ancienne
La fondation et les premiers développements
Le peuplement par les Russes de la zone qui entoure le fond du golfe de Finlande (alors appelée Ingrie) a commencé au viiie ou ixe siècle de notre ère, mais la région est restée longtemps peu peuplée. Au xve siècle, elle passa, avec Novgorod, aux mains des grands princes de Moscou. La Suède annexa l'Ingrie en 1617, et établit des forteresses le long de la Neva. Pendant la seconde guerre du Nord (1700-1721), Pierre le Grand, qui cherchait un passage maritime vers l'ouest, s'empara de la forteresse de Noteburg (auj. Petrokrepost), située à la naissance de la Neva, puis de celle de Nieuschantz, sur le cours inférieur du fleuve, gagnant ainsi le contrôle du delta.
Le 16 (selon le calendrier actuel le 27) mai 1703, le tsar en personne posa la première pierre de la forteresse Pierre-et-Paul sur l'île Zaïatchi. Cette date a été retenue comme celle de la fondation de Saint-Pétersbourg. Au printemps de l'année suivante, Pierre établit la forteresse de Kronchlot, plus tard Kronstadt, sur l'île de Kotline, dans le golfe de Finlande, afin de protéger les abords du delta. À la même époque, il fonda le chantier naval de l'Amirauté, sur la rive opposée à la forteresse Pierre-et-Paul ; en 1706, le premier navire de guerre fut mis à la mer. Autour de la forteresse et du chantier naval, Pierre entreprit la construction d'une ville nouvelle qui devait lui servir de « fenêtre sur l'Europe ».
Bien que les premières habitations fussent en bois et à un seul étage (celle du tsar, juste en amont de la forteresse Pierre-et-Paul, a été conservée jusqu'à aujourd'hui), la pierre ne tarda pas à faire son apparition. Le premier palais de pierre fut achevé en 1714 pour le prince Alexandre Danilovitch Menchikov, premier gouverneur de la ville. Dès le début, celle-ci fut planifiée comme une capitale imposante, avec un plan de rues régulier, des places spacieuses et de larges avenues rayonnant depuis l'Amirauté. Des architectes, des ouvriers et des artisans furent sollicités de toute la Russie et de nombreux pays étrangers, afin d'édifier et d'embellir la nouvelle cité. En 1712, la capitale russe fut transférée de Moscou à Saint-Pétersbourg, bien que la Suède ne cédât à la Russie la souveraineté sur la région qu'en 1721, à la paix de Nystad. Pierre contraignit des membres de la noblesse et de la classe des marchands à venir s'installer dans la nouvelle capitale et à y construire leurs propres demeures. Parmi les bâtiments les plus anciens, on trouvait la Bourse de commerce, la Maison des douanes, ou encore le palais d'Été. Des canaux de drainage furent creusés à travers la rive gauche marécageuse. Le premier pont flottant sur la Neva fut construit en 1727, et bientôt plus de 370 ponts traversèrent les nombreux canaux. Le terrain sujet aux inondations et un climat inhospitalier rendirent la construction coûteuse en vies humaines.
Un port fut construit et Pierre prit des mesures pour réduire le trafic passant par Arkhangelsk, précédemment le plus grand port de Russie. Dès 1726, 90 p. 100 du commerce extérieur du pays passait par Saint-Pétersbourg. La construction d'un canal Neva-Volga (1703-1709) donna à la ville un accès fluvial direct à la Russie centrale. L'industrie ne tarda pas à se développer. Le chantier de l'Amirauté attira des entreprises destinées à satisfaire ses besoins ainsi que ceux de la flotte, alors en expansion (une fonderie pour les canons, une usine de poudre et une fabrique de goudron). On construisait des navires de commerce aussi bien que des vaisseaux de guerre et, avant la fin du xviiie siècle, les industries du papier, de l'imprimerie, de la porcelaine, de l'alimentation et de l'habillement étaient présentes. En 1765, la population s'élevait à 150 300 habitants et, à la fin du siècle, elle atteignait 220 200 personnes, dont plus d'un tiers dans les forces armées ou l'administration.
Le temps de la splendeur
À l'origine, le style architectural de la ville, illustré par la cathédrale de la forteresse Pierre-et-Paul ou le palais d'Été, était, bien qu'élégant, assez sobre. Au milieu du xviiie siècle, les architectes Bartolomeo Rastrelli, Savva Tchevakinsky et Vassili Stassov, qui travaillaient dans le style baroque russe, alliant des lignes précises, voire austères, à la couleur et à la richesse décorative, marquèrent de leur empreinte l'aspect de la ville. À cette période appartiennent notamment le palais d'Hiver, le couvent de Smolny, et les palais Vorontsov et Stroganov ; en dehors de la ville furent construits les palais d'été de Peterhof et de Tsarskoïe Selo. Après une période de transition, dominée par l'architecture de Jean-Baptiste Vallin de la Mothe et Alexandre Kokorinov, vers la fin du xviiie siècle émergea un pur style classique sous la direction d'architectes tels que Giacomo Quarenghi, Carlo Rossi ou Andreï Voronikhine. Les cathédrales de Kazan et de Saint-Isaac, l'Institut Smolny, la nouvelle Amirauté, le Sénat et le palais Mikhaïlovski (aujourd'hui le Musée russe) sont représentatifs de cette période.
Au sein de ce cadre architectural magnifique, la vie culturelle s'épanouit. En 1773 fut fondé l'Institut des mines et, en 1819, l'université de Saint-Pétersbourg. Dans les domaines de la science et des arts, les noms de Mikhaïl Lomonossov, Dmitri Mendeleïev, Ivan Pavlov, Alexandre Pouchkine et Fiodor Dostoïevski, notamment, sont associés à la ville. Dès 1738, la première école de ballet de Russie fut ouverte à Saint-Pétersbourg ; au milieu du xixe siècle, Marius Petipa donne à l'école russe une renommée internationale, qui sera confirmée au début du siècle suivant par les Ballets russes, avec les danseurs Vaslav Nijinski, Tamara Karsavina et Anna Pavlova. En 1862, le premier conservatoire de musique du pays ouvrit ses portes et les œuvres de compositeurs tels que Tchaïkovski, Rimski-Korsakov ou Rachmaninov y furent créées. La splendeur de la cour impériale, à la fois centre et protectrice de la vie culturelle de la ville, était légendaire dans toute l'Europe.
L'évolution de la ville moderne
Le chemin vers la révolution
La magnificence impériale contrastait fortement avec la croissance du prolétariat industriel de Saint-Pétersbourg. Au cours du xixe siècle, l'essor industriel de la ville fut accéléré par l'amélioration des communications et l'extension du commerce. En 1810-1811, de nouvelles voies fluviales remplacèrent un système obsolète. En 1813, le premier vaisseau à vapeur russe fut construit à Saint-Pétersbourg et, en 1837, le premier chemin de fer russe relia la ville au palais d'Été de Tsarskoïe Selo. Une ligne à destination de Moscou fut ouverte au trafic en 1851, une autre vers Varsovie fut construite en 1861-1862. Le travail du coton et celui du métal prospérèrent tout particulièrement, le premier faisant usage de matières premières importées. Dans les années 1840, plus de 60 p. 100 des importations russes entraient par Saint-Pétersbourg. En 1885, un canal fut dragué pour rendre le port accessible à de plus gros navires. La croissance de la ville et l'industrialisation furent stimulées par l'émancipation des serfs russes en 1861. De 539 400 habitants en 1864, la population passa à 1 500 000 habitants en 1900, en grande partie du fait de l'exode rural (en 1910, seul un tiers de la population était né dans la ville). En 1917, le total était passé à 2 500 000 habitants.
L'environnement industriel de Saint-Pétersbourg devint le terreau de la révolution. Avec le développement de la métallurgie et de la construction mécanique, apparut une catégorie d'ouvriers qualifiés, de plus en plus consciente politiquement. En outre, les ouvriers de l'industrie, qui étaient près de 250 000 en 1914, étaient souvent regroupés dans des usines d'une taille exceptionnellement grande pour la Russie ; les manufactures d'armement Poutilov (renommées ensuite Kirov) employaient à elles seules environ 13 000 personnes. Il était ainsi plus facile pour les révolutionnaires de répandre leurs idées et pour les groupes d'ouvriers de s'organiser. Au même moment, le lent développement des transports publics obligeait les ouvriers à vivre à proximité de leur lieu de travail, dans des conditions de surpopulation effroyable (près de 70 000 personnes au km2 dans le centre). L'administration de la ville manquait d'efficacité et de fonds, et les services publics (y compris l'approvisionnement en eau) étaient insuffisants. Les épidémies étaient fréquentes.
Le 14 (26) décembre 1825 débuta l'insurrection décembriste, largement organisée par des aristocrates libéraux et des officiers de l'armée qui aspiraient à une Constitution libérale et à la fin du servage. Elle fut réprimée sans pitié. Pendant le reste du xixe siècle, l'agitation ouvrière ne cessa de croître, avec des grèves et des flambées de violence de plus en plus fréquentes. En janvier 1905, environ 150 000 ouvriers prirent part à une grève générale. Le 9 (22) du même mois, le « Dimanche rouge », une foule marcha sur le palais d'Hiver, portant une pétition adressée au tsar, et fut arrêtée par la troupe, qui ouvrit le feu ; près de mille personnes furent tuées et des centaines d'autres blessées. Le ferment révolutionnaire s'étendit à tout le pays. Bien qu'elle fût à nouveau réprimée, l'activité révolutionnaire se poursuivit dans la clandestinité.
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914 suscita une vague de ferveur patriotique centrée sur la personne du tsar. La forme germanique du nom de la ville fut changée en sa version russe, Petrograd. Cependant, les désastres militaires et de sévères pénuries d'approvisionnement ranimèrent le mécontentement. Le 26 février (11 mars) 1917, des troubles éclatèrent sur fond de grève générale. Le 27 (12 mars), le soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd fut formé. Le 2 (15) mars, le tsar abdiqua. Un gouvernement provisoire fut mis sur pied, dont la présidence revint finalement à Alexandre Kerenski. Le 3 (16) avril, Lénine revint de Suisse à Petrograd et se mit à organiser le renversement du gouvernement provisoire. En juillet, des manifestations furent réprimées mais le 25 octobre (7 novembre), des ouvriers et des marins menés par les bolcheviks prirent d'assaut le palais d'Hiver, déposant le gouvernement provisoire et portant le parti bolchevique au pouvoir. En janvier 1918, une Assemblée constituante se réunit dans la capitale, mais les bolcheviks, qui n'avaient remporté qu'une minorité de sièges, la dispersèrent.
La période soviétique
En mars 1918, la capitale du jeune État soviétique fut ramenée à Moscou. Les années de guerre civile (1918-1920) eurent un effet désastreux sur l'économie de Saint-Pétersbourg. La production industrielle faillit s'arrêter totalement. La population chuta à 722 000 habitants en 1920. Beaucoup de gens moururent de faim. Le redressement commença après la guerre. En 1924, à la suite du décès de Lénine, Saint-Pétersbourg fut renommée Leningrad. Lorsqu'en 1928 commença l'ère des plans quinquennaux, la charge de développer l'économie nationale reposa en grande partie sur la ville. En 1939, Leningrad assurait 11 p. 100 de la production industrielle soviétique, et sa population était passée à trois millions d'habitants.
La ville fut alors à nouveau frappée par une période de pertes et de destructions. En septembre 1941, les troupes nazies étaient à ses portes. De nombreux habitants et près des trois quarts des équipements industriels furent évacués vers l'est. Pendant le « siège de neuf cents jours » (8 septembre 1941-27 janvier 1944), Leningrad opposa une résistance désespérée face aux nombreux assauts, aux bombardements incessants et au manque d'approvisionnement. On estime qu'environ 660 000 personnes périrent, dont beaucoup du scorbut, de la faim ou encore du froid (l'hiver 1941-1942 fut particulièrement rigoureux). La seule voie de ravitaillement était la « route de la vie », à travers les glaces du lac Ladoga ; plus tard un pipe-line et des câbles électriques furent posés au fond du lac. Les bombardements causèrent d'énormes dommages et, avant de se replier, les nazis détruisirent les palais de Petrodvorets et de Pouchkine. Son rôle dans la guerre valut à Leningrad le titre de « cité héroïque » et l'ordre de Lénine. La ville ne retrouva sa taille de trois millions d'habitants que pendant les années 1960 ; dans les années 1980, ce chiffre passa à quatre millions.
Le premier plan quinquennal d'après-guerre fut en partie consacré à la reconstruction de l'industrie de Leningrad et à la restauration de son patrimoine architectural. À la fin des années 1950, un programme de construction de logements dans les nouvelles banlieues fut mis en place ; la rénovation des appartements très recherchés du centre-ville commença dans les années 1970.
La légalisation, au niveau national, des partis autres que le Parti communiste, en mars 1990, eut un impact particulièrement fort sur Leningrad : deux mois plus tard, les élections au conseil municipal donnèrent une majorité confortable à un groupe de communistes réformistes et à des réformateurs extérieurs au parti. Le conseil imposa rapidement une série de mesures en faveur de l'économie de marché et entreprit de dépouiller le Parti communiste de ses privilèges. Lors d'un référendum municipal en juin 1991, les électeurs, reflétant ce mouvement de démarcation par rapport au passé communiste, choisirent de rétablir l'ancien nom de Saint-Pétersbourg.
Après la chute de l'Union soviétique cette même année, la ville enregistra une augmentation de la criminalité. Assassinats et enlèvements devinrent courants. En outre, pendant les années 1990, le centre économique et financier du pays se déplaça vers Moscou. En 1994, la participation aux élections fut si faible que la ville fut, durant une grande partie de l'année, dépourvue de conseil.
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Écrit par
- Elena Matveïevna DOROCHINSKAÏA : journaliste
- Richard Antony FRENCH : maître de conférences en géographie au collège universitaire et à l'école des études slaves et est-européennes de l'université de Londres (Royaume-Uni)
- Grigory IOFFE : professeur de géographie, Radford University, Virginie, États-Unis
- Mary McAULEY : représentant de la fondation Ford à Moscou
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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