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POLICIER ROMAN

Le roman noir français

Jean Vautrin - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images

Jean Vautrin

Dès 1966, Francis Ryck (Yves Delville, 1920-2007) apporte un ton inédit en créant dans ses ouvrages (de type « espionnage ») un personnage nouveau, marginal et contestataire, en proie au doute et à l'utopie (Opération millibar). Cinq ans plus tard, Jean-Patrick Manchette (1942-1995) publie L'Affaire N'Gustro (inspiré par l'enlèvement à Paris du leader de l'opposition marocaine Mehdi Ben Barka) et surtout Nada (1972), une réflexion sur le terrorisme gauchiste. Puis avec Morgue pleine (1973) et Que d'os (1976), il met en scène un privé à la française, Eugène Tarpon, qui jette sur notre société un regard désabusé. Théoricien et esthète intransigeant, styliste exigeant (il met au-dessus de tout la qualité de l'écriture), Manchette, en renouvelant la tradition béhavioriste américaine, donne un souffle novateur au genre tout entier. Son opus ultime, La Princesse de sang (1996), resté inachevé, est publié après sa mort, complété par son fils Doug Headline, qui signe aussi le scénario d’une bande dessinée homonyme avec le dessinateur Max Cabannes. Durant la même période, A.D.G. (1947-2004) décrit avec verve le Berry profond (La Nuit des grands chiens malades, 1972) et Jean Vautrin, le mal de vivre des banlieues-dortoirs durant une période électorale (À bulletins rouges, 1973), la tyrannie d’un despote mexicain (Le Roi des ordures, 1997) et la vengeance d’un affairiste, révolté d’avoir servi de bouc émissaire (L’homme qui assassinait sa vie, 2001). Emmanuel Errer met en scène d'anciens mercenaires manipulés (Descente en torche, 1974). Alain Demouzon explore la vie dans les lotissements modernes (Bungalow, 1981), et Joseph Bialot (1923-2012) raconte un racket dans le quartier parisien de la confection (Le Salon du prêt-à-saigner, 1978). Pierre Siniac (1928-2002), qui débute en 1960, publie quelques ouvrages subversifs comme Les Morfalous (1968), charge virulente contre l'armée, avant de créer Luj Inferman et La Cloducque, deux traîne-savates qui manifestent à l'égard de la société une amère lucidité.

Didier Daeninckx - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images

Didier Daeninckx

Ce bouillonnement ne masque cependant pas une grave crise du lectorat qui se prolonge jusqu'au début des années 1980. Après un calme passager, de nouvelles collections (Engrenage, Sanguine, Red Label) accueillent de jeunes auteurs. Le souci de ces derniers est d'écrire des polars qui prennent en compte la réalité quotidienne française. Si ce procédé systématique a pu rimer avec médiocrité, le temps faisant son œuvre a retenu les meilleurs. L'un des premiers à se singulariser est Didier Daeninckx (né en 1949), qui fait resurgir des épisodes occultés de l'histoire. Son Meurtres pour mémoire (1984) évoque le massacre d'Algériens à Paris durant la manifestation du 17 octobre 1961. Thierry Jonquet, adepte du fait-divers, tisse des récits de noires vengeances. Son cauchemardesque Mygale (1984) est inspiré d'une émission sur les transsexuels. Pour peindre des personnages souvent décalés, Michel Quint choisit le Nord (Hôtel des deux roses, 1986) et Marc Villard le quartier de Barbès (Rebelles de la nuit, 1987). Patrick Raynal éclaire les zones d'ombre de Nice (Fenêtre sur femmes, 1988 ; Né de fils inconnu, 1995) et Jean-Paul Demure les turpitudes d'Aix-en-Provence (Aix abrupto, 1987). Hervé Jaouen nous fait visiter les arcanes d'une banque bretonne en butte à des syndicalistes (Le Crime du syndicat, 1984), alors que Jean-François Vilar se promène dans Paris, attentif à chaque trace et aux trahisons du temps qui passe (Bastille tango, 1986). Gérard Delteil débute avec un thriller politique (Solidarmoche, 1984). Jean-Bernard Pouy, dans un récit plein de fantaisie, évoque Rimbaud et Jeanne d'Arc (Nous avons brûlé une sainte, 1984). Hugues Pagan, commissaire de son état, met en scène des policiers désabusés (La Mort[...]

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Pour citer cet article

Claude MESPLÈDE et Jean TULARD. POLICIER ROMAN [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Andrea Camilleri - crédits : Antonelli/ AGF/ Bridgeman Images

Andrea Camilleri

Fred Vargas - crédits : Pierre Verdy/ AFP

Fred Vargas

Edgar Allan Poe - crédits : C.T. Talman/ Library of Congress, Washington, D.C.

Edgar Allan Poe

Autres références

  • DICTIONNAIRE DES LITTÉRATURES POLICIÈRES, (dir. C. Mesplède)

    • Écrit par Fanny BRASLERET
    • 1 068 mots

    Quatre ans après la première édition des deux volumes du Dictionnaire des littératures policières paraissait une deuxième version (Joseph K, Nantes, 2007) enrichie d'une seconde Préface, de cinq cents articles et d'une liste des entrées. Sous la direction de Claude Mesplède, ce dictionnaire,...

  • A.D.G. ALAIN FOURNIER dit (1947-2004)

    • Écrit par Claude MESPLÈDE
    • 666 mots

    C'est en août 1971 qu'A.D.G. publie son premier roman, La Divine Surprise, dans la collection Série noire de Gallimard. Il raconte les mésaventures d'Alfred le Cloarec et de son fils Albert, deux truands de la vieille école qui finiront piteusement. Si son écriture tout comme son sujet...

  • ARNAUD GEORGES-JEAN (1928-2020)

    • Écrit par Claude MESPLÈDE
    • 791 mots
    • 1 média

    3 juillet 1928 à Saint-Gilles-du-Gard, Georges-Jean Arnaud est encore étudiant lorsqu'il écrit son premier manuscrit, Ne tirez pas sur l'inspecteur. Il l'adresse au secrétariat du Prix du Quai des Orfèvres et remporte le prix (1952). Pour le publier, il utilise le pseudonyme de Saint-Gilles,son...

  • BIALOT JOSEPH (1923-2012)

    • Écrit par Claude MESPLÈDE
    • 663 mots

    Écrivain abordant des genres aussi divers que le polar ou le roman historique, Joseph Bialot fut aussi un témoin de la Shoah. Sa vie fut une succession d'épreuves qu'il s'efforça de surmonter grâce à une énergie de tous les instants, une énorme capacité de travail et un humour permanent qui empruntait...

  • BLOCH ROBERT (1917-1994)

    • Écrit par Jacques GOIMARD
    • 368 mots

    Pour le grand public, Robert Bloch reste avant tout l'auteur de Psychose, un grand roman dont Hitchcock tira un grand film, et qui marqua Anthony Perkins au point qu'il redevint Norman Bates dans trois suites (1983, 1986, 1990). Mais derrière l'arbre, il n'est pas interdit de voir la forêt :...

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Voir aussi