Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BARTHES ROLAND (1915-1980)

« Il existe, dit Umberto Eco, deux façons d'être maître. Il y a le maître qui travaille en offrant sa vie et son activité comme modèles, et il y a le maître qui passe sa vie à construire des modèles, théoriques ou expérimentaux, à appliquer. Barthes appartenait, indéniablement à la première catégorie. »

Plus suggestif que directif, Roland Barthes, en effet, n'est pas et n'a pas voulu être un maître à penser. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'ait pas à nous apprendre. Il nous a permis notamment de déchiffrer les systèmes de signes qui sont à l'œuvre dans toute manifestation du social ; de mieux comprendre ce qu'est la littérature ; d'entrer dans le champ de l'imaginaire et d'y voir jouer les figures qui le composent. Il a considérablement changé notre regard sur le monde et les êtres.

Il l'a fait sans imposer des dogmes, mais en proposant des concepts qui continuent de mettre de l'intelligible et des structures là où il n'y avait que de l'impressionnisme. Cela grâce à une écriture, une voix qui privilégient la sympathie et l'intersubjectivité et semblent parler directement à chacun de nous. Son œuvre, une des moins effarouchantes qui soient, est de celles qui s'imposent à nous, par son authenticité et son humanité.

Vertige du déplacement

Roland Barthes - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Roland Barthes

L'œuvre de Barthes étonne, de prime abord, par sa variété, son ouverture, son attention tous azimuts. Diverse dans son objet (Barthes semble parler de tout : de Sade et de Beethoven, de Racine et du bifteck-frites, du catch, du strip-tease, du lied allemand et de Brecht) ; diverse dans sa méthode (il paraît changer souvent de vêtements théoriques, essayant tour à tour une critique thématique à la Bachelard dans Michelet par lui-même, une psychanalyse ethnologique inspirée du Freud de Totem et tabou dans Sur Racine et un structuralisme strict dans Système de la mode) ; diverse dans son idéologie (tenu à ses débuts pour un marxiste intransigeant – parce que veillant à l'orthodoxie de l'introduction en France des écrits et des théories de Brecht –, il se fait le champion d'un certain formalisme en défendant Robbe-Grillet et le Nouveau Roman naissant et d'un certain hédonisme en réhabilitant, en esthétique, la valeur du plaisir), cette œuvre apparaît comme une série de blocs distincts, voire contradictoires, dont on voit mal, à première lecture, le dénominateur commun.

Cela surprend, comme, à certains égards, l'homme lui-même. Tout comme son œuvre, la carrière de Barthes n'entre pas dans les modèles traditionnels que l'on rencontre chez les intellectuels français. Il vient tard à l'écriture. Né le 12 novembre 1915, à Cherbourg, ce n'est qu'en 1953 qu'il publie son premier ouvrage. Très tôt atteint de tuberculose, il passe plusieurs années en sanatorium et ne peut donc suivre le cursus honorum universitaire auquel il aurait pu prétendre. C'est pourquoi, durant longtemps, les fonctions qu'il occupe s'avèrent précaires. Il est successivement bibliothécaire à l'Institut français de Bucarest, lecteur de français à l'université d'Alexandrie, attaché à la Direction générale des relations culturelles, chargé de recherches en lexicologie puis en sociologie au C.N.R.S.

Ce n'est que par des chemins détournés, et à l'âge de quarante-sept ans, qu'il rejoint l'Université mais, il est vrai, aux plus hautes fonctions. Nommé directeur d'études à l'École pratique des hautes études, il est élu, en 1976, professeur au Collège de France où il occupe la chaire de sémiologie littéraire qui a été créée pour lui.

Longtemps écarté des milieux et des vogues intellectuels, des centres clés d'édition et de pensée, il échappe aux influences et aux goûts du jour pour se forger une culture originale, des[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Philippe DULAC. BARTHES ROLAND (1915-1980) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Roland Barthes - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Roland Barthes

Autres références

  • LE DEGRÉ ZÉRO DE L'ÉCRITURE, Roland Barthes - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 257 mots
    • 1 média

    Publié en 1953 aux éditions du Seuil, Le Degré zéro de l'écriture est le premier livre de Roland Barthes (1915-1980), qui ne s'était fait connaître jusqu'alors que par des articles (en particulier ceux qui seront réunis, en 1957, dans les Mythologies) donnés aux Lettres nouvelles...

  • ROLAND BARTHES (T. Samoyault)

    • Écrit par Christine GENIN
    • 1 107 mots

    Le centenaire de sa naissance, le 12 novembre 1915, permet de redécouvrir Roland Barthes à travers plusieurs colloques, une exposition à la Bibliothèque nationale de France, où son frère a déposé ses archives en 2010, et des publications très variées : de l’Albumoù Éric Marty a réuni...

  • RHÉTORIQUE, notion de

    • Écrit par Alain BRUNN
    • 1 664 mots
    ...d'une part, les travaux menés sur l'histoire de la rhétorique par Marc Fumaroli (L'Âge de l'éloquence, 1980) ou par la nouvelle critique de Roland Barthes dès son séminaire de 1964-1965 ont contribué à mettre en valeur son rôle historique déterminant dans l'élaboration d'un certain nombre de...
  • AUTOBIOGRAPHIE

    • Écrit par Daniel OSTER
    • 7 517 mots
    • 5 médias
    Le même jeu de brouillage des instances énonciatives pratiqué par Aragon dans La Mise à mort (1965) a permis à Roland Barthes de déconstruire dans la forme les codes de l'autobiographie. L'alternance des points de vue, la fragmentation, l'utilisation carnavalesque des langages, la ...
  • BOUDINET DANIEL (1945-1990)

    • Écrit par Elvire PEREGO
    • 542 mots

    C'est un Polaroid énigmatique de Daniel Boudinet qui ouvrait l'ouvrage de Roland Barthes sur la photographie, La Chambre claire (1980) : « La photographie – ma photographie –, écrivait Barthes, est sans culture : lorsqu'elle est douloureuse, rien, en elle, ne peut transformer le chagrin...

  • COMME UNE IMAGE (A. Jaoui)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 053 mots

    Lolita a vingt ans et se trouve « grosse », « moche », « nulle »… S'il est vrai que, lorsqu'elle essaie une robe dans la cabine d'un magasin, elle ne donne pas l'image filiforme que la publicité renvoie du corps de la femme, là n'est peut-être pas l'essentiel. Avec le même succès public, Agnès Jaoui...

  • Afficher les 33 références

Voir aussi