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ACOUSMATIQUE MUSIQUE

Matériau et image

« Le matériau de la musique concrète est le son à l'état natif, tel que le fournit la nature, le fixent les machines, le transforment leurs manipulations. » Ces lignes, dues à Serge Moreux, constituaient la préface inaugurale du Premier Concert de Bruits, en mars 1950. D'emblée et d'instinct, tout y était dit, pressenti, des trois stades caractéristiques : celui du matériau-son « à l'état natif », c'est-à-dire brut, dans « tous ses états » possibles ; celui de son image captée, « fixée » ; et, enfin, celui de ses variations et modifications de forme résultant des « manipulations » possibles seulement à partir des images.

Il n'est pas inutile de revenir sur ce qui fonde ainsi les principes de la musique acousmatique, et dont l'originalité est parfois mal perçue lorsqu'elle se réduit au bric-à-brac des bruits ou à une gestique sonore primitive et anecdotique. C'est le concept spatial de forme qui se révèle avec toutes ses conséquences : l'état du « paysage morphologique » du matériau sonore, son déploiement spatiodynamique, ses réactions aux contraintes, et aussi ses caractéristiques phénoménologiques d'identification et de reconnaissance, de perte et de métamorphose, dans la conscience de l'audition.

Une première approche pour le repérage acousmatique peut s'inspirer des catégories propres aux signes dues au sémiologue américain Charles Sanders Peirce (1839-1914)[Écrits sur le signe, 1978] ; celui-ci définit :

– l'icône, où l'objet est dénoté par l'ensemble de ses caractères ;

– l'indice, où un trait caractéristique suffit et renvoie à l'objet ;

– le symbole, dans le sens de figure conventionnelle, mis pour l'objet.

Ces trois natures de signes établissent, toujours selon Peirce, des champs de valeurs graduelles :

– celui des qualités (qualisignes), champ instantané de la priméité ;

– celui des singularités (sinsignes), champ temporel de la secondéité ;

– celui des stabilités (légisignes), champ intemporel de la tiercéité.

Une telle « profondeur de champ » se révèle bien, en effet, à l'audition des musiques de sons projetés.

Au premier niveau (immédiat) de « centration » de l'écoute se rattachent les séquences à référents identifiables, qu'ils soient réalistes (voix, ambiance, paysage sonore, etc.) ou abstraits (morphologie de frottements, d'oscillations, de rebondissements, etc.).

Au deuxième niveau de centration viendront les événements (significatifs) ou transformations à agents décelables : filtrage, synthèse d'un timbre, transposition, etc., ainsi que les marqueurs auxquels recourt intentionnellement « l'écriture » : signe de rupture, changement apparent de plan, personnage, motif, etc.

Du troisième niveau (celui du sens) ressortiront les formes de processus et d'évolutions obéissant à des lois internes, les trames, textures, organisations formelles, développements orientés des moments du discours musical.

Après Peirce, notre inspiration ira puiser chez René Thom, qui d'ailleurs a cité volontiers ce sémiologue du xixe siècle, précurseur d'une conception qualitative du monde : «  Les phénomènes qui sont l'objet d'une discipline [...] apparaissent comme des accidents de formes définis dans l'espace substrat de la morphologie étudiée. Dans les cas les plus généraux, l'espace substrat est tout simplement l'espace-temps habituel. Mais il convient parfois de considérer comme substrat un espace légèrement différent qui est pour ainsi dire déduit de l'espace macroscopique habituel, soit grâce à un moyen technique (microscope, télescope, etc.), soit en élaborant un espace de paramètres » (Paraboles et Catastrophes, 1983).

Définir le phénomène acousmatique comme siège de formes[...]

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Écrit par

  • : directeur du Groupe de recherches musicales de l'Institut national de l'audiovisuel, responsable de l'Acousmathèque

Classification

Pour citer cet article

François BAYLE. ACOUSMATIQUE MUSIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Projections auditives - crédits : Encyclopædia Universalis France

Projections auditives

Articulation extérieur-intérieur - crédits : Encyclopædia Universalis France

Articulation extérieur-intérieur

Relations acousmatiques - crédits : Encyclopædia Universalis France

Relations acousmatiques

Autres références

  • BAYLE FRANÇOIS (1932- )

    • Écrit par Brigitte MASSIN
    • 498 mots

    L'originalité de la démarche du compositeur François Bayle tient en ceci que toute son activité musicale se déploie autour de la musique électroacoustique ou, plus exactement, suivant une expression qui lui est personnelle, est vouée à l'exploration du monde « acousmatique ». Vaste domaine au sein...

  • BRUIT, musique

    • Écrit par Alain FÉRON
    • 1 512 mots

    Les compositeurs ont toujours manifesté un intérêt pour les sonorités étranges, pour des timbres agressifs, pour des combinaisons sonores originales considérées comme expression musicale à part entière, et l'utilisation du bruit – ou, plus généralement, des bruits – dans les œuvres musicales est une...

  • DHOMONT FRANCIS (1926-2023)

    • Écrit par Juliette GARRIGUES
    • 1 519 mots
    ...Jünglinge (Chant des adolescents) de Karlheinz Stockhausen, que ces deux genres vont fusionner : on parlera désormais de musique électroacoustique. Quelle est la différence entre musique électroacoustique et musique acousmatique ou électroacousmatique ? François Bayle affirme qu'une musique électroacoustique...
  • SCHAEFFER (P.) ET HENRY (P.) - (repères chronologiques)

    • Écrit par Juliette GARRIGUES
    • 384 mots

    14 août 1910 Pierre Schaeffer naît à Nancy.

    9 décembre 1927 Pierre Henry naît à Paris.

    1942 Pierre Schaeffer fonde le Studio d'essai au sein de la Radiodiffusion française.

    1948 Naissance de la musique concrète au sein du Studio d'essai, confié à Pierre Schaeffer par la Radio télévision...

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Voir aussi