KABBALE
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Du XVIe siècle à l'époque contemporaine
L'expulsion d'Espagne se répercuta profondément sur l'évolution de la kabbale. De mouvement purement spéculatif et réservé à une élite intellectuelle, elle se transforma sous l'effet de la catastrophe historique et sociale en un mouvement messianique touchant de larges couches populaires. Elle fut considérée comme le facteur principal du rétablissement de l'équilibre initial et de l'événement messianique qui en est le corollaire ; dans certaines branches radicales, elle fut consciemment utilisée pour influer sur le cours de l'histoire.
L'école de Safed et Isaac Luria
À partir de 1530, le centre du renouveau doctrinal est Safed, petite ville de Galilée. Les idées théosophiques pénètrent toutes les disciplines ; même des juristes comme Joseph Karo se situent sur le terrain de la kabbale et se réclament, comme plusieurs de leurs contemporains, de révélations personnelles. Le penseur le plus significatif de la première période de Safed est Moïse Cordovero (1522-1570). Son œuvre principale, le Pardes rimonim (Jardin des grenades, 1548), véritable somme de l'enseignement de la nouvelle école marque déjà, tout en se référant au Zohar, d'importants écarts par rapport à la kabbale d'Espagne.
Le personnage central dont l'influence donne à la théosophie de Safed une orientation nouvelle est Isaac Luria (1534-1572). Son enseignement, entièrement oral, a été conservé dans la rédaction écrite qu'en a faite son disciple Ḥayyim Vitale (mort en 1620). En plaçant à l'origine du monde le drame cosmologique de la rétraction (ṣimṣum) de la lumière divine ; en enseignant la formation de l'univers actuel après l'échec de plusieurs tentatives de création, et le drame psychologique qui s'ensuivit – la chute de l'âme primordiale, fragmentée depuis son exil, et sa réintégration progressive –, la doctrine lurianiste marque un nouvel épanouissement de la tendance gnostique dans la kabbale. La technique de contemplation fondée sur l'oraison méditative, qui apparut déjà en Espagne, sera élaborée en tant que discipline spirituelle principale et considérée comme telle. Plus que tout autre système, le lurianisme est centré sur une perspective messianique, qui ne tardera pas à dévier dans des mouvements hétérodoxes en actualisant les tendances apocalyptiques dans la conscience populaire. En dehors de la Palestine, l'enseignement de Luria est diffusé en Italie par son disciple Israël Sarug ainsi que dans l'œuvre, fortement teintée de philosophie néo-platonicienne, d'Abraham Herrera (Sha‘ar ha-shamayim, La Porte des cieux) et dans les exposés d'allure systématique de Naftali Herz ben Jacob (Emeq ha-melek, 1648, La Vallée du roi) ou de Menaḥem Azaria de Fano.
Le sabbataïsme
Une branche radicale du lurianisme a conduit à la déviation sabbataïste. Sabbataï Zvi (1626-1676), mystique de tempérament instable et maladif, se présenta en 1665, sous l'instigation du « prophète » Nathan de Gaza, comme le Messie dont l'avènement était attendu, d'après des calculs messianiques, depuis 1648. Le mouvement prit rapidement une telle ampleur qu'il éveilla la méfiance de la Sublime Porte. Le pseudo-messie fut emprisonné et n'échappa à la peine capitale qu'au prix de l'apostasie. Cet acte, interprété par Nathan de Gaza comme partie intégrante de la mission terrestre du Messie, fut largement imité par ses sectateurs. Pour la première fois dans l'histoire du judaïsme un mouvement mystique brisait les cadres de l'orthodoxie.
Un phénomène analogue se produisit au siècle suivant en Pologne, où un adepte du sabbataïsme, Jacob Frank (1726-1791), réveillant les tendances antinomiques du lurianisme, entraîna ses disciples à rejeter ouvertement toute loi religieuse et à adopter le catholicisme comme « religion de couverture ».
Le mouvement hassidique de Pologne
Le dernier courant issu du lurianisme se répandit en Pologne à partir des années 1750. Consciencieusement épuré de l'extrémisme messianique par ses fondateurs, Israël Baal Shem Ṭob et ses premiers disciples, ce mouvement, qui fut appelé hassidisme bien qu'il n'ait aucune continuité idéologique avec son homonyme du Moyen Âge, suscita un réveil religieux dans les masses dont les aspirations spirituelles ne pouvaient être comblées par le légalisme trop formaliste des rabbins talmudistes. L'idéal moral, reflet des valeurs théosophiques sur le plan éthique, est proposé au ḥassid, et pleinement réalisé par le ṣaddiq, l'homme de Dieu. Ce courant fait appel à la foi pure de préférence à la spéculation intellectuelle, sans que celle-ci, toutefois, cesse de jouer un rôle considérable dans les écrits théoriques du mouvement, comme c'est le cas surtout dans l'école lithuanienne fondée par Shnéor de Ladi. Le hassidisme est encore bien vivant de nos jours, notamment aux États-Unis et en Israël, après la disparition des communautés de l'Europe orientale.
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Écrit par :
- François SECRET : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (sciences religieuses)
- Gabrielle SED-RAJNA : directeur de recherche honoraire au C.N.R.S.
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Pour citer l’article
François SECRET, Gabrielle SED-RAJNA, « KABBALE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 23 janvier 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/kabbale/