JUSTICE SOCIALE
L'égalité, les inégalités, la justice sociale sont à l'origine d'interrogations, de constats et d'exigences qui s'inscrivent dans une longue tradition de pensée. Le débat sur le juste a eu pour cadre premier la cité antique. Il a pris une orientation nouvelle avec le christianisme, qui a conféré un sens mystique à la pauvreté. L'avènement d'une société démocratique et le développement de l'économie de marché à l'époque contemporaine ont donné à la réflexion sur la justice sociale son actuel contenu. La crise de l'État-providence, la lutte contre l'exclusion, une sensibilité accrue aux inégalités sociales contribuent aujourd'hui à rendre particulièrement polémique l'examen d'une question que la Théorie de la justice de John Rawls a sensiblement renouvelée.
Le débat sur la justice sociale a suscité une abondante littérature qui a pour référent principal A Theory of Justice, l'ouvrage publié en 1971 par John Rawls. Cette conception de la justice comme équité – justice as fairness – s'est trouvée en France placée au centre de la discussion avec la traduction, en 1987, de Théorie de la justice, ouvrage d'emblée présenté au public français comme le texte contemporain le plus important de la philosophiemorale et politique, et assimilé à une véritable charte de la social-démocratie. À la question posée par Philippe Van Parijs Qu'est-ce qu'une société juste ? (1991), il donne la quasi-totalité des éléments de réponse et, enrichie de nombreuses considérations (Justice et démocratie ; Libéralisme politique), la philosophie rawslienne passe effectivement pour avoir dépassé l'opposition classique libéralisme-socialisme, en mettant en place un nouveau cadre d'analyse.
Mais, en dehors de son importance propre, universellement reconnue, la contribution rawlsienne a aussi le mérite d'avoir provoqué un profond renouvellement de l'interrogation sur un certain nombre de thèmes qu'au xixe siècle l'utilitarisme a moins examinés qu'évacués. Le mouvement se poursuit, en cette fin de xxe siècle, sur fond de crise de l'État-providence. Il concerne la perception et la représentation des inégalités, l'exigence d'égalité, la comparaison des mérites et des besoins, les critères du juste, les règles de distribution, la relation de l'idéal de justice avec l'appartenance sociale, la distinction entre justice procédurale et justice distributive. Portant également sur la conscience de ce qui est juste et sur le sentiment de justice, il s'étend de l'espace public au domaine privé ; il intègre à la réflexion des questions aussi variées que le don au sein du groupe de parenté, la comparaison entre nationaux et étrangers dans la conception populaire de la justice, les droits revendiqués et les privilèges défendus par des particuliers.
Associé aux problèmes de la pauvreté, de l'exclusion, de la solidarité, le débat sur la justice sociale est, plus fondamentalement lié à celui, toujours ouvert, sur les moyens propres à assurer la cohésion sociale. À ce titre, il se nourrit d'arguments fournis par la plupart des sciences humaines, de la philosophie morale et politique à l'économie politique et sociale. La diversité des points de vue – des considérations éthiques à la mise en œuvre des politiques publiques –, la multiplicité des plans socio-idéologiques, comme la dualité des niveaux d'analyse (microsocial et macrosocial) en accroissent l'opacité et la complexité. La confusion menaçante en ce domaine commande donc qu'on souligne sommairement, mais prioritairement, le caractère historique des enjeux attachés au débat en question. En inscrivant ce dernier dans l'histoire, longue et courte, on peut, en effet, mieux saisir la singularité de sa présente orientation et repérer l'origine[...]
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Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
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