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EXCLUSION

L'abbé Pierre - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

L'abbé Pierre

En 1954, l'abbé Pierre lance un appel resté célèbre : « Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir gelée... Chaque nuit, ils sont plus de 2 000 recroquevillés sous le gel, sans pain, plus d'un presque nu. [...] Devant leurs frères mourant de misère, une seule volonté doit exister entre hommes : rendre impossible que cela dure. Chacun de nous doit venir en aide aux sans-abri. » Cet appel à la solidarité nous rappelle que la pauvreté n'est pas un mal nouveau. Il persiste malgré les initiatives privées ou publiques pour l'éradiquer. Avec le recul, il nous permet aussi de voir que le régime de pauvreté a profondément évolué en l'espace de cinquante ans : considérée au lendemain de la guerre comme résiduelle et réduite à un problème de logement, elle est désormais structurelle, synonyme d'un processus d'exclusion qui peut toucher tout un chacun, même si certains modèles de sociétés et certaines catégories de population sont plus exposées que d'autres au risque.

De la pauvreté à l'exclusion

La pauvreté d'hier et celle d'aujourd'hui n'ont en effet que la misère en commun. Hier, elle était circonscrite au monde rural, à une frange du groupe ouvrier et aux personnes âgées. Et si elle était pensée comme un état qui se transmet de génération en génération, avec la croissance des Trente Glorieuses et la diminution consécutive des inégalités socio-économiques, les pays du Nord en étaient venus à la considérer comme une simple survivance d'un passé révolu, voire le produit de déficiences individuelles. Depuis les années 1990, la pauvreté est revenue sur le devant de la scène avec un visage nouveau : elle est désormais urbaine, concerne aussi les salariés précaires et/ou à faible qualification (les working poors aux États-Unis ou « nouveaux pauvres » en France) et se développe surtout chez les jeunes. Par ailleurs, elle n'apparaît plus comme un phénomène résiduel, et cela pour au moins deux raisons.

D'une part, elle est déconnectée des fluctuations cycliques et des tendances globales de l'économie. Les phases d'expansion de l'emploi ont en effet peu de conséquences positives sur ceux qui sont déjà marginalisés. Par exemple, le chômage des jeunes, notamment issus des classes populaires, a augmenté sans interruption dans les banlieues déshéritées françaises, y compris lorsqu'une poussée de croissance faisait baisser le chômage en moyenne nationale. La pauvreté contemporaine n'est donc pas seulement liée à la conjoncture de la crise économique mais paraît bien plutôt structurelle, ou du moins inhérente au modèle de production postfordiste. Car depuis que le marché a fait son entrée au sein même de l'entreprise et que la compétitivité est fondée sur la pratique du flux tendu, production à la commande et réponse immédiate aux aléas du marché sont devenus des impératifs catégoriques du fonctionnement des entreprises. Or, pour les assumer, elles ont recours, soit à la « flexibilité externe » – comme aux États-Unis ou en Grande-Bretagne et dans une moindre mesure en France – en confiant à des entreprises satellites la réalisation des tâches qui demandent le moins de qualification ; soit à la « flexibilité interne » – comme au Japon, en Allemagne ou en Suède – en s'efforçant d'adapter leur personnel à la polyvalence. Dans le premier cas, l'entreprise génère alors du chômage et de la précarité pour les salariés des entreprises satellites. Dans le second, ce sont les travailleurs les moins qualifiés qui sont « éliminés » pour cause d'« inemployabilité ». Dans tous les cas, l'entreprise postfordiste fonctionne, comme Robert Caste le montre, davantage comme une machine à exclure que comme une machine à intégrer, ce qui était le cas jusqu'aux[...]

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Écrit par

  • : docteur en science politique, maître de conférences en science politique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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Pour citer cet article

Delphine DULONG. EXCLUSION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

L'abbé Pierre - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

L'abbé Pierre

Autres références

  • ABSTENTIONNISME

    • Écrit par Daniel GAXIE
    • 6 313 mots
    • 3 médias
    Les segments de la population les plus prédisposés à l'abstention sont ceux qui cumulent les handicaps sociaux les plus divers. Le chômage, la pauvreté, la précarité, la stagnation du pouvoir d'achat des salariés modestes, la violence physique ou symbolique dans les rapports sociaux, l'absence de...
  • AFRIQUE DU SUD RÉPUBLIQUE D' ou AFRIQUE DU SUD

    • Écrit par Ivan CROUZEL, Dominique DARBON, Benoît DUPIN, Universalis, Philippe GERVAIS-LAMBONY, Philippe-Joseph SALAZAR, Jean SÉVRY, Ernst VAN HEERDEN
    • 29 784 mots
    • 28 médias
    ...(KwaZulu-Natal) et zones urbaines. Les estimations officielles évaluent à près de 7,7 millions et demi le nombre de Sud-Africains séropositifs (2018). L'exclusion concerne bien sûr d'abord les malades et les porteurs du virus mais elle s'étend à d'autres victimes : orphelins du sida (1,2 million en 2018),...
  • ALPHABÉTISATION

    • Écrit par Béatrice FRAENKEL, Léon GANI, Aïssatou MBODJ
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    L'illettrisme est considéré dans les pays de l'Union européennecomme un facteur majeur d'exclusion sociale comparable au chômage et à la pauvreté, les trois facteurs étant souvent en interaction. L'émergence du problème n'est pas fortuite. C'est sur un fond de crise économique, de mutations industrielles...
  • CHÔMAGE - Le chômeur dans la société

    • Écrit par Dominique SCHNAPPER
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    ...intériorisé le statut de l'activité professionnelle, refusent l'identification au seul rôle de ménagère, dont l'activité est peu qualifiée et conduit à une solitude qu'elles jugent dramatique. Ce n'est pas un hasard si, dans tous les entretiens avec des chômeuses, l'expression « entre mes quatre murs...
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