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ISLAM (Histoire) Le monde musulman contemporain

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Proche et Moyen-Orient non arabes

Les pays musulmans non arabes du Proche et du Moyen-Orient ont connu à partir des années 1980 des événements politiques majeurs dans lesquels les facteurs religieux ont joué un rôle déterminant. En Turquie, malgré la volonté du pays d'entrer dans l'Union européenne, les électeurs ont porté au pouvoir un parti islamique qui a tenté de remettre en cause le principe kémaliste de laïcité. En Iran, depuis la révolution islamique de 1979, les imams chiites contrôlent les institutions gouvernementales et les instances de la société civile. En Afghanistan, l'islam traditionnel, réprimé sous le régime pro-communiste, s'est trouvé ensuite supplanté par l'islamisme radical des talibans.

En Turquie

Scène de circoncision - crédits : Imka/ Hulton Archive/ Getty Images

Scène de circoncision

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Du temps d' Atatürk et d'Ismet Inǒnü, le pouvoir politique s'est totalement identifié au Parti républicain du peuple, dont l'un des six principes était le laïcisme. Ce principe, appliqué avec rigueur jusqu'en 1946, a paru connaître quelque écho dans une partie de la population, essentiellement celle des grands centres urbains ; mais l'effort de modernisation et d'instruction entrepris n'a pu atteindre profondément nombre de zones rurales, notamment dans le centre et l'est de la Turquie ; là, les traditions religieuses et sociales sont demeurées vivantes ; en outre, dans les autres régions, la religion n'a pas disparu, même si la pratique est plus réduite qu'autrefois ; quant aux confréries, officiellement interdites, elles continuent à exister, clandestinement, et certains excès de turquification dans ce qui reste de religion « officielle » sont intimement réprouvés par beaucoup de Turcs.

L'instauration du pluripartisme en 1945 a ouvert la porte à la concurrence électorale, et certains partis – dont le Parti démocrate –, tout en professant le respect du kémalisme, ont vu la possibilité de s'attirer des électeurs en promettant la remise en cause de certains aspects du laïcisme officiel. Dans le contexte des élections de 1946-1950, cette propagande en faveur de l'islam a été un des moyens les plus utilisés, au point que le Parti républicain du peuple a dû, lui aussi, donner des gages dans ce domaine.

La victoire du Parti démocrate en 1950, aux yeux de beaucoup de Turcs, a été la victoire de la religion sur l'athéisme ; on voit alors paraître au grand jour non seulement les confréries traditionnelles (mevlevis, bektachis, nakchbendis...), mais aussi des confréries beaucoup plus intégristes et réactionnaires, comme celles des nourdjous et des tidjanis ; une littérature religieuse commence à se répandre : si certaines publications se cantonnent dans l'explication et le commentaire d'un islam modéré, d'autres vont beaucoup plus loin et prônent, outre la revivification totale de la religion musulmane en Turquie, la prééminence de celle-ci dans le domaine moral et dans le domaine politique ; quelques-uns des propagandistes se déclarent partisans du rétablissement de l'ancien Empire ottoman, d'autres parlent, déjà dans les années 1950, de république islamique.

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Favorisées par le Parti démocrate, diverses mesures sont prises, et sont largement exploitées : rétablissement de l'enseignement religieux dans les écoles officielles, réouverture de la faculté de théologie d'Ankara, construction de nombreuses mosquées, autorisation du pèlerinage à La Mecque, célébration à Konya du souvenir du grand mystique turc Mawlānā Dialāl al-Dīn Rūmī. En beaucoup d'endroits, le laïcisme doit céder du terrain, notamment en ce qui concerne le comportement social des individus (mariage célébré uniquement par un imam, polygamie, restrictions des libertés pour les femmes, instituteurs « laïcs » chassés de villages où les autorités religieuses locales sont toutes-puissantes). Il s'agit là d'une véritable réaction, qui a touché essentiellement les milieux sunnites, largement majoritaires en Turquie ; cette réaction a peut-être reçu, sans qu'on puisse le vérifier, l'appui d'organisations politico-religieuses extérieures, comme celle, arabe, des Frères musulmans.

Les milieux politiques laïcs ont pu espérer que la révolution de 1960 allait permettre la remise à l'honneur des principes kémalistes et, en particulier, celui de la laïcité intégrale de l'État, mais les nouveaux dirigeants n'ont pas voulu revenir sur les concessions accordées ; toutefois, si la Constitution de 1961 garantit la liberté religieuse, elle interdit l'utilisation de la religion à des fins politiques. En fait, le Parti de la justice, successeur du Parti démocrate, n'a pas tardé à chercher des appuis du côté des milieux religieux, suivi en cela par d'autres partis dont certains, comme le Parti du salut national de Nedjmettin Erbakan, ne cachent pas leur orientation : le PSN, fondé en 1970, se déclare partisan du retour aux traditions et aux principes islamiques, seul recours contre l'envahissement d'une civilisation occidentale néfaste au peuple turc ; il souhaite, sur le plan économique, l'institution d'un régime de « capitalisme national » qui doit favoriser à la fois le progrès social et le rapprochement avec les pays musulmans du Proche-Orient. À partir de 1974, le PSN monnaye sa participation obligée aux divers gouvernements en faisant multiplier les écoles de prédicateurs et en faisant réviser dans un sens pro-islamique les manuels scolaires.

En outre, les confréries religieuses tiennent une place de plus en plus importante, en particulier celles des tidjanis et des nourdjous, ces derniers violemment anticommunistes. L'agitation soulevée par les intégristes et les ultranationalistes, confortés par les événements d'Iran, entraîne une réaction aussi violente des mouvements d'extrême gauche, d'où une vague de terrorisme qui n'épargne aucune région de Turquie.

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Cette situation provoque en septembre 1980 un coup d'État militaire d'inspiration kémaliste, et une nouvelle Constitution, approuvée par 90 % des électeurs en novembre 1982, renforce les pouvoirs de l'exécutif ; les élections de novembre 1983 voient le succès du Parti de la mère patrie ( ANAP, libéral, dirigé par Turgut Özal), tandis que le général Kenan Evren, initiateur du coup d'État de 1980, est élu président de la République. Face à l'attitude négative de l'Europe à son égard, le gouvernement se rapproche ostensiblement des pays musulmans (à l'exception de l'Iran) et témoigne d'une certaine tolérance vis-à-vis des mouvements religieux, tout en réprimant vigoureusement les manifestations islamiques trop accentuées, ainsi que les actions terroristes du Parti des travailleurs kurdes ( P.K.K., marxiste-léniniste) dans le sud-est de l'Anatolie, où est toutefois lancé un vaste programme de mise en valeur avec la construction d'un grand barrage sur l'Euphrate (inauguré en 1992) ; des lois ouvrent la voie à la liberté de la presse, au droit de recours à la Commission européenne des droits de l'homme. En novembre 1989, Turgut Özal est élu président de la République ; il se fait, en vain, l'avocat d'une ouverture en direction des Kurdes, car entre ceux-ci et les forces militaires éclatent des heurts de plus en plus violents, dont est victime avant tout la population locale. Lors de la guerre du Golfe, le gouvernement turc se range immédiatement aux côtés des Occidentaux, ce à quoi s'opposent les mouvements islamistes qui cherchent à accroître leur influence.

La Turquie connaît une importante croissance économique, développe les infrastructures, mais l'inflation demeure élevée (70 %), et le progrès économique et social ne touche qu'une partie de la population. En effet, la petite et la moyenne paysannerie ne connaissent pas de véritables changements, l'industrialisation n'apporte pas aux ouvriers de meilleures conditions d'existence, la vie syndicale est entravée ; si l'islam a reçu du gouvernement un concours non négligeable (construction de mosquées, enseignement religieux quasi obligatoire, libre exercice des confréries), un contrepoids réside dans une éducation laïque, une instruction visant à former des citoyens et des techniciens, dans la liberté de la presse, dans une utilisation « occidentaliste » de la radio et de la télévision. Les élections d'octobre 1991 sont un succès pour le Parti de la juste voie (centre droit) de Süleyman Demirel ; bien qu'une coalition de l'extrême droite et des milieux religieux obtienne 17 % des suffrages, cela ne témoigne pas d'un progrès sensible pour l'un ou l'autre groupe. Le gouvernement Demirel-Inönü présente un programme de démocratisation, mais ses tentatives de négociations avec les Kurdes échouent ; des attentats, parfois mortels, visant des personnalités laïques ou libérales, notamment des journalistes, provoquent en réaction de vastes manifestations populaires à Ankara et à Istanbul. À la suite de l'éclatement de l'Union soviétique, la Turquie envisage une coopération avec les républiques turcophones d'Asie centrale, mais rencontre la concurrence de l'Iran, du Pakistan et de l'Arabie Saoudite ; elle hésite à s'engager en faveur de l'Azerbaïdjan ou des Musulmans de Bosnie, malgré la pression de l'opinion ; en revanche, elle participe activement à la création de la zone économique de la mer Noire.

Au président Özal, mort subitement le 17 avril 1993, succède Süleyman Demirel, et, le 13 juin 1993, une femme, Tansu Çiller, leader du Parti de la juste voie, devient Premier ministre, signe d'une évolution dans la classe politique, mais peut-être aussi manœuvre non dénuée d'arrière-pensées, cependant qu'Erdal Inönü abandonne la vie politique, laissant un Parti social-démocrate amoindri. Les élections municipales de 1994, puis les législatives de 1995 confirment la progression des islamistes, qui accèdent pour la première fois au gouvernement, l'année suivante, avec la nomination de Necmettin Erbakan, leader du parti Refah, au poste de Premier ministre. En 1998, la Cour constitutionnelle dissout le Refah pour non-respect du principe de laïcité ; la même mesure frappe en 2001 son successeur, le Fazilet. Un an plus tard, les législatives sont remportées par l'AK, constitué des éléments plus modérés du Fazilet. L'un de ses leaders, Recep Tayyip Erdogan, devient Premier ministre en 2003. Soucieux de favoriser l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, il engage des réformes démocratiques, dans un pays tiraillé entre ses héritages islamique et kémaliste et son désir de faire partie de l'Europe.

En Iran

Rouhollah Moussavi Khomeyni, 1978 - crédits : Keystone/ Getty Images

Rouhollah Moussavi Khomeyni, 1978

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En Iran, la grande surprise des années 1978-1979 a été constituée par l'ampleur et la rapidité du mouvement de contestation politique animé par les dirigeants religieux chiites à la tête desquels se trouve l'ayatollah Khomeyni, en exil en Irak, puis en France ; cette opposition, bien structurée, est effective à partir du moment où le gouvernement du chah a lancé une politique démesurée d'industrialisation et de modernisation, accompagnée par une vague d'affairisme et d'occidentalisme de mauvais aloi. Tandis que les groupes et partis politiques se lancent dans des actions de revendications sociales ou de « terrorisme » et sont férocement pourchassés, les milieux religieux mettent l'accent sur la dégradation des mœurs, la perte de l'identité nationale et la montée de l'athéisme, ce dont sont responsables le chah et son gouvernement.

Le chiisme, et surtout le chiisme iranien, est une religion dont le caractère contestataire vis-à-vis du pouvoir remonte, selon ses adeptes, à Ḥusayn et à son père ‘Alī, voire au prophète Muḥammad lui-même, qui s'est dressé contre les dirigeants de La Mecque. Le chiisme prône le retour à l'islam originel dans lequel l'égalité entre les musulmans et la justice sociale sont fondamentales ; il nie la prééminence d'un individu ou d'une dynastie pour y substituer celle de la communauté des croyants ( umma) conduite par des chefs religieux, les ayatollahs (signes de Dieu) ou imams (guides), pour qui le Coran et l'exemple de Muḥammad, de ‘Alī et de Ḥusayn sont les seules références valables.

Le chiisme iranien est aussi un cadre social et un cadre politique, il est le reflet d'une identité iranienne, car les dirigeants religieux, et en particulier Khomeyni par son discours et son mode de vie, sont à la fois les représentants et les porte-parole du peuple ; il est impératif de lutter contre un gouvernement qui n'est pas guidé par les seules lois islamiques et, par conséquent, de lui substituer un gouvernement islamique dont la direction est assurée par des personnalités aux qualités religieuses reconnues ; la soumission à de tels dirigeants est un ordre de Dieu, qui peut aller jusqu'à la mort, ce qui s'est manifesté au cours des révoltes contre le régime du chah aussi bien que pendant la guerre contre les Irakiens.

Manifestation en faveur de Khomeyni à Téhéran, 1980 - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Manifestation en faveur de Khomeyni à Téhéran, 1980

Peu après son retour en Iran, le 1er février 1979, Khomeyni a défini et fait mettre en application les principes de la révolution islamique : rupture avec la civilisation occidentale en affirmant les valeurs de l'islam, maintien de l'unité du peuple, vigilance à l'égard des ennemis extérieurs et intérieurs exercée par l'organisation des pasdaran, sorte de police politique. À la fin de 1979 est adoptée une Constitution qui donne les pleins pouvoirs à l'imam, sans aucune responsabilité : elle reprend la théorie du valāyat-e faghih (souveraineté du docte). L'imam apporte son appui aux radicaux contre les modérés et pousse à la répression contre les opposants de tous ordres. La guerre contre l'Irak exacerbe le nationalisme iranien, mais conduit aussi à proclamer la prééminence du chiisme sur le sunnisme, ce qui se traduit par de violents incidents lors de pèlerinage à La Mecque en 1982 puis en 1987, et par le soutien aux minorités chiites dans les pays musulmans, au Liban par exemple.

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La révolution islamique et ses suites sont des événements qu'il convient de juger en fonction de critères religieux proprement islamo-iraniens, qui correspondent à la mentalité spécifique d'une grande partie de la population iranienne. Cependant, le régime mis en place par l'imam et ses partisans aboutit à l'absolutisme et au rejet de réformes indispensables.

Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, 1993 - crédits : Alexis Duclos/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, 1993

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Le Conseil de surveillance de la Constitution créé en 1980 et conçu comme un garde-fou contre toute violation des préceptes coraniques par les parlementaires devient en fait un instrument de blocage des réformes proposées, notamment la réforme agraire, la nationalisation du commerce extérieur, le Code du travail, toutes mesures jugées anti-islamiques. Une autre manifestation d'intégrisme éclate en février 1989, avec la proclamation par Khomeyni d'un arrêt de mort à l'encontre de l'écrivain Salman Rushdie, auteur d'un livre, Les Versets sataniques, jugé blasphématoire à l'égard de la religion musulmane, condamnation renouvelée à plusieurs reprises après la mort de l'imam, survenue le 3 juin 1989. Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, considéré comme un modéré, est élu président de la République – et réélu en juin 1993 ; il renforce peu à peu sa position et cherche à mener une politique d'ouverture vers divers pays occidentaux, sans pour autant diminuer le soutien apporté aux chiites établis dans les pays arabes ainsi qu'en Azerbaïdjan et en Afghanistan, ni abandonner l'élimination physique des opposants. Il affirme son pouvoir lors des élections d'avril-mai 1992, où ses partisans remportent une écrasante victoire sur les Rouhāniyoun (Association des religieux combattants), adeptes des théories de Khomeyni ; mais, soucieux de ne pas se couper d'une fraction de la population, il fait une place dans le gouvernement au clan des conservateurs, dont le chef est le « guide » de la révolution islamique, Ali Khamenei.

Les législatives de 1996 confirment la prééminence des conservateurs, mais aussi la percée des réformistes libéraux de la tendance Rafsandjani. L'année suivante, le modéré Mohamad Khatami, élu président de la République, met en œuvre des réformes économiques libérales et renoue des contacts avec les États-Unis et le Royaume-Uni. En 1999, de violents affrontements entre étudiants et intégristes sont brutalement réprimés. Les élections législatives de 2000 donnent la majorité absolue aux réformateurs, au moment même où l'ayatollah Khamenei refuse la main tendue par les États-Unis. George W. Bush range, en 2002, l'Iran dans les pays constituant l'« axe du Mal » et, l'année suivante, proteste contre ses projets nucléaires. L'Agence internationale de l'énergie atomique somme alors Téhéran de stopper son programme atomique militaire. Depuis lors, la question est au cœur des négociations entre Téhéran et la communauté internationale. L'Iran entend s'affirmer comme une puissance essentielle au Proche et au Moyen-Orient, comme un modèle pour les pays musulmans et, le cas échéant, comme un rival, voire une menace, pour les autres.

En Afghanistan

Pays de peuplement divers, l'Afghanistan a connu en 1973 un coup d'État qui a amené au pouvoir le prince Daoud, devenu ensuite président d'une république de caractère moderniste et modéré, nationaliste et aussi indépendante que possible des grandes puissances, encore que l'influence de l'Union soviétique soit présente dans de nombreux domaines, notamment dans l'armée et dans une partie de l'Administration. Le président s'est efforcé de situer sa politique à mi-chemin entre les tendances islamiques traditionnelles des chefs de tribus et des chefs religieux, souvent influents (80 % de la population est de rite sunnite, le reste, surtout des Hazaras et des Tadjiks, chiite), et les milieux progressistes, qui se recrutent dans les grandes villes.

Réfugiés afghans - crédits : Mike Moore/ Hulton Archive/ Getty Images

Réfugiés afghans

Le 27 avril 1978, un coup d'État renverse le président Daoud, tué au cours des combats, et met en place un Conseil révolutionnaire, bientôt pris en main par Nour Mohammed Taraki, responsable du Parti démocratique et populaire, pro-communiste. Le nouveau régime prend rapidement une orientation politique favorable à l'Union soviétique et élimine ses adversaires : il entend mettre fin aux privilèges des féodaux et des propriétaires fonciers ; cette orientation inquiète les milieux musulmans traditionnels, afghans ou non. Bien que témoignant ostensiblement du respect pour l'islam, Taraki ne peut acquérir la faveur des milieux religieux, particulièrement forts dans l'est et le nord-est du pays où ils encouragent la rébellion des tribus pathanes et pachtounes : les rebelles trouvent, en cas de besoin, refuge au Pakistan, république « islamique » ; il est possible que la rébellion reçoive aussi l'appui des Frères musulmans.

Un mouvement religieux d'opposition au régime (Djamiat-i Islāmī Afghānistān) est constitué au Pakistan, à la frontière afghane, et entre en lutte armée contre le gouvernement laïc et pro-soviétique de Kaboul ; il en est de même pour le Parti islamique (Hezb-i islāmī). Leur action est, depuis le début de 1979, renforcée par le succès du mouvement religieux en Iran : bien que ne s'opposant pas au même adversaire, ils voient là le renouveau d'un islam purificateur, chassant les influences étrangères aux peuples musulmans, d'où qu'elles viennent, et, au nom de l'islam, reçoivent un soutien moral – matériel aussi parfois – du Pakistan et de l'Iran.

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Cette vigoureuse opposition religieuse entretient dans l'est du pays une rébellion réelle, qui a pu même, en certaines occasions, gagner les villes, y compris la capitale ; le gouvernement Taraki y répond par les armes et par la prison.

À Taraki, assassiné en septembre 1979, succède Hafizullah Amin, acteur d'une politique encore plus répressive contre les milieux religieux et traditionnels. Le 27 décembre 1979, les troupes soviétiques pénètrent en Afghanistan et installent au pouvoir Babrak Karmal, un communiste inconditionnel. Nationalistes et musulmans se dressent contre cette invasion, avec l'aide du Pakistan et de l'Iran ; mais, dans certaines régions, comme le Hazaradjat ou le Nouristan, la résistance est animée par des organisations de type tribal chez qui la référence à l'islam ne joue pas toujours un rôle essentiel.

Mohammad Najibullah - crédits : Patrick Robert/ Corbis/ Sygma/ Getty Images

Mohammad Najibullah

En avril 1981, une scission se produit parmi les résistants : un groupe rassemble les nationalistes, un autre les intégristes musulmans qui considèrent la prépondérance du fait religieux comme fondamentale dans l'édification du nouvel Afghanistan : c'est en particulier le cas du Hezb-i islāmī de Gulbuddin Hekmatyar, assez proche des religieux iraniens. Tandis que les groupes chiites forment à Téhéran le Parti de l'unité islamique, Ahmad Chah Massoud essaie d'imposer son autorité aux réfugiés du Pakistan et crée, avec Burhanuddin Rabbanī, le Jamiat-i islāmī, sunnite. Le gouvernement de Kaboul connaît lui-même une lutte interne entre le Parcham, prédominant, et le Khalq. À la suite de l'échec des négociations de paix, les Soviétiques remplacent Babrak Karmal par Muhammad Najibullah, puis entament un processus de désengagement qui s'achève en février 1989 par le retrait complet de leurs troupes.

En juillet 1991, les mouvements de résistance adoptent le plan de paix élaboré par l'ONU, plan finalement rejeté par le Hezb-i islāmī. Commence alors la lutte pour le contrôle de Kaboul où Ahmad Chah Massoud entre en avril 1992 et où se constitue un gouvernement provisoire présidé par Burhanuddin Rabbanī. Massoud obtient le ralliement du chef des Ouzbeks, Rachid Dostom, tandis qu'Hekmatyar, nommé Premier ministre, ne peut s'établir dans Kaboul. Une véritable guerre civile éclate entre les deux chefs, soutenus respectivement, plus ou moins discrètement, par le Pakistan et par l'Iran. L'Afghanistan s'enlise alors dans la guerre : si les États-Unis et la Russie paraissent se tenir sur une réserve attentiste, les pays voisins cherchent à obtenir, par groupes religieux, tribaux ou politiques interposés, une influence éventuelle, en particulier à Kaboul ; cela est d'autant plus important que l'ex-Asie centrale soviétique, voisine immédiate de l'Afghanistan, connaît aussi de sérieux problèmes qui pourraient rejaillir sur les Afghans, encore que ceux-ci, fiers de leur identité, malgré leurs divisions, ne tolèrent guère les dominations étrangères.

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Pendant un an, Kaboul est l'enjeu des affrontements entre Massoud et Hekmatyar. Ce dernier parvient finalement, en juin 1993, à s'installer dans la capitale comme Premier ministre ; mais les combats entre factions continuent dans les provinces. À l'automne de 1994, les talibans (étudiants sunnites intégristes formés dans le sud du pays et au Pakistan) poussent leurs milices à l'assaut de plusieurs grandes villes. Tombent successivement entre leurs mains Kandahar, Herat et, à la fin de 1996, Kaboul, où ils instaurent un « régime totalement islamique ». Au cours de l'année suivante, ils conquièrent presque tout le pays. En août 1998, des attentats contre deux ambassades des États-Unis en Afrique sont attribués au réseau terroriste Al-Qaida, dirigé depuis l'Afghanistan par le Saoudien Oussama ben Laden. En riposte, l'aviation américaine détruit plusieurs de ses bases d'entraînement, près de la ville afghane de Khost. L'ONU demande, en vain, à Kaboul l'extradition de Ben Laden. Un mois après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, les forces américano-britanniques, mandatées par l'ONU, bombardent les points d'appui du régime intégriste de Kaboul et soutiennent l'Alliance du Nord, coalition des troupes de Dostom et de Massoud (depuis peu assassiné), qui chasse les talibans du pouvoir. En décembre s'installe dans la capitale un gouvernement intérimaire et l'ONU suscite une force internationale de sécurité, qui est confiée à l'OTA en 2003. L'année suivante est adoptée une Constitution qui établit une « république islamique » modérée, à régime présidentiel fort, mais pondéré par un Parlement à deux chambres et où hommes et femmes sont déclarés égaux devant la loi. Hamid Karzaï, favorable aux États-Unis, est élu président au suffrage universel. En 2005, des élections législatives donnent la majorité aux modérés, qui le soutiennent.

— Robert MANTRAN

—  ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S. et à la Fondation nationale des sciences politiques (C.E.R.I)
  • : docteur ès lettres et sciences sociales, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques
  • : chargée de recherche au C.N.R.S.
  • : chercheur au C.N.R.S.
  • : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
  • : chargé de recherche de première classe au C.N.R.S., responsable de l'équipe cultures populaires, Islam périphérique, migrations au laboratoire d'ethnologie de l'université de Paris-X-Nanterre, expert consultant auprès de la C.E.E. D.G.V.-Bruxelles
  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
  • : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Provence-Aix-Marseille-I
  • : directeur de recherche émérite au C.N.R.S.
  • : docteur en histoire orientale, maître de conférences à l'Institut national des langues et civilisations orientales
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    Qui sont les talibans ? Il ne s'agit pas d'un mouvement surgi subitement du désert. Leur nom signifie « étudiants en religion ». Ils sont originaires du sud de l'Afghanistan, plus particulièrement de la ceinture tribale pachtoune, parmi les confédérations Dourrani et Ghilzay. Ils ont été formés dans...
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    L’‘aīdal-Aḍhā (en arabe, « fête des sacrifices »), également appelé ‘aīdal-Kabīr (« grande fête »), est avec laīdal-Fitr, l’une des deux grandes fêtes musulmanes, communément appelée en France « fête du mouton ». Célébrée par les musulmans du monde entier, cette fête...

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