ISLAM (Histoire)Le monde musulman contemporain
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Chine
L'islam est, pour les dirigeants de la Chine populaire, un problème interne beaucoup plus torturant qu'on ne l'imaginerait a priori. Le pays pouvait déjà être considéré, au dernier siècle de l'Empire et à l'époque républicaine, bien qu'on n'y prît pas suffisamment garde, comme une des plus grandes nations musulmanes du monde. Et, depuis l'avènement du communisme, l'inquiétude qu'inspire inévitablement à tout gouvernement la présence de fortes minorités cohérentes, réticentes à l'égard de l'assimilation et en communauté de culture plus ou moins directe avec des peuples étrangers, a été aggravée par la conjoncture internationale.
Mais d'abord, qui sont ces musulmans de Chine et combien sont-ils ? Leur détermination et leur recensement sont, depuis les débuts du régime, sources de difficultés quasi insurmontables. Les réunir en un bloc monolithique, comme nous serions tentés de le faire au nom de leur adhésion commune à un sunnisme de rite hanéfite, n'a jamais été une conception admise en Chine, ni par les gouvernants, ni par les intéressés eux-mêmes. Bien au contraire, dans le passé, les rivalités ont été encouragées afin de fractionner le péril virtuel ; et, dans le présent, sont soulignés simultanément les particularismes folkloriques et la communauté d'avenir avec la masse majoritaire des Han, ainsi qu'on appelle officiellement les citoyens chinois qui ne relèvent d'aucune minorité ethnique. Les musulmans en Chine étaient, au total, au moins une vingtaine de millions dans les années 1950 (on a cité parfois, abusivement semble-t-il, des chiffres allant jusqu'à 50 millions) et se répartissent en deux grands ensembles distincts : les musulmans turcophones du Xinjiang (ou Turkestan oriental) et les musulmans de langue chinoise, les Hui.
Le cas des turcophones du Xinjiang
Pour le Xinjiang, province de 1 600 000 kilomètres carrés immensément riche en ressources pétrolières, minéralogiques et agricoles, totalement extérieure à la Chine propre (la capitale, Urumqi [Ürümchi, Dihua à l'époque nationaliste], est à 2 500 km à vol d'oiseau de Pékin et isolée par le désert), on a qualifié de colonialiste la politique du régime communiste. En effet, autant dans les phases d'assimilation brutale et de condamnation du « nationalisme » et du « factionnalisme » – selon la terminologie en vogue dans la presse chinoise (de 1956 à 1961, lors du Grand Bond en avant, et de 1964 à la dénonciation de la bande des Quatre) – que dans les phases de détente et de promotion des cultures indigènes (du début du régime, de 1949 à 1956, entre 1961 et 1964, et depuis 1977 environ), le but ultime paraît être resté le nivellement des minorités ethniques, sous l'égide intellectuelle et technologique des Chinois han, pour une construction accélérée du socialisme et une production économique accrue.
La réalité est certainement beaucoup plus complexe que ne la peint, tout en blanc, la presse officielle chinoise ou, tout en noir, la propagande adverse – soviétique et mongole jusqu'à la fin des années 1980, ou taïwanaise. Aussi est-il difficile de porter une appréciation équilibrée. La politique linguistique peut constituer un indice assez significatif de la latitude laissée aux minorités ethniques. Les autochtones du Xinjiang parlent, dans leur écrasante majorité, des langues turques, principalement celle qui est maintenant dite uigur (ou ouïghour, uygur, et, avant le régime populaire, türki oriental) et le kazakh. Le défaut de compréhension mutuelle a contribué puissamment à maintenir le fossé qui les sépare des Han (lesquels, au nombre de 7 500 000 officiellement recensés en 2000, forment environ 40 % de la population de la province, alors qu'ils n'étaient que 6 % en 1949). La théorie officielle, depuis la fin des années 1950, était qu'une phonétisation générale, au moyen de l'alphabet latin, de toutes les langues pratiquées à travers la Chine et la diffusion, à cette occasion, d'un grand nombre de termes chinois faciliteraient l'unification du pays et la fusion harmonieuse des diverses « nationalités » qui s'y côtoient. En dépit de relances périodiques pour la latinisation et de reportages enthousiastes, les Uigurs et les Kazakhs se sont obstinés à préférer leur vieil alphabet arabe, même s'il est mal adapté à la notation de langues turques. Et, en 1981, ils ont obtenu gain de cause. Depuis lors, ce n [...]
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Écrit par :
- Françoise AUBIN : directeur de recherche au C.N.R.S. et à la Fondation nationale des sciences politiques (C.E.R.I)
- Olivier CARRÉ : docteur ès lettres et sciences sociales, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques
- Nathalie CLAYER : chargée de recherche au C.N.R.S.
- Andrée FEILLARD : chercheur au C.N.R.S.
- Marc GABORIEAU : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
- Altan GOKALP : chargé de recherche de première classe au C.N.R.S., responsable de l'équipe cultures populaires, Islam périphérique, migrations au laboratoire d'ethnologie de l'université de Paris-X-Nanterre, expert consultant auprès de la C.E.E. D.G.V.-Bruxelles
- Denys LOMBARD : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
- Robert MANTRAN : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Provence-Aix-Marseille-I
- Alexandre POPOVIC : directeur de recherche émérite au C.N.R.S.
- Catherine POUJOL : docteur en histoire orientale, maître de conférences à l'Institut national des langues et civilisations orientales
- Jean-Louis TRIAUD : professeur à l'université de Provence
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Pour citer l’article
Françoise AUBIN, Olivier CARRÉ, Nathalie CLAYER, Andrée FEILLARD, Marc GABORIEAU, Altan GOKALP, Denys LOMBARD, Robert MANTRAN, Alexandre POPOVIC, Catherine POUJOL, Jean-Louis TRIAUD, « ISLAM (Histoire) - Le monde musulman contemporain », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 25 janvier 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/islam-histoire-le-monde-musulman-contemporain/