Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

INDIVIDU & SOCIÉTÉ

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Désir et sujet

L'ordre biologique est à définir à partir de la symbolisation qu'il rend possible – symbolisation qui l'annule lui-même et le transpose. Ce n'est donc pas dans le discours du positivisme qu'il doit être traduit, mais dans un discours où il recevra son statut de manque. Ainsi compris, l'ordre biologique a un destin comparable à celui qu'a, dans la théorie psychanalytique, la pulsion. Celle-ci, dont Freud dit qu'elle est un concept limite entre le psychique et le somatique, ne se trouve dans le système psychique que par ce qu'elle délègue d'elle-même à des « représentants », qui sont des signifiants soumis aux lois de l'inconscient. L'individuation, le devenir- sujet de l'animal-homme sont à rechercher là, dans ce lieu du passage, ou de la conversion, d'un domaine à un autre et de la soumission de l'un à la législation de l'autre : le lieu du désir.

Mais le désir, pour être au cœur de la psychanalyse, n'en a pas moins une archéologie philosophique qu'il faut évoquer et dans laquelle Hegel occupe une place dominante.

La philosophie classique – celle qui naît au moment où la science déclare que l'univers est infini et qu'il est constitué d'éléments simples unis par des lois mathématiques – fait apparaître une notion nouvelle : la notion de sujet. Ce sujet, qui semble devoir s'enrichir métaphysiquement de tout ce dont la nature s'est appauvrie lorsqu'elle a cessé d'être cosmos pour devenirres extensa, est défini comme liberté et il ne s'atteint, dans la pureté de sa subjectivité et la certitude de son être, qu'au prix d'une ascèse qui l'épure de tous les oripeaux du monde (aussi bien ceux du corps biologique que ceux du corps social), cette ascèse dont parle Descartes dans les Méditations métaphysiques.

Certes, il y aurait erreur à identifier, tel qu'il est chez Descartes ou chez Kant, ce sujet philosophique avec l'homme concret. Mais, par une sorte de logique inéluctable, le cogito cartésien ou le sujet transcendantal kantien s'étoffera et s'incarnera jusqu'à devenir cet individu défini par sa séparation d'avec la société, sa séparation d'avec autrui, propriétaire privé de son soi, cet individu bourgeois qui, fier de son quant-à-soi métaphysique, voit dans le monde social un lieu où des volontés libres se croisent et s'accordent ou s'opposent – ce que Hegel appellera, dans les Principes de la philosophie du droit, « l'athéisme du monde moral ».

L'itinéraire philosophique de cette notion montre à l'évidence que partir du sujet constitué abolit toute possibilité de donner consistance au monde social. En fait, les définitions réalistes de l'individu (que ce soit le réalisme biologique ou le réalisme du sujet-entité) interdisent de saisir ce qui semble devoir l'être : l'inséparabilité et l'irréductibilité de ces deux ordres symboliques que sont le sujet individuel et la société. Une telle question nous renvoie peut-être à celle de l'origine du symbolisme, c'est-à-dire à l'une de ces questions d'origine, qui sont de fausses questions, semblables à celles que Kant imputait à la métaphysique : des questions inéluctables et illégitimes.

Avec Hegel s'impose la nécessité de découvrir, dans l'être même de l'homme, l'inscription de l'Autre et de montrer que le sujet conscient-de-soi ne peut advenir que dans le champ du collectif.

Il y a quelque chose de paradoxal à enfermer le sujet dans une conscience-de-soi solitaire puisque, en effet, cette dernière ne peut logiquement être telle que parce qu'elle se saisit dans sa différence avec une autre conscience-de-soi, semblable et également singulière. C'est ce qu'établit la section A du chapitre [...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite, université de Paris-V-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

André AKOUN. INDIVIDU & SOCIÉTÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • ADAPTATION - Adaptation sociale

    • Écrit par
    • 2 256 mots
    • 1 média

    Le concept d'adaptation sociale va de pair avec celui d' intégration sociale. L'adaptation décrit les mécanismes par lesquels un individu se rend apte à appartenir à un groupe. L'intégration, ceux par lesquels le groupe admet un nouveau membre. L'adaptation insiste sur les changements...

  • ADLER MAX (1873-1937)

    • Écrit par
    • 648 mots

    Longtemps occulté par la prépondérance de l'idéologie bolchevique, le rôle de Max Adler, l'un des principaux représentants de l'austro-marxisme, s'éclaire d'une importance accrue à mesure qu'on redécouvre les tendances anti-autoritaires apparues dans l'évolution de la doctrine marxiste....

  • ADORNO THEODOR WIESENGRUND (1903-1969)

    • Écrit par
    • 7 899 mots
    • 1 média
    Par des voies multiples, Adorno parvient au même diagnostic quant à l'individu : en proie à une standardisation sans précédent, la société moderne procède à une liquidation du moi. Mais de par la souffrance qui l'affecte – le moment somatique –, de par le tourment qu'elle éprouve face à...
  • AGRESSION (psychologie sociale)

    • Écrit par
    • 902 mots

    L’agression est définie comme un comportement qui vise à blesser intentionnellement un individu motivé à se soustraire à ce traitement. Les recherches conduites sur les formes et fonctions du comportement agressif ont mobilisé des méthodologies extrêmement variées (statistiques publiques judiciaires...

  • Afficher les 150 références