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IDÉOLOGIE

Le problème de la définition des concepts occupe une place importante en science politique ou politologie. F. Bertier constate que « dans les sciences, on s'attache de plus en plus à la précision, et qu'on en arrive même à remplacer, en logique formelle, les mots, trop vagues, par des symboles mieux définis ; dans le langage politique, au contraire, continue de régner la plus néfaste confusion ». A. L. Kroeber et Clyde Kluckhohn ont pu réunir plusieurs centaines de définitions divergentes de la culture ; une entreprise analogue concernant l'idéologie donnerait sans doute le même résultat. De plus, le concept d'idéologie, infiniment plus politisé que celui de culture, est guetté par le dogmatisme ; on présente souvent une définition ni plus ni moins relative qu'une autre mais sacralisée par l'aval d'une autorité, ce qui permet de taxer ensuite d'ignorance ou de confusion les tenants des définitions déviantes. Aussi la meilleure – sinon l'unique – façon d'accéder à un début d'objectivité est-elle de rassembler les définitions divergentes pour en dégager un « type idéal », conçu en fonction de sa seule valeur instrumentale. À l'exigence chimérique d'une objectivité absolue, on oppose ainsi une subjectivité acceptée et « fonctionnalisée ».

Un moment arrive, certes, où les résultats d'un grand nombre de recherches confirmées aboutissent à des définitions acceptées par tout le monde. Ce stade est atteint en sciences naturelles et dans le secteur quantifié des sciences humaines, mais la politologie en est encore bien loin ; existe-t-il seulement une définition unanimement admise de concepts aussi importants que ceux de « fascisme », de « gauche » ou de « droite » ? Ignorer ce fait, c'est se donner une dangereuse illusion de « scientificité ». Dès lors, on s'étonnera moins de la place consacrée ici à la recherche d'une définition ; pour une étude de sociologie politique, cette recherche n'est pas à proprement parler le préalable du travail scientifique mais une dimension de ce dernier.

Distinctions fondamentales

Concept neutre et concept péjoratif

Il importe de prime abord de constater une ambiguïté foncière : le terme « idéologie » est utilisé dans un sens tantôt neutre, pour ne pas dire laudatif, tantôt critique (péjoratif). Raymond Aron signale une « oscillation, dans l'usage courant, entre l'acception péjorative, critique ou polémique – l'idéologie est l'idée fausse, la justification d'intérêts, de passions – et l'acception neutre, la mise en forme plus ou moins rigoureuse d'une attitude à l'égard de la réalité sociale ou politique, l'interprétation plus ou moins systématique de ce qui est et de ce qui est souhaitable. À la limite, n'importe quel discours philosophique est baptisé idéologie. À ce moment, l'idéologie devient un terme laudatif et non plus péjoratif » (Aron, Trois Essais sur l'âge industriel). Le marxisme orthodoxe eut peu à peu tendance à revenir à l'acception neutre (H. Chambre, voir aussi infra la définition d'Althusser), ce qui était symptomatique à la fois de son éloignement des conceptions personnelles de Marx et des progrès du processus d'idéologisation du marxisme à la faveur de ses succès politiques.

Idéologie et superstructure

Une seconde distinction, importante quant à ses incidences épistémologiques, est celle entre superstructure et idéologie. Elle peut être rattachée à celle qu'envisagent certains auteurs anglo-saxons entre origine et détermination sociale de la pensée : le concept d'origine désigne une simple relation de causalité sociale, alors que le terme de détermination exprimerait plutôt l'appartenance à une structure partielle « de combat » que l'on peut soupçonner[...]

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Écrit par

  • : docteur en médecine, docteur ès lettres, professeur émérite de sociologie à l'université d'Amiens

Classification

Pour citer cet article

Joseph GABEL. IDÉOLOGIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALTHUSSER LOUIS (1918-1990)

    • Écrit par Saül KARSZ, François MATHERON
    • 4 570 mots
    On attribue souvent à Althusser le principe d'une séparation tranchée entre « science » et « idéologie ». Dans Pour Marx et Lire « Le Capital », « science » désigne à la fois le projet marxiste de produire des connaissances objectives et l'inscription de ce projet dans le camp des sciences...
  • ANTAL FREDERICK (1887-1954)

    • Écrit par Nicos HADJINICOLAOU
    • 758 mots

    Fils de la bourgeoisie aisée de Budapest, Frederick Antal est à la fois le premier en date et le plus important historien d'art marxiste, et on peut le considérer comme le fondateur d'une histoire de l'art matérialiste libérée de tout esprit spéculatif. Cet homme, qui a participé activement, en...

  • ARCHITECTURE & ÉTAT AU XXe SIÈCLE

    • Écrit par Anatole KOPP
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    L'intervention de l' État dans le domaine de l' architecture ne constitue pas un phénomène nouveau. De tout temps et sous tous les régimes, l'État est intervenu dans la mesure où toute réalisation architecturale met en cause les intérêts de couches de population bien plus larges que celles...

  • ARMÉE - Pouvoir et société

    • Écrit par Pierre DABEZIES
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    La fonction idéologique et politique prolonge les précédentes. Elle est patente dans les États à dictature militaire comme dans ceux où l'armée – qu'elle soit fasciste ou populaire – est le plus ferme soutien, parfois le seul, des gouvernants. Dans les pays libéraux, le phénomène est plus subtil....
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Voir aussi