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ALEXANDRIE ÉCOLE PHILOSOPHIQUE D'

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Le judaïsme alexandrin

Ces diverses tendances philosophiques, dont la cohérence originelle était, on le voit, passablement ébranlée, se trouvaient d'autant plus aptes à intéresser une partie importante de la population d'Alexandrie : la communauté juive. L'implantation juive en Égypte est attestée dès le vie siècle avant notre ère ; aux alentours de l'ère chrétienne, les juifs y sont au nombre d'un million, dont cent mille dans la seule Alexandrie. Nombreuses étaient les synagogues où ils pratiquaient la religion de leurs pères ; ils y avaient même leurs moines, les thérapeutes, installés à quelque distance du centre, sur les bords du lac Maréotis.

Malgré leur piété traditionnelle, les juifs alexandrins, à la différence de leurs coreligionnaires de Palestine, parlaient et écrivaient la langue grecque et étaient fort ouverts à la culture diffusée par cette langue. Cette double culture, juive et grecque, est particulière à la bourgeoisie juive d'Alexandrie de cette époque. La Bible grecque, que lisait la communauté, porte la marque de cette alliance : certains livres de l'Ancien Testament, on le sait, ne comportent pas de texte hébreu et ont été directement écrits en grec. Ils présentent une certaine communauté d'idées et de style avec la philosophie et la morale de l'hellénisme tardif ; ainsi en va-t-il, par exemple, du Livre de la Sagesse, qui est très probablement d'origine alexandrine. Mais c'est aussi à Alexandrie que fut traduite en grec la Bible hébraïque : on connaît la légende des soixante-douze vieillards rassemblés dans l'île alexandrine de Pharos par le roi Ptolémée Philadelphe, isolés deux par deux pour éviter toute communication, et qui remirent au bout de soixante-douze jours des traductions parfaitement concordantes. De ce récit, on ne peut retenir que la désignation du lieu de l'entreprise (Alexandrie) et l'indication approximative de son temps (iiie siècle avant notre ère). Ce qui est sûr, c'est que les traducteurs infléchirent souvent le sens de l'original hébreu afin de le rapprocher des idées grecques. Pour ne donner de ce gauchissement qu'un seul exemple, mais suffisant, rappelons que la célèbre formule de l'Exode, dans laquelle Yahvé définit sa subjectivité souveraine transcendante à toute détermination : « Je suis celui que je suis », devient en grec une profession d'ontologie platonicienne de moindre relief : « Je suis celui qui est. »

C'est dans cette traduction grecque, dite des Septante, que Philon d'Alexandrie, le plus célèbre représentant de la philosophie judéo-alexandrine, ignorant probablement l'hébreu, lisait les grands livres de l'Ancien Testament. À la coloration hellénique qui caractérise cette traduction, il ajoute, quand il commente le texte sacré, tout ce que sa propre culture véhiculait d'éléments grecs. Car, à l'exception de quelques traités uniquement philosophiques, toute son œuvre est faite de commentaires de la Bible. Son exégèse est le plus souvent allégorique, conférant à des textes d'apparence minime un contenu spirituel d'une richesse étonnante : c'est là qu'il peut mettre à contribution tout l'acquis de la philosophie religieuse grecque, les spéculations des pythagoriciens sur les nombres, les données cosmologiques d'une tradition qu'inspirent Platon et Aristote, les analyses morales des stoïciens, l'interprétation théorique des mythes.

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S., chargé de conférences à l'École pratique des hautes études (IVe section)

Classification

Pour citer cet article

Jean PÉPIN. ALEXANDRIE ÉCOLE PHILOSOPHIQUE D' [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • ARISTÉE LETTRE D'

    • Écrit par
    • 325 mots

    Œuvre de propagande du judaïsme alexandrin, la Lettre d'Aristée est censée avoir été rédigée par un grand officier du roi Ptolémée (~ 285-~ 247). Elle est bien plus tardive en vérité, et il est difficile de la dater d'avant ~ 100. C'est là que, pour la première fois et brillamment orchestrée,...

  • BIBLE - Ancien et Nouveau Testament

    • Écrit par , et
    • 10 281 mots
    • 1 média
    ...dans sa langue originale, l'hébreu, mais en grec, la langue de la gentilité. C'est d'abord au sein de la puissante entité judaïque (le politeuma) d' Alexandrie que l'ensemble des livres sacrés s'est appelé « le Livre » (hè Biblos). Un brillant ouvrage alexandrin, la Lettre d'Aristée...
  • SEPTANTE BIBLE DES (385 av. J.-C. env.)

    • Écrit par
    • 202 mots

    Au sens strict, la Septante désigne d'abord la traduction grecque de la Torah, c'est-à-dire du Pentateuque, à Alexandrie d'Égypte, qui fut réalisée au iiie siècle avant notre ère, au temps des deux premiers Ptolémées. Certains historiens la datent au plus tard de 282 avant notre...

  • CLÉMENT D'ALEXANDRIE (140 env.-env. 220)

    • Écrit par
    • 2 912 mots

    Clément d' Alexandrie représente un phénomène tout à fait original et presque unique dans l'histoire du christianisme. Il est tout d'abord le premier écrivain chrétien à concevoir le dessein d'une vaste entreprise littéraire, composée de plusieurs traités et destinée à donner un programme...

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