BIBLE Ancien et Nouveau Testament

La notion biblique de testament, que le christianisme a valorisée en la mettant au pluriel (Ancien Testament et Nouveau Testament), pluriel dont le concept de bible(livre) fut et demeure l'agent unificateur, est la confluence, repérable comme processus à travers l'histoire littéraire d'Israël, dans ses éléments canoniques et non canoniques, de la notion d' alliance (le latin testamentum traduisant le grec diathèkè) et de la notion strictement dite de testament.

Le judaïsme, ancien et tardif, ne cessa de professer l'existence d'un seul « testateur », selon les deux acceptions du terme, Moïse. Toute écriture et toute tradition lui sont imputées, jusqu'aux œuvres les plus représentatives, comme littérature, de la période intertestamentaire, les apocalypses (« révélations » sur la fin des temps). Par le truchement de la représentation du Christ sous les traits du nouveau Moïse, le Nouveau Testament, dont l'unique référence est la tradition attachée à Jésus, dit le Christ, et dont l'étape ultime est le livre prophétique appelé l'Apocalypse de Jean, demeure profondément juif. Dans ce mouvement vers le plus grand livre, ou mieux vers le dernier livre, l'histoire, par le mode de connaissance qu'elle met en œuvre, n'est que l'auxiliaire de la Loi (Tōrah), et cela d'autant plus qu'elle se met progressivement au futur et, plus précisément, dans les apocalypses, en termes d'échéance. Tōrah et testament sont donc synonymes.

Découvrez l'intégralité de nos articles sans publicité

Une présentation séparée des caractères spécifiques et du contenu propre de chacun des testaments s'impose. Mais il convient de bien relier les deux faces testamentaires par l'ouverture de l'espace socio-littéraire dont leur articulation est solidaire. Aussi, entre l'Ancien Testament et le Nouveau, introduira-t-on l'« Intertestament ».

L'Ancien Testament

Décalogue - crédits : AKG-images

Décalogue

Découvrez l'intégralité de nos articles sans publicité

« Qu'il y a de différence d'un livre à un autre ! », a écrit Pascal ; et ce n'est pas au contenu de l'Ancien Testament qu'il songeait, mais à sa nature. Avant de chercher ce que veulent dire des signes, il faut en effet se demander ce qu'ils sont. Le contenu du terme « Testament » se rattache à la notion d'engagement ou d'alliance. L'Ancien Testament, c'est donc le monument d'une alliance, l'instrument d'un contrat. Son écriture prétend au degré majeur de la permanence et de l'autorité : elle est, elle est encore, le fonctionnement d'une institution ; elle prend effet comme un acte, au sens d'acte notarié. Le paradoxe est qu'une écriture dont l'impression est douée d'une pareille fermeté jouisse du droit incontesté d'être appelée littérature, parce qu'on y lit tout autre chose que les monuments du droit : les formes du désir de l'homme s'y manifestent à partir du sujet qui les éprouve, et l'humanité s'y inscrit comme réalité mouvante, cela plus nettement dans l'Ancien Testament que dans le Nouveau. La recherche exégétique doit-elle choisir entre ces deux aspects, qui ne surgissent pas séparément ? Elle s'est orientée à partir de Gunkel vers la recherche des formes et leur histoire (Gattungsforschung, Formgeschichte), définissant pour chaque écrit sa nature et sa fonction à partir des indices de son origine. Mais l'infidélité des formes à elles-mêmes, à leur fonction, à leur origine n'a trop souvent été prise en considération que pour minimiser leur existence. Il faut au contraire mesurer cet écart entre l'écrit et le canon formel pour partir de lui, parce qu'il constitue justement la littérature, comme fonction à côté de la fonction.

Traits généraux

À un niveau très général, il est possible de relever quelques caractéristiques de l'écriture de l'Ancien Testament : d'abord l'éponymat (ou attribution d'écrits à un auteur dont le nom a valeur d'emblème) et l'anonymat, qui découlent l'un et l'autre de la fonction normative des textes ; en second lieu, la « formularité » (Jousse disait le « formulisme »), qui est une sorte d'écriture dans l'écriture, instituant et perpétuant de texte en texte et de période en période non seulement les mots, mais les associations de mots. Les études purement lexicographiques laissent échapper cette réalité, qui a été perçue dans le classement des formes et des traditions, mais qui a résisté jusqu'ici, il faut bien le dire, à une description méthodique. Elle est due au caractère institutionnel du langage biblique plutôt qu'à une préhistoire orale. La troisième caractéristique est la limitation étroite du périmètre de l'écrit, dont l'effet le plus connu est le volume restreint du canon. Ce n'est qu'un ultime résultat. Tout au long de l'histoire de la rédaction, on constate que les textes sont refaits, pourrait-on dire, sur place et en cours d'usage, rénovés plutôt que remplacés. Ce processus, analogue à celui qui se déroule sous nos yeux dans le devenir de nos propres codes, convient à la loi, mais se transféra aussi aux prophètes et même aux autres écrits, à raison de leur fonction normative. Plus la recherche exégétique se détache de la première fascination qui arrêtait son regard aux origines reconstruites, et plus elle lit les tentatives superposées dans la surface actuelle du texte, en fonction de leur tendance et de leur terme.

C'est sur l'appui ferme de ces trois premières caractéristiques que se révèle une extrême puissance de changement : elle resterait sans cela évanescente et ne nous aurait pas rejoints. Dans un rapport particulièrement animé entre le même et l'autre, l'Ancien Testament est une alliance qui se renouvelle : Dieu est vivant.

Partition des écrits

La différenciation traditionnelle entre les grands types d'écrits aide à articuler ce mouvement. Les intitulés « Loi », « Prophètes », « Écrits » se relient à la fonction du prêtre et du prophète pour les deux premiers et souvent à celle du roi pour les troisièmes (attribution de plusieurs livres sapientiels à Salomon, des Psaumes à David). Cette partition des écrits superposés à celle des fonctions est loin de classer des réalités étanches, mais elle garde sa valeur solide de repère (cf. Jérémie, xviii, 18 ; Deutéronome, xvii, 8-xviii, 2 ; Ézéchiel, vii, 26).

Loi

Les termes de la Loi sont les termes de l'alliance : mais celle-ci commence aux récits, qui donnent force aux prescriptions. Par eux le Testament est dressé. Ils sont fondateurs, leur fonction est de légitimation. Dans le temps et dans l'espace, la généalogie et le cadastre sont faits pour donner à chacun ses titres à exister ici, maintenant et ainsi, et ses titres à espérer. Il y a beaucoup de formes de généalogies. Dans l'extraordinaire construction du yahviste, aucune nation de la terre n'échappe. Juridiques par leur fermeté, ces généalogies sont littéraires, et combien ! par leur couleur. Les aventures des patriarches tracent un destin, qui pose en forme d'énigme celui des douze tribus d'Israël (à la basse époque, Judith s'inspire encore de son premier ancêtre Siméon : Judith, ix, 2). La descendance moabite de Ruth enchâsse dans un récit d'allure patriarcale la généalogie de David. En fait, l'institution monarchique paraît s'être appuyée sur les modèles patriarcaux, et le récit du règne de David (rangé parmi les Prophètes antérieurs) déploie une éblouissante liberté mais n'en est pas moins soutenu par l'intention de légitimer une dynastie qui n'a pu faire l'unité d'Israël. Les généalogies et les dénombrements du Pentateuque auront besoin de la rigueur universelle d'un comput chronologique. À la fin de l'Exil, l'écrit sacerdotal légitimera une à une toutes les institutions sacrales par leur commencement gradué et, non content de fonder les lignées de tous les vivants, fonde le calendrier par le récit des sept jours de la Création et couronne la Loi par le repos du sabbat (Genèse, ii, 1-3).

Prophètes

La fonction du prophète est de faire valoir le moment en face du monument. Le rangement des livres historiques dont le contenu est postérieur à celui du Pentateuque sous le titre de « Prophètes antérieurs » est logique puisqu'il ne s'agit plus d'une histoire archétypale, comme celle de la Loi, mais d'une histoire adossée à la première, et que, à partir de Samuel, le destin des rois et celui des prophètes s'y conjuguent. Étant fondée sur le récit, l'alliance est mise sur la ligne d'un temps qui continue et qui change : les prophètes font le point et déclarent la nouveauté de chaque maintenant, où recommence l'alternative de l'alliance. L'exégèse l'admet aujourd'hui plus facilement : il n'est pas inexact de voir dans les prophètes les interprètes de la Loi, à condition de situer celle-ci dans l'ensemble plus vaste de l'alliance et de comprendre que leur liberté d'interprètes est allée jusqu'à augurer un nouveau commencement. Les procédures des prophètes, c'est-à-dire les formes de leurs discours, sont judiciaires. Ils dressent la liste des attendus d'un procès d'accusation, ils notifient la sentence avec l'autorité subordonnée d'un messager : « Ainsi parle le Seigneur. » Leur clairvoyance s'exerce plus souvent à appeler les choses par leur nom qu'à informer sur un autre monde. C'est pourtant le maintien de leur existence dans celui-ci qui est en jeu : aussi est-ce d'eux que proviennent dans la littérature biblique les rudiments de l'autobiographie où un homme rapporte son débat avec son peuple et avec son Dieu. Car le prophète a charge aussi de porter plainte devant Dieu. Parmi les formes dont use le prophète, beaucoup sont des emprunts : la liberté de cette fonction veut que son exercice soit inattendu et recoure à la surprise. L'action propre du prophète dans ce domaine est peut-être le détournement des formes, masques soudainement ôtés pour montrer le visage (cf. I Rois, xx, 35-43). Le genre littéraire de la lamentation n'a pas son origine dans l'annonce de la fin d'un peuple ; le poème d'amour avec le symbole de la vigne (Is., v, 1-7) tourne en procès ; Isaïe(i, 11-16) emprunte le cadre d'une « torah » sacerdotale pour contester des actes cultuels. Le prophète frappe par derrière : Balaam bénit au lieu de maudire, et Amos condamne Israël dans les formes prévues pour condamner ses ennemis. L'ironie fait son entrée, par cette fonction mise à côté de la fonction : instrument du jugement de Dieu, il faut que le prophète déjoue l'attente, soit dans l'alternance des oracles du salut et de la condamnation, soit dans le déplacement des destinataires. Il annonce tantôt le commencement et tantôt la fin, tantôt le salut d'Israël et tantôt celui des autres.

« Écrits » ou livres sapientiels

Les écrits de la troisième sorte (dont la plupart sont des écrits de sagesse) ont un caractère plus effacé, qui les vouait au risque d'être oubliés, non sans dommages. C'est que la sagesse est quotidienne, et de même la prière des psaumes. L'enseignement de la sagesse relève de l'exercice domestique du père, de la mère, et il est remarquable que cet enseignement ait envers le prêtre et le prophète une autonomie dont le roi est le symbole, en étant le symbole de la sagesse. Le tiers groupe qui forme l'auditoire ordinaire du prêtre et du prophète, c'est le peuple, et il reçoit justement la parole dans ces livres et dans ces prières. Ces écrits ne sont apparemment pas lus dans l'assemblée et sont le produit de ceux qui n'ont d'autre fonction que d'écrire : les scribes. On leur doit beaucoup, puisqu'on leur doit de connaître un Israël séculier, qui dévoile une impressionnante absence de particularité au milieu des peuples l'environnant, et qui développe sa relation avec Dieu sur un modèle qui est celui de l'homme avant d'être celui de l'homme d'Israël. Job, par exemple, est donné comme non juif, et tout son dialogue avec Dieu peut se dérouler sans qu'intervienne rien qui soit propre à Israël. Ce qui est toujours et ce qui est partout, voilà l'élément de la sagesse, dans laquelle s'épanouira la méditation de l'acte créateur de Dieu. Aux sages encore on doit ces miniatures dont la position marginale fait tout le prix et qui sont déjà de la littérature au sens propre, tel « Le Livre de Tobie ou le Destin d'un particulier aux prises avec les absurdités de la vie », presque un roman.

Convergences

Ces grands axes soutiennent l'économie d'ensemble des écrits bibliques. Il serait étonnant que les thèmes de l'origine, ceux du moment et ceux de la permanence fussent demeurés côte à côte dans un tout inarticulé. Il serait proprement absurde d'ignorer les faits d'interaction entre la Loi, les Prophètes et les Sages, qui à l'intérieur d'un ensemble clos ne peuvent se produire ailleurs que dans chacune de ces catégories. Absurde parce que cela reviendrait à ignorer leur sens, c'est-à-dire leur direction, qui est de se rejoindre. Ces faits, qui concernent le « bougé » des genres et des formes, sont par nature impossibles à décrire brièvement : on n'a pu que résumer les conditions de leur découverte. Observons que, dans ces effets de convergence, c'est la fonction la plus discrète qui agit le plus, celle des sages, détenteurs de l'écrit comme tel, promoteurs de ses refontes. Voici au moins quelques exemples.

Le Deutéronome est une édition de la Loi qui la présente comme sagesse, donc comme propre à éblouir toute nation (Deut., iv, 7-8). Mais cette Loi est issue d'un prophète, puisque Moïse y reçoit ce titre (xxxiv, 10). Aussi, dans certaines parties du livre, par un trait hétérogène au genre législatif, cette loi ne fait pas de la transgression globale du peuple une hypothèse générale, mais une certitude qui a la vertu de l'oracle.

Découvrez l'intégralité de nos articles sans publicité

Du côté sapientiel, la première section de Proverbes (i-ix) fait entendre une sagesse qui prêche, qui appelle même les insensés, qui menace et promet, dans la position des prophètes. Le scribe à côté du prophète, cette jonction, connue dans le cas de Baruch avec Jérémie, est à l'œuvre dans la normalisation des écrits prophétiques, quand leur message tombé dans le passé doit être relayé dans une méditation quotidienne et former une somme à la disposition d'un nouveau prophète qui n'aura qu'à l'ouvrir et à l'accomplir. L'action sapientielle est très lisible dans le Deutéro-Isaïe (Is., xl-lv), dont le centre fut apporté avec le prophète prophétisé appelé « Serviteur souffrant ».

Or le Deutéronome, le Deutéro-Isaïe ainsi que l'ensemble formé par les chapitres i à ix des Proverbes qui est un livre deutéro-sapientiel se signalent tous trois par cette étape de répétition ou de reprise, dans laquelle interviennent les faits d'intertextualité des genres. La tradition chrétienne y a trouvé les lieux privilégiés qui encadrent la deuxième Loi qu'est l'Évangile. Au terme, sagesse et prophétie se rencontrent dans les apocalypses. Le Livre de Daniel n'est pas dénombré dans le canon parmi les prophètes : son héros est un second Joseph, sage au milieu des nations et décrypteur de songes. Les apocalypses doivent beaucoup au genre sapientiel de l'énigme. Le trinôme des genres est devenu un schéma familier pour Ben Sira, appelé l'Ecclésiastique, lequel (chap. xxiv) déclare que la Sagesse n'est pas autre chose que le livre de la Loi, pour aussitôt qualifier son propre discours de prophétie. L'interaction des genres n'a pas été l'effet d'une décision, mais le produit de l'esprit en tant qu'il travaille dans le temps : c'est pourquoi l'attention portée à ce phénomène conduit le regard vers l'avenir de l'Ancien Testament.

— Paul BEAUCHAMP

Accédez à l'intégralité de nos articles

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrir

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

Décalogue - crédits : AKG-images

Décalogue

Autres références

  • LA BIBLE (trad. 2001)

    • Écrit par
    • 1 014 mots

    L'événement de la première rentrée littéraire française du xxie siècle a accompli la prédiction d'André Malraux : il a été d'ordre spirituel. Après six ans de travail, l'équipe de vingt écrivains et vingt-sept exégètes réunie par les éditions Bayard autour des Français Frédéric Boyer (écrivain)...

  • LA BIBLE DÉVOILÉE (I. Finkelstein et N. A. Silberman)

    • Écrit par
    • 975 mots

    Ce livre, traduit de l'anglais The Bible Unearthed par Patrice Ghirardi (La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l'archéologie, Bayard, Paris, 2002), présente un essai à la fois audacieux et tonique des apports de l'archéologie des cinquante dernières années à la compréhension...

  • AARON

    • Écrit par
    • 384 mots
    • 1 média

    On ne sait guère d'où vient le nom d'Aaron, peut-être d'Égypte comme celui de Moïse, dont, selon la Bible, Aaron aurait été le frère. Les traditions le concernant doivent être soumises à la critique et bien discernées l'une par rapport à l'autre. La figure postexilique d'Aaron...

  • ABRAHAM

    • Écrit par
    • 868 mots

    La Bible nous présente Abram (Père puissant), surnommé par la suite Abraham (Père d'une multitude de nations, ou selon l'akkadien : Aimant le Père), comme l'ancêtre commun des Ismaélites et des Israélites. L'histoire d'Abraham – le premier monothéiste – et celle de ses pérégrinations occupent une place...

  • ADAM

    • Écrit par
    • 1 758 mots
    Dansla Genèse, un récit plus ancien, bien que placé en second lieu (Gen., ii, 4-25), décrit la formation de l'homme, modelé avec la glaise du sol, puis animé par le souffle de Dieu, qui en fait un être vivant, placé alors dans un jardin divin planté d'arbres fruitiers luxuriants. Dieu lui interdit...
  • ÂGE ET PÉRIODE

    • Écrit par
    • 1 958 mots
    Si le temps de la Bible, qui compresse en six millénaires la durée de toute l'histoire du monde, s'impose durant le Moyen Âge occidental, ce mythe d'origine perd peu à peu sa crédibilité pendant les siècles suivants (même si toute lecture non littérale des livres saints reste...
  • Afficher les 75 références

Voir aussi