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ART (Aspects culturels) L'objet culturel

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L'objet de civilisation au Moyen Âge et à la Renaissance

Dans La Figure et le lieu, l'ordre visuel du Quattrocento, Pierre Francastel applique à la peinture traditionnelle l'idée d'objet de civilisation. Lorsque, dans une œuvre du Moyen Âge, on voyait une grotte ou un rocher, cela signifiait, pour les spectateurs de l'époque, le lieu de rencontre du visible et de l'invisible, du Bien et du Mal, etc. La grotte était en effet un des accessoires principaux du théâtre médiéval, réalisé en carton pâte et duquel, le plus souvent, sortaient des diables que venaient combattre et refouler de valeureux chevaliers. Le trône monumental, d'autre part, sur lequel siègent, à travers tout l'Occident chrétien, d'innombrables Vierges en majesté, possède pour fonction de rappeler à tous la puissance terrestre et céleste de l'Église. Il est, lui aussi, un accessoire – comme les autres accessoires presque toujours construits par les artistes eux-mêmes – qui servait à la paraliturgie à l'occasion des fêtes religieuses et qu'on pouvait voir défiler dans la rue les jours de procession. À chaque fois, l'objet est un signe : son image renvoie non seulement à lui-même mais à un ensemble de valeurs institutionnalisées. À la notion d'un hypothétique progrès dans l'art de l'imitation se substitue celle de phases qui se suivent, s'interpénètrent et procèdent aussi bien de représentations mentales que de références à la réalité visuelle. Cela permet un classement plus souple des œuvres picturales, lié à la situation concrète des sociétés.

L'<it>Adoration des Mages</it>, Gentile da Fabriano - crédits :  Bridgeman Images

L'Adoration des Mages, Gentile da Fabriano

Francastel montre comment s'organise l'Adoration des Mages de Gentile da Fabriano. Le tableau, peint en 1423 et commandé par Palla Strozzi, contient, à côté d'objets traditionnels comme le rocher-caverne, la haie, la mer et le navire, qui reproduisent des machines matériellement présentes dans les magasins d'accessoires des confréries, une série d'éléments nouveaux : le cheval, par exemple, qui apparaît parce que le commanditaire désire faire valoir sa qualité de chevalier, le thème du cortège qu'on retrouvera peu après chez Benozzo Gozzoli. Ces différents objets se combinent avec les anciens et transforment l'idée qu'on avait jusque-là de l'Adoration. Tous ensemble, ils forment l'entourage du plus important d'entre eux : les personnages des rois et plus spécialement celui du jeune prince qui, de manière manifeste, tient le premier rôle. Dans leurs vêtements somptueux, ils sont les donateurs, c'est-à-dire des hommes riches et puissants dont le pouvoir est fondé également sur la force des armes, sur le prestige social et sur l'économie.

L'Adoration des Mages est en quelque sorte « le cortège de la soie ». L'Europe féodale, en effet, avait demandé à la noblesse de se porter garante de la propriété terrienne. L'essor progressif du commerce, cependant, engendre, durant tout le xive siècle, de nouvelles sources de richesse, de nouvelles relations à longues distances et de grands mouvements de marchandises. Les banquiers et les hommes d'affaires italiens sont, cette fois, les pionniers de l'ordre nouveau. Ils raisonnent sur des bases intellectuelles différentes, et ce n'est pas un hasard si, au moment où le déclin de la laine florentine s'accuse et où un nouvel élan est donné aux affaires, précisément par les grands financiers qui spéculent sur la soie, la figure centrale de l'œuvre est un prince couvert de brocart. Les éléments qui composent l'Adoration ne sont pas inspirés à l'artiste par l'observation directe du monde extérieur ; ils sont le produit d'une longue élaboration culturelle, ils sont hétérogènes, tirés d'ensembles de culture divers et, en outre, sciemment chargés d'intentions neuves. Le tableau, loin d'être un fac-similé[...]

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Pour citer cet article

Jean-Louis FERRIER. ART (Aspects culturels) - L'objet culturel [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

<it>Le Déjeuner des canotiers</it>, A. Renoir - crédits :  Bridgeman Images

Le Déjeuner des canotiers, A. Renoir

<it>La Gare Saint-Lazare</it>, C. Monet - crédits : Universal History Archive/ Universal Images Group/ Getty Images

La Gare Saint-Lazare, C. Monet

Peinture du tombeau de Nebamon à Thèbes - crédits :  Bridgeman Images

Peinture du tombeau de Nebamon à Thèbes

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE DE L'ART

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