Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ART (Aspects culturels) L'objet culturel

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

L'objet de civilisation contemporain. Delaunay

L'art moderne, une fois encore, fera comprendre de quoi il s'agit exactement. Lorsque, dans les premières années du xxe siècle, le public et la critique reprochent aux peintres cubistes de « déformer » et que M. Jules-Louis Breton va même jusqu'à alerter le Parlement, les cubistes rétorquent que tous leurs efforts visent, au contraire, à « former » ; ils livrent un « gigantesque combat avec l'objet », ainsi que l'écrit Kahnweiler. À la question « Qu'est-ce que le cubisme ? » Apollinaire répond dès 1912 : « Le cubisme est l'art de peindre des ensembles nouveaux avec des éléments empruntés non à la réalité de vision, mais à la réalité de conception. » Il marque le début d'une crise des valeurs figuratives dont la peinture ne s'est pas encore remise aujourd'hui. L'art abstrait qui en est issu n'est nullement l'art figuratif moins la figuration. Croit-on sérieusement que Vasarely se borne à remplacer la femme nue et le pichet par de petits carrés ? Ce qui compte, c'est qu'il soit le contemporain du principe d'indétermination d'Heisenberg et des expériences qui en arrivent à déduire le caractère problématique de la vision, incapable de choisir entre différentes hypothèses perceptives dans certains cas limites.

La coupure décisive s'effectue avec Delaunay. Le cubisme, si riche qu'il soit de possibilités offertes, n'en demeure pas moins le dernier « moment » de la tradition ; il continue à utiliser le clair-obscur ; son espace à entrées multiples qui enserre les objets dans la combinaison d'angles et de champs de profondeur différents ne substitue pas une solution nouvelle à la perspective illusionniste qu'il se contente de faire éclater. Delaunay, au contraire, n'hésite pas à rompre avec l'illusionnisme. Ce qu'il peint après une courte tentative cubiste, à partir de la période des Fenêtres et du premier Disque simultané, en 1912, c'est la lumière elle-même, indépendamment de ses zones de contact avec le monde matériel, comme une onde ou une énergie. Il la laisse entrer dans son atelier à travers les persiennes qu'il entrouvre et en observe le mouvement dans l'atmosphère ; la décomposant selon les couleurs du prisme, il en analyse le faisceau. Il met au point une spatialité correspondant à l'idée nouvelle que nous nous faisons de l'univers et de la place que nous y occupons au xxe siècle, spatialité dans laquelle les aplats colorés deviennent, à la fois, la forme et la charpente du tableau. Le « réel » n'est pas plus absent chez Delaunay que dans la tradition, mais il cesse d'être l'arbre ou la courtisane pour devenir gravitation universelle ou immensité solaire.

Le Manège de cochons, achevé une première fois en 1906, puis détruit, recommencé ensuite à deux reprises, en 1913 et en 1922, occupe une place prépondérante dans l'art du peintre. Cette œuvre, composée de formes circulaires de différentes grandeurs, aux tonalités rouges, jaunes, bleues, vertes, traduit le vertige qui s'empara de Delaunay un soir qu'il se divertissait à la fête foraine : étant monté sur un manège, il vit soudain les lampes électriques tourner autour de lui. Le buste du personnage à monocle, le chapeau haut de forme, les têtes et les queues de cochons, les jambes de femmes qui y figurent encore, loin de fournir ses lignes directrices à la composition, n'y sont plus que de simples effigies, emportées dans le tourbillonnement chromatique. Ses cercles, articulés les uns aux autres, aux vitesses de rotation variables, superposés, contrastés, créent un espace dynamique ne présentant plus ni haut ni bas, sans profondeur assignable, dont les centres divergents sont disséminés à travers la surface entière de l'écran plastique. Le sens des embrasements[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Jean-Louis FERRIER. ART (Aspects culturels) - L'objet culturel [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

<it>Le Déjeuner des canotiers</it>, A. Renoir - crédits :  Bridgeman Images

Le Déjeuner des canotiers, A. Renoir

<it>La Gare Saint-Lazare</it>, C. Monet - crédits : Universal History Archive/ Universal Images Group/ Getty Images

La Gare Saint-Lazare, C. Monet

Peinture du tombeau de Nebamon à Thèbes - crédits :  Bridgeman Images

Peinture du tombeau de Nebamon à Thèbes

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE DE L'ART

    • Écrit par et
    • 3 610 mots
    • 1 média

    L’anthropologie de l’art désigne le domaine, au sein de l’anthropologie sociale et culturelle, qui se consacre principalement à l’étude des expressions plastiques et picturales. L’architecture, la danse, la musique, la littérature, le théâtre et le cinéma n’y sont abordés que marginalement,...

  • ART (notions de base)

    • Écrit par
    • 3 282 mots

    Les liens qui ont longtemps uni l’art et la religion se sont-ils distendus au fil de l’histoire ? L’art s’est-il émancipé de la religion pour devenir une activité culturelle autonome ? Alain (1868-1951) se serait-il trompé en affirmant que « l’art et la religion ne sont pas deux choses,...

  • FINS DE L'ART (esthétique)

    • Écrit par
    • 2 835 mots

    L'idée des fins de l'art a depuis plus d'un siècle et demi laissé la place à celle d'une fin de l'art. Or, à regarder l'art contemporain, il apparaît que la fin de l'art est aujourd'hui un motif exsangue, et la question de ses fins une urgence. Pourquoi, comment en est-on arrivé là ?

  • ŒUVRE D'ART

    • Écrit par
    • 7 938 mots

    La réflexion du philosophe est sans cesse sollicitée par la notion d'œuvre. Nous vivons dans un monde peuplé des produits de l'homo faber. Mais la théologie s'interroge : ce monde et l'homme ne sont-ils pas eux-mêmes les produits d'une démiurgie transcendante ? Et l'homme anxieux d'un...

  • STRUCTURE & ART

    • Écrit par
    • 2 874 mots

    La métaphore architecturale occupe une place relativement insoupçonnée dans l'archéologie de la pensée structurale qu'elle aura fournie de modèles le plus souvent mécanistes, fondés sur la distinction, héritée de Viollet-le-Duc, entre la structure et la forme. La notion d'ordre, telle que l'impose la...

  • TECHNIQUE ET ART

    • Écrit par
    • 5 572 mots
    • 1 média

    La distinction entre art et technique n'est pas une donnée de nature. C'est un fait social : fait qui a valeur institutionnelle et dont l'événement dans l'histoire des idées est d'ailleurs relativement récent. C'est dire qu'on ne saurait non plus considérer cette distinction comme un pur fait de connaissance...

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • ACADÉMISME

    • Écrit par
    • 3 543 mots
    • 2 médias

    Le terme « académisme » se rapporte aux attitudes et principes enseignés dans des écoles d'art dûment organisées, habituellement appelées académies de peinture, ainsi qu'aux œuvres d'art et jugements critiques, produits conformément à ces principes par des académiciens, c'est-à-dire...

  • ALCHIMIE

    • Écrit par et
    • 13 642 mots
    • 2 médias
    ...phénomènes perçus par nos sens et par leurs instruments. Cette hypothèse peut sembler aventureuse. Pourtant, le simple bon sens suffit à la justifier. Tout art, en effet, s'il est génial, nous montre que le « beau est la splendeur du vrai » et que les structures « imaginales » existent éminemment puisqu'elles...
  • ARCHAÏQUE MENTALITÉ

    • Écrit par
    • 7 048 mots
    ...le succès correspond peut-être à un besoin accru encore par les progrès de la pensée positive et pour ainsi dire en réaction contre elle. D'autre part, on peut trouver dans la vie artistique, sous toutes ses formes, la recherche d'une harmonie entre le subjectif et l'objectif, en même temps qu'un retour...
  • Afficher les 41 références