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GREENBERG CLEMENT (1909-1994)

L'histoire de l'art et de la pensée critique sur l'art aura été profondément marquée, au cours du xxe siècle, par Clement Greenberg. Figure à la fois quasi mythique et controversée, il a indiscutablement proposé l'un des axes d'interprétation majeurs de l'art moderne et contemporain, donnant ainsi à l'activité de critique d'art ses lettres de noblesse. On peut dire que la démarche analytique de Greenberg continue de nourrir, en creux ou en plein, le champ artistique qu'elle a fortement contribué à délimiter.

Né en 1909 à New York dans une famille juive d'origine lituanienne, Clement Greenberg a fait des études de langues et de littérature à l'université de Syracuse, écrit de la poésie, traduit des œuvres littéraires de l'allemand ou du français. À partir de la fin des années 1930, impressionné entre autres par les conférences très didactiques du peintre Hans Hoffman, il s'initie à la critique artistique, qu'il mène un moment conjointement à la critique littéraire, avant d'abandonner définitivement celle-ci vers le milieu des années 1940. Il a rejoint, entre-temps, la rédaction de la revue trotskiste Partisan Review, puis devient, de 1942 à 1949, le critique attitré de The Nation. En même temps qu'il jette une lumière nouvelle sur l'art du début du siècle, il se fait le commentateur et le héraut de la jeune avant-garde américaine. Après la publication d'un livre sur Miró en 1948, puis sur Matisse en 1953, un premier recueil de ses articles les plus importants, écrits entre 1939 et 1960, paraît en 1961, sous le titre Art and Culture, et deviendra un livre-culte (traduit en français en 1988 aux éditions Macula sous le titre Art et Culture). Jusque dans les années 1970, Greenberg continuera d'écrire régulièrement dans les principales publications artistiques américaines tout en dispensant des séminaires d'esthétique et de critique d'art à l'université.

Avec une grande rigueur stylistique, il prône une analyse exclusivement formaliste de l'œuvre d'art : le format, la couleur et la forme, la surface — une définition par les seuls traits qu'elle ne partage avec aucune autre et qui, seule, lui donne son sens. Il établit ainsi la notion d'un jugement esthétique qui exclurait toute élaboration rationnelle à partir de données extérieures à la réalité physique du tableau (ou de la sculpture). Sa principale référence est Emmanuel Kant qui représente, selon lui, “le premier véritable moderniste”. Le concept de modernisme, clef de voûte de la théorie de Greenberg, est directement inspiré de l'analyse kantienne. “L'essence du modernisme, énonce-t-il, réside à mes yeux dans l'usage des méthodes caractéristiques d'une discipline pour critiquer cette discipline elle-même, non point dans le but de la subvertir mais pour la retrancher plus fermement dans son champ de compétence.” Mais la force exceptionnelle de Greenberg réside dans le fait qu'il a ancré sa théorie, le modernisme, sur un objet — la nouvelle peinture américaine qui allait bouleverser l'histoire de l'art sous l'étiquette d'expressionnisme abstrait — et que le descriptif qu'il fait de celui-ci est indissociable de l'analyse qu'il en tire. Ainsi Greenberg, le premier, perçoit l'importance de Jackson Pollock, artiste qu'il va imposer tout en défendant inlassablement dans le même temps la peinture qu'il voyait strictement autoréférentielle de Willem De Kooning, Franz Kline, puis Mark Rothko, Barnett Newman, s'opposant ainsi à son homologue et théoricien du mouvement Harold Rosenberg, pour qui il s'agissait d'une démarche existentialiste. Au tournant des années 1950, Greenberg défendra ce qu'il a nommé la post-painterly abstraction de Morris Louis[...]

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Écrit par

  • : historienne de l'art, critique d'art, conservateur de la collection d'art moderne de Renault

Classification

Pour citer cet article

Ann HINDRY. GREENBERG CLEMENT (1909-1994) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ART ET CULTURE, Clement Greenberg

    • Écrit par Patrick de HAAS
    • 1 406 mots

    Autodidacte, reconnu aujourd'hui comme le critique le plus célèbre et le plus controversé de la seconde moitié du xxe siècle, Clement Greenberg (1909-1994) a publié en 1961 un ouvrage appelé à avoir un immense retentissement mais dont il faudra attendre plus d'un quart de siècle la traduction...

  • ABSTRAIT ART

    • Écrit par Denys RIOUT
    • 6 716 mots
    • 2 médias
    ...L'art abstrait, précisément parce qu'il paraît sans référent extrinsèque, offre un excellent terrain d'investigation au formalisme. Le critique américain Clement Greenberg demeure, dans ce domaine, la référence essentielle. Contemporain des expressionnistes abstraits, il a contribué à clarifier les interrogations...
  • COLOR-FIELD PAINTING

    • Écrit par Universalis
    • 514 mots

    Le color-field painting (littéralement « peinture du champ coloré ») constitue avec l'action painting (« peinture d'action ») l'une des deux principales tendances de l'expressionnisme abstrait américain au xxe siècle. Il se caractérise par de grandes toiles où dominent...

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Les arts plastiques

    • Écrit par François BRUNET, Éric de CHASSEY, Universalis, Erik VERHAGEN
    • 13 464 mots
    • 22 médias
    ...Frankenthaler, Morris Louis ou Kenneth Noland, sont plus fidèles à la vision formaliste de Pollock telle qu'elle a été développée par le critique Clement Greenberg, qui valorise l'indistinction entre dessin et couleur ainsi que le all-over. Quelques-uns introduisent des éléments géométriques...
  • MODERNITÉ

    • Écrit par Jean BAUDRILLARD, Alain BRUNN, Jacinto LAGEIRA
    • 8 051 mots
    ...d'art Clive Bell et Roger Fry, qui développent la théorie de la « forme signifiante », prônant l'importance de la forme au détriment des contenus. Cette idée influencera ensuite, outre-Atlantique, celles du héraut d'un tout autre modernisme : lecritique d'art américain Clement Greenberg (1909-1994).
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Voir aussi