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ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

Aristote, critique de Platon

Quelle que soit l'incertitude qui règne sur l'évolution de la pensée d'Aristote, on a tout lieu de croire qu'élevé dans l'école platonicienne il a d'abord eu le souci de préciser les raisons philosophiques de sa rupture avec elle. Reprenant un mot de Platon au sujet d'Homère, il déclare solennellement, au début de l'Éthique à Nicomaque, que, si l'amitié et la vérité lui sont chères l'une et l'autre, il doit néanmoins préférer la seconde à la première (I, 1096 a 11-17).

Critique de la théorie des Idées

Aristote critique la théorie platonicienne des Idées aux livres A, M et N de la Métaphysique : dans le premier de ces textes, il parle des platoniciens à la première personne du pluriel, preuve qu'il se considérait encore comme un des leurs au moment où il l'écrivit. De fait, la critique de la théorie des Idées était déjà devenue un thème classique de discussion à l'intérieur de l'Académie : le premier témoignage littéraire de cette mise en question, qui devait donner lieu bientôt à des séries d'arguments pour et contre de plus en plus stéréotypés, nous est fourni par Platon lui-même, dans la première partie du Parménide. Aristote avait contribué activement à ce débat dans un traité très technique, le De Ideis, malheureusement perdu, mais dont Alexandre d'Aphrodise nous a conservé de larges fragments dans son commentaire de Métaphysique, A, 9, qui n'en est que le résumé.

Aux livres M et N de la Métaphysique, où Aristote parle cette fois des platoniciens à la troisième personne du pluriel, la critique devient plus acerbe encore et s'étend aux développements que Platon avait donnés à sa doctrine dans son enseignement oral, développements que nous connaissons surtout, à vrai dire, par l'exposé critique qu'en donne Aristote. Platon y aurait affirmé que les Idées sont des Nombres, non certes des nombres mathématiques, mais des Nombres idéaux, c'est-à-dire des Idées de Nombres, comme l'Unité, la Dualité (ou Dyade). Platon s'efforçait ensuite d'engendrer les Nombres idéaux eux-mêmes à partir de deux principes, l'Un, ou principe formel, et l'Inégal, ou Dyade indéfinie du Grand et du Petit, qui jouait, selon Aristote, le rôle de principe matériel. Ce mathématisme (« les mathématiques sont devenues pour les modernes toute la philosophie », Mét., A, 9, 992 a 31) répugnait d'autant plus à Aristote qu'il avait pris chez les deux successeurs de Platon à la tête de l'Académie, Speusippe et Xénocrate, un tour souvent outré.

Mais les motifs profonds de l'opposition d'Aristote au platonisme peuvent déjà se déduire de la critique qu'il adressait à la théorie des Idées sous sa forme classique. Une tradition, dont on trouve l'illustration dans la célèbre fresque de Raphaël L'École d'Athènes (où l'on voit Platon lever son index vers le ciel, et Aristote abaisser sa main vers la terre), tendrait à faire croire qu'Aristote fait redescendre sur la Terre une spéculation que Platon aurait préalablement convertie à la contemplation du divin. La situation d'Aristote à l'égard du platonisme est en réalité plus complexe. Il reste dans une tradition qu'il interprète lui-même dans un sens dualiste : celle de Parménide et de Platon, pour qui existe une coupure (chôrismos) fondamentale entre un domaine de réalités stables, immuables, par là même objectivables dans le discours et dans la science, et un domaine de réalités mouvantes, « indéterminées », qui, réfractaires à leur fixation dans le langage rigoureux et cohérent de la science, ne sont accessibles qu'à l'opinion. Aristote ne renonce pas à cette coupure ; simplement, il la déplace ; au lieu de séparer deux mondes comme chez Platon,[...]

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Pour citer cet article

Pierre AUBENQUE. ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Aristote

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Aristote - Stagire (Macédoine)

Autres références

  • DE L'ÂME, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 956 mots

    Qu'est-ce que l'âme ? La question peut nous paraître incongrue, mais pour l'Antiquité elle était essentielle à la constitution d'une science du vivant (l'âme se définit comme ce qui « anime » un corps, au principe donc de ce qui distingue l'animal du végétal), et partant...

  • ÉTHIQUE À NICOMAQUE, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 943 mots
    • 1 média

    Le corpus aristotélicien comprend traditionnellement trois ensembles consacrés à la philosophie morale : l'Éthique à Nicomaque, l'Éthique à Eudème et la Grande Morale, ou Grands Livres d'Éthique, dont l'attribution à Aristote (385 env.-322 env. av. J.-C.) est aujourd'hui très...

  • HISTOIRE DES ANIMAUX (Aristote)

    • Écrit par Pierre LOUIS
    • 325 mots

    La date de 335 avant notre ère est très importante dans l'histoire de la science grecque et de la science en général. Elle correspond pourtant à une période assez sombre de l'histoire de la Grèce ancienne. Trois années plus tôt, en — 338, la défaite des Athéniens et des Thébains, battus par Philippe...

  • ORGANON, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 821 mots
    • 1 média

    Dans l'œuvre immense qui nous reste d'Aristote (385 env.-322 av. J.-C.), ou qui est publiée sous son nom, on peut distinguer trois ensembles : les écrits qui relèvent directement de la connaissance scientifique (dont De l'âme) ; ceux qui traitent plutôt des conduites humaines...

  • POÉTIQUE, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 906 mots
    • 1 média

    On a pu dire de la poétique conçue comme discipline que son histoire coïncidait pratiquement avec celle de la réception de la Poétique (Poiètikè) d'Aristote (env. 385-env. 322 av. J.-C.), composée vers 340 avant J.-C. Peu d'ouvrages, en effet, ont ainsi connu une vie autonome, et d'aussi...

  • ACADÉMIE ANTIQUE

    • Écrit par Jean-Paul DUMONT
    • 1 376 mots
    • 1 média
    On trouve un reflet sans doute fidèle de cet enseignement platonicien dans les fragments du traité Sur le bien d'Aristote. Tous les êtres ont une existence mixte, résultat du mélange, dont le Philèbe assurait qu'il peut être bon ou mauvais, de deux principes : la limite et l'illimité. Sans doute...
  • ACTE, philosophie

    • Écrit par Paul GILBERT
    • 1 282 mots
    Leterme « acte » reprend le latin actus, qui traduit deux termes d'Aristote : energeia (« qui est en plein travail ») et entelecheia (« qui séjourne dans sa fin »). Ces deux mots du vocabulaire aristotélicien sont souvent confondus par les traducteurs, mais déjà parfois par Aristote...
  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
    • 12 228 mots
    ...la sensibilité humaine. Ainsi le « pathique » est-il tantôt finement analysé en tant qu'obstacle, mais aussi ressource de la vie éthique, comme chez Aristote, en particulier dans l'Éthique à Nicomaque, tantôt entièrement rejeté comme obnubilant et obscurcissant – comme si tout affect se confondait...
  • ÂGE DE LA TERRE

    • Écrit par Pascal RICHET
    • 5 143 mots
    • 5 médias
    Sur le long terme, les idées qui exercèrent l’influence la plus longue et la plus forte furent cependant celles d’Aristote. En décrivant un petit univers centré sur la Terre et borné par la sphère des étoiles fixes, ce dernier s’attacha à démontrer aussi bien philosophiquement que physiquement...
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