Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SCIENCE-FICTION

Une galaxie littéraire

Parallèlement, elle a beaucoup élargi ses perspectives et son registre littéraire. La génération des années 1930 (Jack Williamson, Catherine Moore, Stanley Weinbaum, John W. Campbell) a ouvert la voie à l'« âge d'or » de la revue Astounding (Robert Heinlein, Isaac Asimov, A. E. van Vogt, James Blish, Lester del Rey, Clifford Simak), mais ce sont les disciples de Lovecraft, héritiers lointains du gothique, qui lui confèrent ses lettres de noblesse littéraires (Robert Bloch, Henry Kuttner, Theodore Sturgeon, Fritz Leiber, Ray Bradbury). Les années 1950 sont celles du grand épanouissement : la revue Galaxy redécouvre l'ironie de Swift et de Voltaire avec Robert Sheckley, Fredric Brown, Kurt Vonnegut, Pohl et Kornbluth, William Tenn, Alfred Bester ; la science-fiction devient capable d'exprimer aussi l'horreur froide (Richard Matheson, Damon Knight), la poésie (Philip José Farmer, Cordwainer Smith), la mélancolie (Robert Silverberg) et la psychose (Philip K. Dick, Daniel Galouye). Même la deuxième génération d'Astounding (Jack Vance, Poul Anderson, Frank Herbert, Harry Harrison) est irriguée par ce supplément d'inspiration : Herbert bat tous les records de popularité avec Dune, le Guerre et Paix de notre temps.

À ce stade, la science-fiction est sur le fil du rasoir. L'optimisme scientifique laisse à croire que tout est possible : Campbell rêve de transformer la fratrie en technocratie occulte ; van Vogt, Asimov et Heinlein, plus prudents, développeront respectivement une sagesse liée à la science, une œuvre de vulgarisation et des romans pour la jeunesse. Il s'agit là d'éducation, donc d'appel à la croyance : au milieu des années 1940, la science-fiction approche la dimension du mythe. Après la bombe d'Hiroshima, les limites de l'optimisme se dessinent. Dès lors, dans le récit de science-fiction, la joie de conter l'emporte : les personnages et l'écriture suivent comme l'intendance, la machine narrative gagne les batailles. C'est ce qui, au-delà de la noirceur, fait l'inimitable saveur du style Galaxy.

Le renouveau vient d'Angleterre. Après Wells, elle a connu, dans les années 1930, une génération d'auteurs visionnaires (Olaf Stapledon, C. S. Lewis), mais les jeunes écrivains ont fait carrière dans les revues américaines (E. F. Russell, John Wyndham). La revue New Worlds (1946) cristallise une école nationale qui lance Arthur Clarke, John Brunner, Brian Aldiss, J. G. Ballard, Michael Moorcock : auteurs prospères (ils publient aussi aux États-Unis) mais culturellement plus marqués que leurs confrères américains par les cauchemars antiutopiques et les recherches d'écriture. New Worlds, sous la direction de Moorcock (1963), devient une revue d'avant-garde – y compris pour les auteurs américains – et préside aux débuts de Christopher Priest et de Ian Watson. La science-fiction anglaise reste une subculture, mais très ouverte aux courants littéraires contemporains.

Dans les années 1960, l'Amérique bascule à son tour sous l'influence de l'Angleterre et de l'effervescence radicale. Les auteurs se libèrent des revues, fondent une association (1965), décernent un prix à leur tour (1966) ; ils mettent le meilleur d'eux-mêmes dans des anthologies de textes originaux comme Dangereuses Visions de Harlan Ellison (1967) et Orbit de Damon Knight (périodique). Le modèle du conte passe au second plan ; ce qui prédomine, c'est la poésie (à cause de l'écriture expérimentale) et la prophétie, voire le millénarisme (à cause de la contestation). De grands écrivains se révèlent (R. A. Lafferty, Ursula Le Guin, Thomas Disch, Roger Zelazny, Norman Spinrad, Gene Wolfe) et la science-fiction est enfin reconnue comme littérature : une association de chercheurs regroupe en 1970 les universitaires concernés.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Roger BOZZETTO et Jacques GOIMARD. SCIENCE-FICTION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Interstellar</em>, de Christopher Nolan - crédits : Paramount/ Warner Brothers/ The Kobal Collection/ Picture Desk

Interstellar, de Christopher Nolan

<em>Matrix</em>, de Larry et Andy Wachowski, 1999 - crédits : Jasin Boland / Roadshow Film Limited / Album/ akg-images

Matrix, de Larry et Andy Wachowski, 1999

<em>Ghost in the shell</em>, de Oshi Mamoru, 1995 - crédits : Bandai/Kodansha/Production I.G. / The Kobal Collection/ Aurimages

Ghost in the shell, de Oshi Mamoru, 1995

Autres références

  • 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE (S. Kubrick)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 218 mots
    • 1 média

    Le cinéma de science-fiction a beaucoup perdu de sa vigueur et de sa vitalité, lorsque Stanley Kubrick (1928-1999) se lance dans l'aventure de 2001 : a Space Odyssey, dont le succès va redonner au genre une nouvelle vie pour plusieurs décennies. Selon Jacques Goimard, il s'agit du « premier...

  • 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE, film de Stanley Kubrick

    • Écrit par Michel CHION
    • 1 186 mots
    • 1 média

    Dans les années 1960, marquées par la guerre froide, deux grands thèmes hantent le monde occidental : le risque d'une apocalypse nucléaire, objet d'innombrables films, et la conquête spatiale, sous la forme d'une compétition entre Russes et Américains – compétition à laquelle met fin l'alunissage, en...

  • AD ASTRA (J. Gray)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 981 mots
    • 1 média

    Dans le premier long-métrage de James Gray, Little Odessa (1994), Joshua Shapira (Tim Roth), tueur sans envergure, revenait dans le quartier de son enfance et, de petit frère admiratif en mère mourante et aimante, allait jusqu’à contraindre à s’agenouiller son père démissionnaire et haï (Maximilian...

  • ALIEN, LE HUITIÈME PASSAGER, film de Ridley Scott

    • Écrit par Laurent JULLIER
    • 932 mots

    Ancien élève du Royal College of Art de Londres, Ridley Scott travailla d'abord pour la B.B.C., comme décorateur de plateau puis, au milieu des années 1960, comme réalisateur. Il poursuivit sa carrière en dirigeant des spots publicitaires, avant de tourner son premier film, Duellistes,...

  • Afficher les 99 références

Voir aussi