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SCIENCE-FICTION

L'éclatement du genre

En 1969, le projet de révolution contestataire, cassé par son échec politique, a cessé de nourrir l'espérance des campus américains. En 1973, l'évacuation militaire du Vietnam prive les mouvements radicaux de leur principale source de recrutement. C'est toute la jeunesse étudiante qui, autour de 1970, bascule ; le public américain de la science-fiction change d'horizon d'attente et le genre éclate en courants différents, parfois opposés :

– Les plus engagés nourrissent le courant anti-utopique préexistant. N'espérant plus que le « système » change, ils s'attendent à le voir mourir par saturation. Leur horizon d'attente ne dépasse guère l'avenir proche, qu'ils se représentent comme un champ de ruines fréquenté par des barbares prédateurs. Ce symbolisme est actualisé, dans les années 1980, par l'école cyberpunk (William Gibson, Bruce Sterling) qui explore la fascination exercée par l'ordinateur sur son informaticien, l'absorption de celui-ci par le cyberespace et son arrivée dans un univers où il se transforme en détective privé ou en espion. Désormais, les conflits se passent entre corporations et non plus entre États, et où les enjeux ne sont plus politiques mais policiers, où il n'y a plus d'avenir et encore moins de lois. Le macrocosme est voué à l'apocalypse.

– Depuis la crise, le grand public ne reconnaît plus ses enfants et le cinéma d'horreur s'emploie à dire que désormais ce sont eux les monstres (Rosemary's Baby, L'Exorciste). À ce courant « pédophobe » s'oppose Stephen King, dont l'immense succès, à partir de 1974, témoigne qu'il sait proposer aux jeunes une monstruosité où ils peuvent reconnaître une image d'eux-mêmes. Dean Koontz, par sa thématique centrée sur le complot, est plus proche de la science-fiction – et du Watergate. Quel que soit le microcosme formé par les personnages du récit, il est promis au feu (parfois rédempteur), et surtout à la course-poursuite qui est par excellence la loi du thriller, un genre qui doit beaucoup au cinéma d'action hollywoodien et qui, en conquérant de nouveaux territoires, tend à offrir un paysage de plus en plus diversifié : beaucoup d'écrivains commencent sous l'influence de Lovecraft (Ramsey Campbell, Brian Lumley, T.E.D. Klein) avant de trouver une thématique et une écriture personnelles ; l'horreur tranquille (quiet horror) regroupe les disciples de Stephen King – parmi lesquels Peter Straub, Charles L. Grant et Robert McCammon – qui séduisent le grand public en dissimulant leurs fantasmes sous une écriture civilisée ; au contraire les splatterpunks (John Skipp, Craig Spector, David Schow, Ray Garbon), héritiers du cinéma gore, bousculent les limites de la bienséance, et sont rejoints par un public jeune. Cette problématique (rhétorique de l'équilibre et rhétorique de l'excès) est condamnée à s'étioler quand tout a été dit ; les meilleurs auteurs explorent d'autres dimensions comme l'humour (Joe Lansdale), la poésie romantique (Anne Rice, Poppy Z. Brite) ou surréaliste (Jonathan Carroll), l'exploration franche et massive des fantasmes (Clive Barker) et la science-fiction (Dan Simmons entre autres).

– C'est au cœur même de la crise, en 1967, que les campus américains font un triomphe à Tolkien, préparant l'essor de la fantasy qui s'appuie sur deux courants idéologiques : l'éloge écologiste des sociétés archaïques proches de la nature (high fantasy) et l'apologie féministe des guerrières libérées (romanticfantasy). Genre aux racines tant médiévales que romantiques, la fantasy aime les univers parallèles où se développent les cycles romanesques (Anne McCaffrey, Marion Zimmer Bradley) et les livres-univers (David Eddings, Robert[...]

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Pour citer cet article

Roger BOZZETTO et Jacques GOIMARD. SCIENCE-FICTION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Interstellar</em>, de Christopher Nolan - crédits : Paramount/ Warner Brothers/ The Kobal Collection/ Picture Desk

Interstellar, de Christopher Nolan

<em>Matrix</em>, de Larry et Andy Wachowski, 1999 - crédits : Jasin Boland / Roadshow Film Limited / Album/ akg-images

Matrix, de Larry et Andy Wachowski, 1999

<em>Ghost in the shell</em>, de Oshi Mamoru, 1995 - crédits : Bandai/Kodansha/Production I.G. / The Kobal Collection/ Aurimages

Ghost in the shell, de Oshi Mamoru, 1995

Autres références

  • 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE (S. Kubrick)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 218 mots
    • 1 média

    Le cinéma de science-fiction a beaucoup perdu de sa vigueur et de sa vitalité, lorsque Stanley Kubrick (1928-1999) se lance dans l'aventure de 2001 : a Space Odyssey, dont le succès va redonner au genre une nouvelle vie pour plusieurs décennies. Selon Jacques Goimard, il s'agit du « premier...

  • 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE, film de Stanley Kubrick

    • Écrit par Michel CHION
    • 1 186 mots
    • 1 média

    Dans les années 1960, marquées par la guerre froide, deux grands thèmes hantent le monde occidental : le risque d'une apocalypse nucléaire, objet d'innombrables films, et la conquête spatiale, sous la forme d'une compétition entre Russes et Américains – compétition à laquelle met fin l'alunissage, en...

  • AD ASTRA (J. Gray)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 981 mots
    • 1 média

    Dans le premier long-métrage de James Gray, Little Odessa (1994), Joshua Shapira (Tim Roth), tueur sans envergure, revenait dans le quartier de son enfance et, de petit frère admiratif en mère mourante et aimante, allait jusqu’à contraindre à s’agenouiller son père démissionnaire et haï (Maximilian...

  • ALIEN, LE HUITIÈME PASSAGER, film de Ridley Scott

    • Écrit par Laurent JULLIER
    • 932 mots

    Ancien élève du Royal College of Art de Londres, Ridley Scott travailla d'abord pour la B.B.C., comme décorateur de plateau puis, au milieu des années 1960, comme réalisateur. Il poursuivit sa carrière en dirigeant des spots publicitaires, avant de tourner son premier film, Duellistes,...

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Voir aussi