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SAGAS

Évolution du genre

Nous pouvons maintenant suivre plus précisément le mouvement qui mènera le genre à sa perfection, puis à sa décadence. Les premiers écrits islandais conservés sont purement historiques. L'Íslendingabók (Livre des Islandais) d'Ari  orgilsson le Savant (1067 ?-1148) et une œuvre du même ordre de Saemundr Sigfússon le Savant (1056-1133), aujourd'hui perdue mais rédigée en latin, sont déjà remarquables par le sérieux de leur documentation, le souci de citer leurs sources, d'invoquer et de confronter les témoignages et un ton impartial, un refus de l'intervention personnelle ou du commentaire qui resteront la marque de ce type d'écriture.

Peu de temps après apparaissent sans doute les sagas à proprement parler. Depuis la brillante étude de Sigurd̄ur Nordal dans Nordisk Kultur VIIIB (1953), l'usage est de les classer, pour la commodité de l'étude, en fonction de l'écart de temps qui sépare l'époque où vivait l'auteur présumé ou connu de celle où se situent les événements qu'il rapporte.

La première catégorie comprendrait ainsi les sagas dites de contemporains (samtíd̄arsögur) où l'auteur parle de personnages qu'il a connus. Telles sont la Sturlunga Saga (qui comporte entre autres l'Íslendinga Saga, Saga des Islandais de Sturla  órdarson, 12141284) et les Byskupa Sögur (Sagas des Évêques), chroniques de l'histoire islandaise des xiie et xiiie siècles surtout, qui valent par leur sens politique, leur vivante narration et leur art de la caractérisation.

Viennent ensuite les « sagas du passé » (fortidssagaer dans la terminologie danoise de S. Nordal), plus communément appelées Íslendingasögur (Sagas des Islandais) ou « sagas de familles », qui sont les plus connues, celles aussi qui ont immortalisé le genre. Elles rapportent en général les faits et gestes de quelque illustre ancêtre ayant vécu au xe ou au xie siècle : comme Egils Saga Skallagrímssonar, déjà citée, sans doute l'œuvre de Snorri Sturluson (1179-1241), qui présente, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, un Viking qui fut aussi un scalde de premier ordre et un grand magicien, ou Grettis Saga (Saga de Grettir le Fort), peut-être écrite par Sturla  órd̄arson et dont le héros fut célèbre par sa force herculéenne et sa tragique destinée ; la Gísla Saga Súrssonar (Saga de Gísli, fils de Súrr) dépeint la vie passablement malheureuse d'un héros dans le goût romantique, Laxdoela Saga (Saga des habitants de la vallée du saumon) où les amours contrariées de héros chevaleresques servent de trame au récit. Ou bien elles font la chronique de tout un district de l'île (comme Eyrbyggja Saga, la Saga de Snorri le Godi, centrée sur les errements d'un arriviste de taille), à moins qu'elles ne relatent un événement glorieux, par exemple la découverte du Groenland et de l'Amérique : Eiríks Saga raud̄a (Saga d'Éric le Rouge) et Groenlendinga Saga (Saga des Groenlandais). Les chefs-d'œuvre de ce genre sont certainement Hrafnkels Saga Freysgoda (Saga de Hrafnkel, prêtre de Freyr) dont la composition toute classique en ses deux parties exactement symétriques et l'écriture racée font un modèle de style, et, sans aucun doute, Brennu-Njáls Saga, déjà citée, vaste roman historique en trois parties bien équilibrées qui relate l'émouvante histoire de deux amis que la rigueur d'une destinée malencontreuse mène à la mort, dans un climat pathétique de tragédie et de noblesse de cœur que la densité du style et la pudeur du récit dotent d'une admirable profondeur. On mettra à part les sagas de rois poètes célèbres, Kormáks Saga (Saga de Kormákr), Gunnlaugs Saga Ormstungu (Saga de Gunnlaugr Langue-de-serpent) et Hallfred̄ar Saga (Saga de Hallfredr), où prose et vers s'équilibrent.

La moindre originalité[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Régis BOYER. SAGAS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • SAGAS (anonyme) - Fiche de lecture

    • Écrit par Régis BOYER
    • 942 mots

    L'Islande médiévale a conçu, autour du xiiie siècle, un type de récit en prose, les sagas, qui n'a aucun équivalent en Occident et que l'on peut, à bien des égards, tenir pour l'ancêtre de notre roman moderne. Tout y est original, le style d'abord, le genre de personnages et les péripéties...

  • AMÉRIQUE (Histoire) - Découverte

    • Écrit par Marianne MAHN-LOT
    • 4 807 mots
    • 6 médias
    ...de morse, les pelleteries. Cette implantation s'est faite à partir de l'Islande, qui avait été occupée par les Norvégiens en 874. D'après une saga, un certain Erik le Rouge, proscrit d'Islande, cingle vers l'ouest en 982, découvre la pointe sud du Groenland, puis va continuer la chasse et la...
  • ARI THORGILSSON INN FRÓDHI (1067/68-1148)

    • Écrit par Régis BOYER
    • 740 mots

    Il ne suffit pas de dire que Ari est le père de l'histoire islandaise, il faut préciser que, sans lui, probablement, toute la littérature de sagas n'aurait pu voir le jour et qu'il possède, avec plusieurs siècles d'avance, contre tous ses contemporains, les qualités que nous exigeons d'un véritable...

  • ATLANTIQUE HISTOIRE DE L'OCÉAN

    • Écrit par Jacques GODECHOT, Clément THIBAUD
    • 13 670 mots
    • 12 médias
    Leif Eriksson n'aurait pas été le seul à aborder « l'Amérique ». Les sagas(récits) scandinaves racontent que son frère Thorwald aurait également abordé au Vinland en 1003. Il y aurait lutté contre les indigènes et aurait péri au cours d'un combat. En 1006, Thorstein, un autre frère de Leif,...
  • DÉCOUVERTE DU GROENLAND

    • Écrit par Sylvain VENAYRE
    • 183 mots
    • 1 média

    Vers 870, les Vikings norvégiens occupèrent l'Islande et, à partir de là, explorèrent les mers du Nord à la recherche d'huile de phoque, de fourrures d'ours blanc ou d'ivoire de morse. Une saga rapporte qu'un certain Erik le Rouge, venant de l'est, aurait alors...

  • Afficher les 8 références

Voir aussi