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SAGAS

Valeur

Il est donc évident que les grandes sagas sont les sagas de familles et les sagas historiques. Elles constituent à elles seules le joyau de la littérature nordique et l'une des réussites de la production littéraire du Moyen Âge européen.

Elles ne laissent pas de poser maint problème passionnant, celui de leur valeur en tant que sources historiques en particulier. À cause de leur apparente objectivité, de l'anonymat dans lequel se tiennent leurs auteurs, de leur ton d'annalistes, on les a longtemps tenues pour d'irrécusables documents. Les recherches modernes, celles de la brillante école islandaise surtout (Sigurd̄ur Nordal, Einar Ól. Sveinsson et leurs disciples), ont toutefois démontré qu'il valait mieux se montrer prudents. La Saga de Hrafnkell, par exemple, que l'on considérait comme le modèle même de la relation impartiale, pourrait bien n'être qu'une affabulation fort habile, d'un art consommé, d'éléments vaguement historiques arrangés afin de servir d'exemplum, comme on disait au Moyen Âge. Qui plus est, on s'est attaché à retrouver les auteurs derrière les textes, à distinguer diverses écoles, généralement regroupées autour de quelques-uns des grands monastères qui s'installèrent dans l'île à partir de la christianisation. Il semble que, plus on aille vers les temps modernes, plus le genre perde en crédibilité, mais plus il gagne en habileté artistique. En effet, ce qui retient surtout aujourd'hui dans les sagas, c'est leur valeur artistique, leur style (et, bien entendu, la vision de l'homme, de la vie et du monde). Fait d'économie avant tout et presque de pudeur, attentif à la composition, négligeant tout ce qui n'est pas l'essentiel, il est capable d'une surprenante variété de registres sur lesquels il évolue avec un égal bonheur : épique, par le grossissement des faits et des héros et la simplification de l'intrigue ; héroïque, dans l'attention scrupuleuse apportée aux entreprises presque toujours agonistiques des personnages ; dramatique par la progression impitoyable de l'action, la maîtrise du dialogue et l'emploi du style direct.

Dans ce passage de la Saga de Njáll le Brûlé par exemple, le héros, Gunnarr de Hlídarendi, attaqué dans sa maison par des ennemis nombreux contre lesquels il est seul à lutter, finit par sentir l'approche de sa défaite. Pour comble de malheur, il casse la corde de l'arc avec lequel il se défendait avec une terrible efficacité.

« Il dit à Hallgerd, sa femme, personnage autoritaire et vindicatif qui est directement responsable de tous ses malheurs et à laquelle il a donné une gifle il y a plusieurs années : « Donne-moi deux mèches de tes cheveux, et tresse-les, toi et ma mère, pour en faire une corde pour mon arc.

– Cela est-il important pour toi ? dit-elle.

– Il y va de ma vie, dit-il, car ils ne m'auront pas tant que je pourrai me servir de mon arc.

– Alors, je vais, dit-elle, te rappeler la gifle que tu m'as donnée, et cela m'est bien égal que tu te défendes plus ou moins longtemps.

– Chacun a sa façon d'acquérir du renom, dit Gunnarr, et je ne te le redemanderai pas. »

Rannveig, la mère de Gunnarr, dit à Hallgerd : « C'est mal te conduire, et ta honte vivra longtemps » (cf. chapitre lxxvii).

— Régis BOYER

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Régis BOYER. SAGAS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • SAGAS (anonyme) - Fiche de lecture

    • Écrit par Régis BOYER
    • 942 mots

    L'Islande médiévale a conçu, autour du xiiie siècle, un type de récit en prose, les sagas, qui n'a aucun équivalent en Occident et que l'on peut, à bien des égards, tenir pour l'ancêtre de notre roman moderne. Tout y est original, le style d'abord, le genre de personnages et les péripéties...

  • AMÉRIQUE (Histoire) - Découverte

    • Écrit par Marianne MAHN-LOT
    • 4 807 mots
    • 6 médias
    ...de morse, les pelleteries. Cette implantation s'est faite à partir de l'Islande, qui avait été occupée par les Norvégiens en 874. D'après une saga, un certain Erik le Rouge, proscrit d'Islande, cingle vers l'ouest en 982, découvre la pointe sud du Groenland, puis va continuer la chasse et la...
  • ARI THORGILSSON INN FRÓDHI (1067/68-1148)

    • Écrit par Régis BOYER
    • 740 mots

    Il ne suffit pas de dire que Ari est le père de l'histoire islandaise, il faut préciser que, sans lui, probablement, toute la littérature de sagas n'aurait pu voir le jour et qu'il possède, avec plusieurs siècles d'avance, contre tous ses contemporains, les qualités que nous exigeons d'un véritable...

  • ATLANTIQUE HISTOIRE DE L'OCÉAN

    • Écrit par Jacques GODECHOT, Clément THIBAUD
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    Leif Eriksson n'aurait pas été le seul à aborder « l'Amérique ». Les sagas(récits) scandinaves racontent que son frère Thorwald aurait également abordé au Vinland en 1003. Il y aurait lutté contre les indigènes et aurait péri au cours d'un combat. En 1006, Thorstein, un autre frère de Leif,...
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    • Écrit par Sylvain VENAYRE
    • 183 mots
    • 1 média

    Vers 870, les Vikings norvégiens occupèrent l'Islande et, à partir de là, explorèrent les mers du Nord à la recherche d'huile de phoque, de fourrures d'ours blanc ou d'ivoire de morse. Une saga rapporte qu'un certain Erik le Rouge, venant de l'est, aurait alors...

  • Afficher les 8 références

Voir aussi