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ROMAN, notion de

Brève histoire du roman

La naissance du roman « moderne » peut être datée de 1678, lorsque Mme de La Fayette publie La Princesse de Clèves. Dans cette œuvre, l'auteur délaisse en effet l'épopée et le collectif, pour se pencher sur la conscience torturée d'une femme en proie à un amour défendu. Toutefois, le roman reste encore un genre mineur. Il suscite notamment nombre de scandales avec l'essor du libertinage au xviiie siècle. Manon Lescaut (1731) de l'abbé Prévost est condamné au feu. Plus tard, sous l'influence notamment de Clarissa Harlowe (1748), de Samuel Richardson, qui narre l'aventure de la vertu bafouée, paraissent Les Liaisons dangereuses (1782) de Pierre Choderlos de Laclos, puis la Justine (1787, 1791, 1797) du marquis de Sade. Méprisé, le genre se développe pourtant à la fin du siècle, devenant le moyen d'expression privilégié de la bourgeoisie.

C'est le romantisme qui annonce l'âge d'or du roman. De René (1805) de François René de Chateaubriand à La Confession d'un enfant du siècle (1836) d'Alfred de Musset, le roman devient l'« instrument privilégié de l'expression du moi » (Michel Raimond, Le Roman depuis la Révolution, 1967). Cette forme libre convient particulièrement à une époque qui cherche à remettre en cause les conventions littéraires et les formes fixes, telles que l'usage de l'alexandrin en poésie ou au théâtre. De plus, le roman peut peindre la vie ordinaire de personnages parfois sans héroïsme, qui paraissent plus conformes au réel que la gloire des héros tragiques. Victor Hugo décrit ainsi la pauvreté et l'oppression dans Les Misérables (1862) qui est aussi une réflexion sur l'histoire alors que s'affirme la bourgeoisie. Dans un même souci de réalisme, Stendhal affirme qu'« un roman, c'est un miroir que l'on promène le long du chemin » (Le Rouge et le Noir, 1830). Cette conception ouvre la voie aux romans de Balzac qui, d'Eugénie Grandet (1833) à Splendeurs et misères des courtisanes (1838-1847), cherche à peindre l'humanité dans son ensemble, de Paris à la province, de la richesse à l'indigence, de la vie politique à la vie privée. Plus que du roman, c'est peut-être l'âge d'or du personnage de roman. Balzac lui offre en effet une profondeur psychologique et des caractéristiques physiques dévoilant son caractère, en accord avec les découvertes de la physiognomonie. Dans Madame Bovary (1857) de Gustave Flaubert, comme plus tard dans Anna Karénine(1873-1877) de Léon Tolstoï, le personnage, notamment le personnage féminin, atteint une épaisseur psychologique rare. Émile Zola perpétuera cette attention au type humain, mais en l'associant cette fois aux caractères de son milieu et de son hérédité.

<em>Les Misérables</em>, V. Hugo - crédits : Géo Dupuis/ musée Victor Hugo, Paris/ AKG Images

Les Misérables, V. Hugo

Honoré de Balzac, A. Rodin - crédits : D. Greco

Honoré de Balzac, A. Rodin

Au xxe siècle, si le roman reste le genre majeur, avec les œuvres de Proust, Céline, Musil, Broch ou Kafka, il subit des bouleversements importants. Le nouveau roman, à leur suite, remet en cause la suprématie du personnage qui prévalait au siècle précédent. Les Gommes (1953) d'Alain Robbe-Grillet ou Les Choses (1965) de Georges Perec témoignent de cet intérêt nouveau pour un monde en voie de réification. Le roman passe ainsi de la profondeur psychologique des êtres à la surface, à l'opacité des choses où l'humain se défait.

Ainsi le roman, après avoir été un genre mineur jusqu'au xviiie siècle, devient-il le genre majeur des deux siècles suivants. La fluidité de sa forme autorise en effet aux auteurs les plus grandes libertés. Ulysse (1922) de James Joyce semble ainsi annexer à la forme romanesque toutes les autres formes littéraires, de l'épopée à l'élégie, en passant par le pamphlet, le reportage ou le drame. Par là, le roman s'affirme comme un genre évolutif, aux frontières mouvantes, témoignant de[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de lettres modernes, docteure en lettres modernes et en arts du spectacle

Classification

Pour citer cet article

Elsa MARPEAU. ROMAN, notion de [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 23/02/2024

Médias

Marcel Proust - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Marcel Proust

<it>Don Quichotte de la Manche</it> - crédits :  Bridgeman Images

Don Quichotte de la Manche

<em>Les Misérables</em>, V. Hugo - crédits : Géo Dupuis/ musée Victor Hugo, Paris/ AKG Images

Les Misérables, V. Hugo

Autres références

  • ROMAN D'AVENTURES

    • Écrit par
    • 3 878 mots
    • 9 médias

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  • ROMAN HISTORIQUE

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    Le roman a toujours puisé dans l'histoire de quoi nourrir ses fictions et leur donner les prestiges du vraisemblable. Mais, en tant que genre spécifiquement déterminé, le roman historique a pris son essor — comme la plupart des formes romanesques — au xixe siècle, alors que la bourgeoisie...

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    Le roman forme l'essentiel de l'activité littéraire. Le romancier afrikaner choisit, durant cette période, de donner à sa langue une dimension qu'elle ne possède pas encore. Il s'agit de produire, aussi rapidement que possible, l'équivalent d'une quelconque littérature romanesque européenne. Le roman,...
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    La première moitié du xxe siècle est, en Allemagne comme ailleurs, l'âge des sommes romanesques. Si certains, comme Heinrich Mann (1871-1950), s'en tenaient à l'image satirique et à la caricature, son frère Thomas (1875-1955) érigeait ses architectures savantes, où thèmes et leitmotive s'enchevêtrent...
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