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JOYCE JAMES (1882-1941)

James Joyce - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

James Joyce

Joyce est peut-être le dernier de ces héros des lettres pures qui ont marqué l'histoire occidentale. Il serait vain de prêter à l'écrivain irlandais un message social ; en 1939, quand la guerre se déchaîna, il la trouva malencontreuse : qui allait lire Finnegans Wake qu'il venait justement de publier ? C'est ainsi qu'il voyait les choses. Au reste, on peut dire de l'ouvrage que, s'il a été le moins lu, il a été le plus commenté de ceux qui ont influencé l'histoire littéraire moderne. Mais l'ère de ces prodiges est révolue. Dans la guerre précédente, Joyce s'était trouvé à Zurich avec Dada, la première contestation collective de la culture contemporaine : un phénomène, donc, de cette époque. Le refus égotiste de Joyce est d'autre sorte, et d'un autre temps : il a sa propre grandeur.

Joyce a trouvé le moyen de rendre, par une forme brisée, inchoative, presque sans grammaire, le déroulement de la pensée spontanée. Freud a fourni l'appoint d'une préoccupation dominante prenant par le travers et infléchissant les mouvements de la rêverie ; pour le reste, la suite des impressions apportées par les sens se combine sans cesse, par « associations d'idées », avec les appels de mémoire, de sorte qu'à un présent épais affleure sans cesse par bribes un passé aussi ancien que la mémoire personnelle. C'est ainsi que, de l'intérieur, nous connaissons non seulement le caractère, mais l'histoire de Stephen, de Bloom ou de Molly au fil de leur monologue. Des plans se déterminent dans ce paysage intérieur. Il ne s'agit d'ailleurs que de le suggérer, non de le photographier. De grossiers contresens ont été faits là-dessus : Joyce n'a pas installé l'informe dans les lettres, il leur a ajouté la plus souple des formes. Faulkner, Hemingway, Dos Passos, Virginia Woolf, Beckett, ont suivi la voie qu'il avait tracée.

Un monde de mémoire

Il naquit dans la banlieue sud de Dublin ; son père, héritier de bourgeois aisés, ne s'entendit jamais qu'à dépenser l'argent, d'où qu'il pût lui être venu, et particulièrement à le boire. Mais il avait le génie oral de Dublin, la verve, l'humour, l'agilité expressive. S'il fit le malheur des siens, il fascina son fils, et il hante l'œuvre dont, par l'insécurité fondamentale où il fit vivre James, il est la cause première. Au-delà des années d'humiliation et d'indigence, le fils imita le père dans l'inadaptation sociale, l'intempérance et le gaspillage. Il ajouta l'exil : il quitta Dublin en 1904 pour Trieste où il enseigna à l'école Berlitz, puis Zurich, refuge de guerre, puis Paris, de 1920 à 1939, enfin de nouveau Zurich où il mourut. Le choix de l'exil s'assortissait d'un paradoxe : en esprit, il ne devait jamais quitter sa ville natale.

Les événements de la vie de Joyce qui l'ont assez frappé pour être l'objet d'une prise de conscience se trouvent dans une œuvre qui, depuis 1904, est au premier chef une quête de soi-même, généreusement autobiographique, poursuivie du premier Portrait of the Artist (1904) jusqu'à Ulysse(1922) en passant par Dubliners (Gens de Dublin), écrit de 1903 à 1906, Stephen Hero (Stephen le héros), de 1904-1907, et A Portrait of the Artist as a Young Man (Dedalus), écrit de 1907 à 1914. On a dit que Stephen Dedalus n'était pas James Joyce, et certes il s'agit de « fictions » ; et, se fût-il agi d'autobiographie pure, l'image du moi dans la conscience est déformée. Vérité subjective et sélective ! Mais qu'est-ce que la vérité objective d'une personnalité ? Son frère le décrit aussi sportif qu'enjoué, mais un camarade le revoit tapant sur le ballon comme une fille : cela importe-t-il ? L'humour, sinon la gaieté, absents de [...]

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Pour citer cet article

Jean-Jacques MAYOUX. JOYCE JAMES (1882-1941) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

James Joyce - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

James Joyce

Autres références

  • ULYSSE, James Joyce - Fiche de lecture

    • Écrit par Marc PORÉE
    • 895 mots
    • 1 média

    L'année de la parution du poème de T. S. Eliot, La Terre vaine (1922), parut Ulysse de l'écrivain irlandais James Joyce (1882-1941), autre tournant majeur de la révolution moderniste. Rédigé entre 1914 et 1921, de Trieste à Zurich, de Zurich à Paris, il fut d'abord publié dès 1921 sous forme...

  • BEACH SYLVIA (1887-1962)

    • Écrit par Universalis
    • 607 mots

    Sylvia Beach fut, avec Adrienne Monnier, l'une des grandes figures de la vie littéraire parisienne, en particulier dans les années 1920, lorsque sa librairie offrait aux écrivains expatriés un lieu de rencontre et accueillait les auteurs français qui découvraient un nouveau continent, la littérature...

  • BECKETT SAMUEL (1906-1989)

    • Écrit par Jean-Pierre SARRAZAC
    • 4 808 mots
    • 4 médias
    ...influences qui ont pu s'exercer sur Beckett, celle de Proust – auquel il consacre un essai en anglais dès 1931 – n'est sans doute pas la moins forte. Certes, Joyce pourra un temps subjuguer son cadet, qui fut son ami et son secrétaire, et continuer à long terme de hanter son esprit (notamment lorsqu'il s'agit...
  • BURGESS ANTHONY (1917-1993)

    • Écrit par Pierre-Yves PÉTILLON
    • 996 mots

    En 1971, Anthony Burgess connut pour la première fois la grande notoriété lorsque fut porté à l'écran (par Stanley Kubrick) le roman Orange mécanique (The Clockwork Orange) qu'il avait publié en 1962 et qui reste sans doute son plus brillant exploit. C'est une fable anti-utopique dans la...

  • DUJARDIN ÉDOUARD (1861-1949)

    • Écrit par Universalis
    • 124 mots

    Écrivain, essayiste, poète et ami de Mallarmé, connu surtout pour son roman Les lauriers sont coupés (1887), où il emploie pour la première fois le « monologue intérieur », procédé tout à fait nouveau d'expression psychologique, repris par Joyce dans Ulysse.

    Dujardin a été associé...

  • Afficher les 11 références

Voir aussi