ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) Littératures

Johann Wolfgang von Goethe

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Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) dans la campagne romaine, par J. H. W. Tischbein. Détail du…

En 1795 – au milieu même de ce que la postérité devait dénommer le classicisme allemand –, Goethe fait paraître un bref article intitulé « Sans-culottisme littéraire ». C'était une réponse à un médiocre libelle qui venait de déplorer qu'il y eût en Allemagne si peu d'œuvres classiques. Depuis un demi-siècle, répond Goethe, on s'est précisément efforcé de former en Allemagne le goût du public et de guider les jeunes écrivains ; une sorte d'« école invisible » s'est constituée ; on est sorti des ténèbres et on se gardera bien désormais de refermer les volets. Pourtant, ajoute Goethe, il n'existe aucun auteur allemand qui osera se dire « classique ». Pour qu'il y ait un classicisme, il faut une histoire, une tradition, un public, une culture. Rien de tout cela n'existe encore. Et il continue : « On ne peut pas reprocher à la nation allemande que sa situation géographique l'enferme dans d'étroites limites, tandis que sa situation politique la divise. Nous ne désirons certainement pas que se produisent les bouleversements qui pourraient préparer en Allemagne des ouvrages classiques. »

L'Allemagne d'aujourd'hui n'est certes plus celle de 1795. Et, pourtant, les réflexions de Goethe n'ont rien perdu de leur vérité. L'histoire de la littérature allemande est le reflet de son histoire politique. L'Allemagne, longtemps divisée, longtemps incertaine de son identité, ouverte de toutes parts à l'influence de l'étranger, souvent ravagée par les guerres, a produit une littérature où les phases d'ombre ne cessent d'alterner avec les phases de lumière. Dans ce pays sans capitale, les centres intellectuels se déplacent, selon le cours des événements historiques, de Zurich à Leipzig, de Königsberg (ou même Riga) à Weimar ou à Francfort. L'Autriche, qui était restée longtemps une province parmi d'autres, prend conscience depuis Joseph II de ses vertus originales et ouvre des routes qui lui sont propres. Et, il y a moins de quarante ans, l'Allemagne s'est trouvée à nouveau coupée en deux parties, qui d'abord se sont ignorées ou combattues, et, depuis peu de temps seulement, cherchent à nouveau à se rejoindre intellectuellement.

Les chefs-d'œuvre du roman courtois au Moyen Âge ne seraient pas nés sans les modèles français ; le latin reste jusqu'au seuil du xve siècle la langue des philosophes et des professeurs ; au xviie siècle et encore longtemps après, le français est le langage des cours ; les gallicismes encombrent et boursouflent l'allemand courant ; Frédéric II ne fait aucun cas de ses compatriotes et il appelle Voltaire à la cour de Berlin, Maupertuis à l'Académie. On comprend aisément que, lorsqu’une littérature voulut se définir, elle dut s'armer contre l'influence étrangère et rejeter parfois avec humeur la tutelle qui la tenait prisonnière. Le « classicisme » allemand est le dernier des classicismes européens ; le naturalisme, le symbolisme ne prennent pied en Allemagne qu'au moment où ils commencent à s'épuiser en France. Au moins à deux reprises, cependant, ce fut l'Allemagne qui montra la route : le mot « romantisme » a, outre-Rhin, un sens, une profondeur, une originalité qui lui sont propres ; une grande part du lyrisme d'aujourd'hui y prend racine. Et, en littérature comme dans les arts plastiques, l'expressionnisme est pour l'essentiel un produit allemand. Cela ne signifie évidemment pas qu'en dehors de ces deux périodes il n'y ait que de la sécheresse et du vide : les grands écrivains n'ont jamais manqué, mais ils restent isolés, souvent enfermés au fond des provinces, sans lien entre eux, sans écoles, sans académies.

Dans une conférence qu'il prononce à Munich en 1928,[...]

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Écrit par

  • Nicole BARY : directrice de l'association Les Amis du roi des Aulnes, traductrice
  • Claude DAVID : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
  • Claude LECOUTEUX : professeur de langues et littératures allemandes et germaniques à l'université de Caen
  • Étienne MAZINGUE : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-Sorbonne
  • Claude PORCELL : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'allemand, maître de conférences de littérature allemande à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Nicole BARY, Claude DAVID, Claude LECOUTEUX, Étienne MAZINGUE, Claude PORCELL, « ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

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Le poète allemand Friedrich Gottlieb Klopstock (1724-1803).

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Friedrich von Schiller (1759-1805), poète et dramaturge qu'une forte amitié lia à Goethe. Ludovike…

Autres références

  • NÉO-CLASSICISME (littérature)

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 007 mots

    Il semble aller de soi que le néo-classicisme se définit par rapport au classicisme. Or, au moins en littérature, ce dernier est une notion étroite, d'ailleurs problématique : elle ne vaudrait que pour la France, et durant une courte période (les années 1660-1680). Faut-il en déduire qu'il n'y aurait...

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