Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RELIGION Sociologie religieuse

La sociologie des religions est non seulement une discipline qui est reconnue aujourd'hui comme un domaine spécifique et important de la sociologie, mais aussi une matière qui suscite de plus en plus de recherches et d'enquêtes variées dès lors qu'il s'agit d'expliquer et de comprendre le fait religieux rapporté à son contexte social. Loin de connaître « le retrait de Dieu » abandonnant « le monde aux hommes et à leurs disputes », comme le remarque Durkheim à la fin du xixe siècle, nos sociétés connaissent la prolifération des croyances et, dit-on, la propagation de « nouvelles religiosités » aussi bien sur le plan individuel que collectif.

Pour saisir ces phénomènes et processus sociaux d'envergure, la sociologie des religions dispose de multiples cadres d'analyse et grilles d'interprétation. N'étant pas unifiée, elle se caractérise tant par la diversité des réflexions engagées par les auteurs fondateurs de la discipline que par la variété des approches, le foisonnement des thématiques de recherches présentes. C'est pourquoi il convient tout d'abord de considérer les contributions, encore actuelles, des pionniers de la discipline sociologique (Karl Marx et Friedrich Engels, Alexis de Tocqueville, Max Weber, Émile Durkheim) qui portent une attention toute particulière à la religion remise en cause dans les sociétés industrielles. Puis il s'agira de caractériser l'objet d'étude singulier que constitue le fait religieux dans notre contemporanéité, véritable enjeu de la sociologie des religions, pour enfin apprécier les approches contemporaines qui émaillent le paysage de la discipline.

Les apports des auteurs classiques

Critique marxiste

L'approche de Marx et Engels sur la religion met en évidence que le fait religieux n'a pas d'autonomie dans le contexte social. Elle est une enveloppe idéologique que les classes dominantes (ou les classes dominées) utilisent au cas par cas pour se représenter à elles-mêmes leur condition ou position socioéconomique, de statut ou de pouvoir (ou de non-pouvoir). Les hommes en société créent leurs dieux et pensent par la suite adorer un « autre » qu'eux-mêmes : là se trouve le mécanisme de l'aliénation religieuse, déjà mis en lumière par le philosophe allemand Ludwig Feuerbach dans L'Essence du christianisme (1841). De fait, la religion et la morale n'ont ni histoire, ni réalité en dehors de la production matérielle. Dans L'Idéologie allemande (1845), Marx et Engels écrivent : « la morale, la religion, la métaphysique » perdent « toute apparence d'autonomie », car « ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience ».

Karl Marx - crédits : Courtesy of the trustees of the British Museum

Karl Marx

Engels - crédits : Edward Gooch/ Getty Images

Engels

De ce point de vue, la religion ne peut remplir aucune fonction autonome : soit elle assume une fonction de justification d'un ordre social constitué dans ses hiérarchies et dans les diverses ramifications de son pouvoir économique ; soit elle procure un langage politique contestataire aux classes sociales subalternes, aspirant à se libérer de la condition d'oppression dans laquelle elles se trouvent ou pensent se trouver. Dès 1844, le jeune Marx écrit en ce sens que « la détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle ». Soulignant ces deux fonctions de la religion (attestataire et contestataire), Marx met en valeur, avant tout, au fil de ses écrits, la religion comme « opium du peuple », contrairement à son ami Engels, lequel s'attache à la religion comme instrument de dévoilement des contradictions socioéconomiques d'une société. Ce dernier développe en particulier l'idée que la religion n'est pas qu'« un tissu d'absurdités fabriqué par des imposteurs », elle reflète les tensions à l'œuvre dans une société,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur agrégé en sciences économiques et sociales, docteur en sociologie

Classification

Pour citer cet article

Olivier BOBINEAU. RELIGION - Sociologie religieuse [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Karl Marx - crédits : Courtesy of the trustees of the British Museum

Karl Marx

Engels - crédits : Edward Gooch/ Getty Images

Engels

Alexis de Tocqueville (1805-1859) - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Alexis de Tocqueville (1805-1859)

Autres références

  • PSYCHOLOGIE DE LA RELIGION

    • Écrit par Vassilis SAROGLOU
    • 4 087 mots

    Pourquoi la religion a-t-elle été présente dans probablement toutes les sociétés humaines et est-elle encore présente chez environ deux tiers de la population mondiale ? Pourquoi, à des degrés variables selon les différentes sociétés, y a-t-il toujours des croyants, des agnostiques et des athées, avec...

  • RELIGION (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 2 991 mots

    Deux hypothèses sont en concurrence à propos de l’étymologie du mot « religion ». Pour certains, comme Cicéron (106-43 av. J.-C.), il viendrait du latin religere, qui signifie « relire attentivement », « revoir avec soin ». Pour d’autres, le mot trouverait son origine dans un autre verbe latin,...

  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Religions

    • Écrit par Marc PIAULT
    • 9 619 mots
    • 1 média

    Considérer les religions négro-africaines comme un ensemble susceptible de définitions appropriées renvoyant à des principes et des règles lui donnant une unité serait accorder une spécificité définitive à leurs manifestations et, au-delà de leur diversité, reconnaître un lien commun entre...

  • ÂME

    • Écrit par Pierre CLAIR, Henri Dominique SAFFREY
    • 6 020 mots

    Dans le monde occidental, la notion d'âme s'est constituée lentement et ne remonte pas à la nuit des temps. On peut suivre les étapes qui jalonnent l'émergence d'un principe spirituel du vivant et qui aboutissent à sa justification philosophique par Platon et Aristote. Souvent...

  • AMÉRIQUE LATINE - Les religions afro-américaines

    • Écrit par Roger BASTIDE
    • 3 175 mots
    • 1 média

    Les Africains conduits en esclavage en Amérique ont amené avec eux leurs croyances et leurs rites. Certes, en beaucoup de pays, au contact de civilisations différentes et de sociétés répressives, ces croyances et ces rites, après un moment de résistance (par exemple, en Argentine jusque vers...

  • ANCÊTRES CULTE DES

    • Écrit par Mircea ELIADE, Universalis
    • 3 198 mots
    • 1 média
    C'est Herbert Spencer (1820-1903) qui, le premier parmi les modernes, a fortement souligné l'importance des ancêtres dans l'histoire des religions. En effet, pour le philosophe anglais, le culte des ancêtres serait à l'origine même de la religion. Le « sauvage » considère comme surnaturel ou divin...
  • Afficher les 146 références

Voir aussi